Couverture du journal du 12/04/2024 Le nouveau magazine

Entretien avec Mélanie Rault, directrice d’Entreprendre Pour Apprendre Bretagne et Dominique Cordeiro, président

Créer une Mini-Entreprise® pendant l’année scolaire avec le soutien de ses professeurs, d’hommes et de femmes de terrain, c’est possible grâce aux programmes concoctés par Entreprendre Pour Apprendre. Avec le concours des mondes éducatif et économique, l’association aide les jeunes à mieux appréhender le monde du travail et les dote d’outils puissants pour leur avenir. Rencontre avec Mélanie Rault, directrice d’Entreprendre Pour Apprendre Bretagne et Dominique Cordeiro, président.

Mélanie Rault, directrice d’Entreprendre Pour Apprendre Bretagne et Dominique Cordeiro, président

Mélanie Rault, directrice d’Entreprendre Pour Apprendre Bretagne et Dominique Cordeiro, président ©Studio Carlito

En quelques mots, quelles sont les missions d’Entreprendre Pour Apprendre Bretagne ?

Mélanie Rault : La mission portée par Entreprendre Pour Apprendre, c’est d’interconnecter l’école et l’entreprise pour faire vivre aux jeunes une aventure entrepreneuriale. Nous voulons leur faire expérimenter la création d’une Mini-Entreprise®, leur permettre de comprendre plus concrètement le monde professionnel, son organisation, son but, ses problématiques. Cela apporte beaucoup de sens à leurs apprentissages. Nous travaillons différents programmes avec les primaires, collèges, lycées et post-bac. Nos activités sont reconnues complémentaires de l’école par le ministère de l’Éducation nationale, de la Jeunesse et des Sports.

Le monde enseignant et le monde économique sont souvent mis en opposition, est-ce difficile de les faire travailler ensemble ?

Dominique Cordeiro : Justement, les faire se rencontrer, et mieux, les faire travailler ensemble au service de la jeunesse, permet de casser les clichés. Les chefs d’entreprise qui se retrouvent devant une classe de 20/30 élèves se rendent compte de la difficulté de ce métier et les enseignants, eux, découvrent la complexité du métier de chef d’entreprise et à quel point il doit être actif et exemplaire par rapport à son équipe. Cela enrichit beaucoup les rapports et brise les idées reçues que chacun peut avoir.

La Mini-Entreprise® permet de prouver aux élèves qu’ils sont capables.

Dominique Cordeiro, président, Entreprendre pour Apprendre

Dominique Cordeiro, président Entreprendre Pour Apprendre Bretagne ©Studio Carlito

Votre programme phare est la « Mini-Entreprise®» que les jeunes développent sur des temps pédagogiques à l’école, pourriez-vous nous en expliquer le concept ?

Mélanie Rault : Oui. En fait, nous avons trois programmes : des parcours S, M et L, comme les tailles ! (Rires). Le format L est très emblématique de ce que nous faisons avec Entreprendre Pour Apprendre Bretagne. Pendant plusieurs mois, un groupe de jeunes (du collège, lycée ou post-bac) est accompagné dans la création d’une entreprise. Ils doivent concevoir, mettre en œuvre, puis commercialiser « pour de vrai » un produit qui peut être un service ou un bien. Pour ce faire ils sont soutenus par leurs professeurs, des encadrants Entreprendre Pour Apprendre Bretagne et des mentors du monde économique. Ils sont amenés à trouver collectivement une idée, répartir ensuite les rôles dans le groupe, trouver des partenaires, assurer la production de leur solution, la faire connaitre pour la vendre. Chaque année, toutes les Mini- Entreprises® exposent leurs produits ou leurs solutions lors d’un salon régional. Les élèves pitchent devant des professionnels, animent des stands… Il y a des prix à gagner, et les premiers poursuivent l’aventure en allant présenter leur projet sur le salon national de la Mini-Entreprise® à Paris.

Dominique Cordeiro : La Mini-Entreprise® permet de prouver aux élèves qu’ils sont capables de mener un projet. Le programme les implique sur du concret : il faut savoir travailler en groupe, respecter la parole de l’autre, argumenter si on est en désaccord. Les jeunes doivent mener le projet de bout en bout, aller chercher des partenaires qui pourront les aider, leur fournir des matières premières pour leurs réalisations. Avec le soutien des professeurs, des encadrants et des mentors, ils seront amenés à convaincre, établir un budget, construire un argumentaire de vente, à pitcher leur projet. Concernant le produit de leurs ventes, on leur demande de flécher l’argent vers une association caritative ou humanitaire de leur choix. Ils ont un rôle de citoyen, nous leur expliquons que l’entreprise c’est aussi ça.

Pourriez-vous nous donner un exemple d’une Mini-Entreprise® qui vous a particulièrement touchée ?

Mélanie Rault : Oui, je pense à un groupe de huit jeunes du lycée maritime d’Ethel. Leur projet était de récupérer des poches d’huitres pour en faire des cabas. Ils ont donc créé un partenariat avec un ostréiculteur qui leur a donné des poches et avec une couturière qui leur a fourni des chutes de tissus et appris à coudre. C’est une histoire forte humainement, car ces jeunes étaient en grosses difficultés scolaires et avaient un vrai déficit de confiance en eux, d’ailleurs la première séance a été compliquée. Autour d’eux, ce sont tout de suite mis en place des enseignants et des professionnels très engagés, qui ont ouvert leurs carnets d’adresses. Le projet a été une grande réussite, leurs produits étaient vraiment aboutis, et ils sont allés jusqu’au challenge national. Ils n’en revenaient pas eux-mêmes ! Pour la majorité d’entre eux, c’était la première fois qu’ils allaient à Paris et ils se retrouvaient à pitcher devant un jury alors qu’à la première séance ils n’arrivaient même pas à s’exprimer !

On les a vus se transformer de semaines en semaines. La manager du groupe était une personne très en retrait, et à la fin c’est elle qui prenait la parole, qui drivait l’équipe… Ils ont fait un chemin magnifique et Entreprendre Pour Apprendre a été un déclencheur pour eux, un boost de confiance… des histoires comme cela, on en a plein.

Mélanie Rault, directrice d’Entreprendre Pour Apprendre Bretagne

Mélanie Rault, directrice d’Entreprendre Pour Apprendre Bretagne ©Studio Carlito

La notion de développement durable est très présente dans vos programmes, est-ce une évidence pour les jeunes d’inclure l’écologie dans leurs projets ?

Dominique Cordeiro : Nos programmes posent un cadre autour de l’économie circulaire, du local, la valorisation du territoire et nous constatons que chez les jeunes ces thématiques sont évidentes, que l’eco-responsabilité est très ancrée chez eux. C’est extrêmement encourageant, on est baigné d’optimisme avec cette jeunesse engagée et positive. D’ailleurs nous sommes bien loin du cliché des jeunes qui ne font rien… il suffit de les accompagner, de les écouter et de leur faire confiance. Si l’on veut trop les driver, cela ne fonctionne pas. Ce n’est pas une génération qui veut ça, elle veut du sens, la liberté de réaliser ses actions. Nous sommes juste là pour leur amener ce qu’il va leur manquer, quelques compétences parfois, quelques connaissances, ou quelques contacts.

Avec la crise du Covid, des parcours de Mini-Entreprises® adaptés ont été proposés aux collégiens de 3e, pour pallier l’impossibilité de faire leur stage en entreprise. Cette expérimentation va-t-elle se pérenniser ?

Mélanie Rault : Effectivement, en 2021, le stage de 3e s’est retrouvé optionnel à cause de la crise sanitaire. Nous avons eu l’idée avec EDF Bretagne de leur faire vivre le stage autrement en important l’entreprise à l’école. Sur 3 jours, les élèves travaillent sur une idée en lien avec une entreprise partenaire. Par exemple, avec EDF, un groupe de collégiens guichenais a travaillé sur le thème des économies d’énergie.

Ils ont réfléchi à un concept de réutilisation des eaux usées. À travers des visios, ils ont pu échanger avec différents salariés d’EDF qui les ont aidés dans la conception de leur projet tout en leur présentant leurs métiers. Créer une Mini-Entreprise® leur permet de valider les compétences demandées pour le stage de 3e. Cela a été un vrai succès et nous allons poursuivre cette offre, en accord avec l’éducation nationale. L’idée pour 2022, c’est de l’adapter en ajoutant une journée en présentiel dans l’entreprise partenaire. Nous avons déjà 15 établissements d’engagés, ce qui représente environ 300 élèves.

Dominique Cordeiro : L’idée n’est pas de remplacer le stage, car certains enfants sont immergés en entreprise, découvrent un métier qu’ils aimeraient faire et c’est très bien. Nous, nous sommes un outil, une solution supplémentaire à la faveur des jeunes de 3e qui, pour beaucoup, ne savent pas ce qu’ils ont envie de faire. Et puis aujourd’hui sans piston, c’est devenu difficile et les enseignants sont démunis. Ils font avec leur téléphone portable et leur réseau d’amis, c’est ce qu’on a découvert en travaillant avec eux.

On parle ici d’engagement sociétal, au service de la jeunesse

Comment les entreprises peuvent-elles contribuer à Entreprendre Pour Apprendre ?

Dominique Cordeiro : La première chose que je propose aux entrepreneurs qui s’intéressent à EPA c’est de venir au salon régional de la Mini-Entreprise® pour découvrir ce dont sont capables les jeunes. Je peux vous dire que là, toutes les idées reçues tombent en découvrant leurs réalisations, leur énergie… c’est incroyable. C’est une belle immersion qui permet de comprendre le sens de notre engagement et d’en voir le résultat.

Mélanie Rault : Les entreprises peuvent contribuer en devenant partenaire, en apportant du mécénat de compétences, un soutien financier. Mais le plus important pour nous c’est d’avoir des entreprises qui s’engagent dans la durée. On souhaite que l’entreprise soutienne les jeunes, aille au contact, apporte des connaissances, des compétences, s’ouvre aussi à des visites d’entreprises. Ce n’est pas qu’une histoire de chèques.

Dominique Cordeiro : Oui, on parle ici d’engagement sociétal, au service de la jeunesse. Il s’agit de déclencher des passions, de faire découvrir des secteurs d’activités aux jeunes, ils représentent l’avenir des entreprises et des filières. Nous avons le devoir de leur faire rencontrer le monde professionnel, les aider à découvrir tout un panel de métiers, à révéler leurs talents, leur donner confiance. C’est aussi une manière de briser les déterminismes sociaux.

Quelles sont vos ambitions pour les années à venir ?

Mélanie Rault : Aujourd’hui environ 3 500 jeunes en Bretagne bénéficient de nos programmes et notre souhait est de doubler cet accompagnement à horizon 2026.

Entreprendre pour Apprendre France compte 16 associations régionales qui développent l’esprit d’entreprendre chez les jeunes de 9 à 25 ans. L’entité bretonne compte 65 partenaires publics et privés (collectivités ou entreprises), et quatre coordinateurs salariés, un par département, chargés de faire le lien entre les entreprises et les jeunes. Entreprendre pour apprendre fait partie du réseau mondial JA Worldwide (Junior entreprises) lancé en 1919 et présent aujourd’hui dans une centaine de pays.