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Droit du sport : L’Ambush Marketing, ou le parasitisme appliqué aux évènements sportifs

À l’occasion du Super Bowl du dimanche 7 février 2021, Miller Lite, une marque de bière américaine, sans avoir acquis de spot publicitaire, a organisé un jeu en ligne se déroulant pendant la diffusion même de la coûteuse publicité de son concurrent, Michelob Ultra : ce faisant, Miller Lite a renouvelé la pratique méconnue de l’ambush marketing. Décryptage par Maître Erwann Mingam, avocat au barreau de Rennes

Erwann Mingam

L’ambush marketing, ou « marketing en embuscade », est une technique promotionnelle permettant à un opérateur de se rendre visible durant un évènement sportif important, et de voir ainsi son image et/ou ses produits associés à cet évènement, sans payer son organisateur afin de devenir sponsor officiel.

De cette façon, l’annonceur cherche à tirer un profit commercial de la compétition, sans rien débourser, au détriment des partenaires officiels qui sont parfois ses propres concurrents. En résumé, l’ambusher tire avantage de l’évènement en s’épargnant les coûts d’un sponsoring.

Sur un plan juridique, la Cour d’Appel de Paris a précisément défini en 2018 l’ambush marketing comme une « stratégie publicitaire mise en place (…) afin d’associer son image commerciale à celle d’un évènement et donc de profiter de l’impact médiatique dudit évènement sans s’acquitter des droits qui y sont relatifs et sans avoir obtenu au préalable l’autorisation de l’organisateur de l’évènement ». En termes de marketing, la pratique consiste à occuper tous les espaces qui ne sont pas réservés par les partenaires officiels.

L’ambush marketing peut prendre des formes très diverses, afin d’atteindre l’objectif d’une assimilation entre l’annonceur et la compétition dans l’esprit du public : achat de panneaux publicitaires près des sites où elle se déroule, organisation d’un concours ou d’une campagne de publicité faisant indirectement allusion à l’évènement (via un visuel, un slogan, une couleur, etc.). Aujourd’hui, cela prend souvent la forme d’une opération habile sur les réseaux sociaux, qui peuvent rendre très rapidement une campagne virale. C’est précisément ce qu’a entrepris Miller Lite lors du Super Bowl 2021, comme l’avait fait Volvo lors du même évènement en 2015 en organisant via Twitter un jeu dénommé #VolvoContest (Volvo obtint 50000 tweets en quelques heures, tout en s’épargnant le coût exorbitant d’un spot de publicité diffusé durant le match).

Existe-t-il des exemples célèbres d’ambush marketing ?

Certains cas d’ambush sont restés célèbres, en particulier en raison de l’imagination des auteurs. L’un des premiers exemples est l’opération menée par American Express à l’approche des JO de Barcelone en 1992 : en réaction à une campagne offensive menée contre elle par son concurrent Visa (sponsor officiel des Jeux) durant les JO d’hiver précédents à Albertville, « AmEx » diffusa très largement le slogan suivant : « Pour aller en Espagne, il vous faut un passeport, mais pas un Visa ». Ainsi, AmEx fut amplement associée aux JO auprès du public, alors que c’est son rival Visa qui avait chèrement acquis les droits de sponsoring.

Deux autres exemples très similaires en sont emblématiques : lors des coupes de monde de rugby 2007 puis de football 2010, deux marques non-sponsors de l’évènement (respectivement la lingerie Dim et la bière Bavaria) ont placé en tribune des groupes de supportrices arborant leur tenue et leur couleur, qui furent filmées par les caméras de retransmission. Le cas des « Dim-Dim Girls » fut le premier ambush marketing en France.

La subtilité consiste à se tenir à la lisière de ce qui est licite, en veillant à ne pas porter frontalement atteinte aux droits privatifs des organiseurs ou des sponsors

Quant aux Bavaria Girls, l’on estime qu’à l’arrivée, la marque Bavaria a bénéficié d’une retombée supérieure de 371 % à celle de son concurrent Budweiser, le sponsor officiel !

Une autre manifestation fréquente de l’ambush marketing résulte des conflits entre les équipementiers sponsors de l’évènement sportif et ceux qui parrainent à titre personnel un athlète ou une équipe renommé(e). L’on citera Usain Bolt aux JO de 2016 (dont le sponsor officiel était Nike) brandissant ses chaussures dorées Puma après sa victoire (images abondamment reprises par Puma sur les réseaux sociaux), Michael Jordan aux JO de 1992, masquant le logo de Reebok, sponsor de la fameuse « Dream Team » américaine mais concurrent du sien (Nike), ou encore le sprinter Linford Christie arborant, à Atlanta 1996, des lentilles de contact en forme de… puma, la marque éponyme étant son sponsor personnel mais pas celui des JO.

L’ambush marketing est-il licite ou non ?

C’est bien toute la question, mais aussi toute la saveur de cette pratique : la subtilité des « ambushers » consiste à se tenir à la lisière de ce qui est licite, en veillant à ne pas porter frontalement atteinte aux droits privatifs des organiseurs (CIO, FIFA, etc.) ou de leurs sponsors (par exemple en reproduisant directement leurs marques), tout en créant dans l’esprit du public un lien de rattachement indiscret avec la compétition.

En réalité, cette question rejoint celle-ci, quasi-philosophique : à qui appartient le sport ? Un évènement sportif d’ampleur mondiale peut-il être intégralement privatisé, ou appartient-il à une sorte d’universalité, à vous, à moi, à tout le monde ? L’ambusher fait-il autre chose, au final, que de se référer – certes à des fins commerciales, ce qui est la vocation de tout annonceur – à un évènement public, objectif, comme il le ferait d’un autre fait d’actualité ou d’histoire ?

En France, les organisateurs de manifestions sportives disposent d’un droit de propriété spécifique.

Ceci pose la question de savoir où débute réellement l’ambush marketing : le vendeur de sofas ou de téléviseurs à écran large, l’opérateur de téléphonie, le livreur de pizzas, qui font référence à la compétition dans leur campagne promotionnelle concomitante, portent-ils une atteinte inadmissible aux droits de ses organisateurs, ou ne font-ils que citer légitimement, à leur échelle, un fait médiatique dont tout un chacun connaît l’existence ?

En pratique, l’on constate d’ailleurs que les Tribunaux procèdent à une appréciation au cas par cas des situations qualifiées d’ambush marketing, au moyen d’une balance des intérêts : ils confrontent, d’un côté, les intérêts économiques des organisateurs et de leurs partenaires, soucieux de protéger leurs investissements, et de l’autre, la liberté d’expression et du commerce pour tout opérateur. Dès lors, la pratique d’ambush n’est réellement condamnée que lorsque l’annonceur commet un véritable abus, par une utilisation non-autorisée et illégitime de marques/ symboles/ expressions liées à l’évènement.

À titre d’exemple, la Cour de Cassation a, en 2014, approuvé la Cour d’Appel de Paris d’avoir écarté toute faute envers le constructeur Fiat : celui-ci avait fait paraître dans la presse, durant le Tournoi des 6 Nations 2008, une publicité pour la Fiat 500 avec le message suivant : « France 13 Angleterre 24, La Fiat 500 félicite l’Angleterre pour sa victoire et donne rendez-vous à l’équipe de France le 9 mars pour France-Italie », puis les termes « Italie 500 » avec la photo d’une Fiat 500, le logo Fiat et les noms des concessionnaires de différents départements. Sur assignation de la Fédération Française de Rugby, les juges ont estimé que cela se bornait à « reproduire un résultat sportif d’actualité » et à mentionner une rencontre future – soit de simples informations publiques, insusceptibles d’appropriation –, sans capter de manière injustifiée un « flux économique résultant d’évènements sportifs organisés par la FFR » ni réaliser d’ « exploitation directe illicite » de ces évènements.

À l’inverse, les Tribunaux français ont déjà sanctionné des pratiques d’ambush marketing : en 2017, la Cour de Cassation a approuvé un arrêt ayant condamné la société Frogpubs, exploitant un réseau de bars, pour avoir reproduit les anneaux olympiques sur son site Internet ainsi que sur 200000 sous-bocks de bière, afin d’informer la clientèle de la retransmission des JO de Londres 2012. Cette pratique avait porté atteinte aux droits du CNOSF, lui causant un préjudice économique et d’image.

De la même manière, le TGI de Paris, en 2014, a condamné l’équipementier Le Coq Sportif pour avoir présenté sur son site Internet, à l’occasion des JO de Londres 2012, des baskets dénommées « Joakim Noah 3.0 Le rêve olympique », comportant des semelles aux couleurs des anneaux olympiques. Le Tribunal a estimé que Le Coq Sportif cherchait à « s’insérer dans le sillage des JO de Londres » et à bénéficier « de leur renommée et de l’image fortement positive de cette manifestation », laissant penser à tort au public qu’il existait un partenariat avec les JO. Sans même en avoir vendu la moindre paire, l’annonceur a été condamné à 100 000 € de dommages et intérêts au profit du CNOSF.

Comment les organisateurs peuvent-ils le combattre ?

Plusieurs fondements sont envisageables pour l’organisateur d’une compétition sportive désireux de lutter contre une pratique d’ambush marketing.

Tout d’abord, s’agissant de s Jeux Olympiques ou Paralympiques, le CNOSF bénéficie d’une protection spécifique sur l’ensemble des signes et emblèmes olympiques (logo, drapeau, devise, hymne, etc., jusqu’aux termes « JO », « olympique » ou « olympisme » notamment), en application de l’article L. 141-5 du Code du Sport. En outre, le CIO ou les Comités Nationaux imposent fréquemment aux pays hôtes des Jeux d’adopter une réglementation particulière pour prévenir et sanctionner toute pratique d’ambush avant ou pendant les JO. Cela tend à consolider le large monopole du mouvement olympique sur les compétitions qu’il organise.

En France, les organisateurs de manifestions sportives (fédérations ou organisateurs privés) disposent en outre d’un droit de propriété spécifique, instauré par l’article L. 333-1 du Code du Sport, leur conférant un monopole d’exploitation sur lesdites manifestations, ce qui recouvre entre autres les photographies, vidéos, billetterie et prestations d’hospitalité, jeux et paris, etc. Citons encore le droit des marques, même s’il est rare que les ambushers les contrefassent de manière directe.

Enfin et surtout, c’est la notion de parasitisme qui est utilisée : variante de la concurrence déloyale, basée comme elle sur l’article 1240 du Code civil, elle consiste à s’immiscer dans le sillage d’un tiers pour profiter, sans rien dépenser, de ses efforts, de ses investissements ou de sa réputation. C’est là, probablement, le fondement le plus pertinent et le plus efficace pour s’opposer aux pratiques d’un ambusher, qui cherche précisément à tirer profit du retentissement de l’évènement sans acquitter de droits.

Par Maître Erwann Mingam, avocat au barreau de Rennes – www.ordre-avocats-rennes.fr

 

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