Le 11 avril dernier, des discussions interprofessionnelles ont abouti à un projet d’Accord National Interprofessionnel (ANI) sur la transition écologique et le dialogue social. Ce projet n’appelle pas de changement normatif, mais fournit aux acteurs du dialogue social des exemples de bonnes pratiques afin de relever le défi de la transition écologique en entreprise.
Par ailleurs, le 6 octobre 2022, le gouvernement a proposé un plan de sobriété énergétique en entreprise, non contraignant juridiquement, visant à réduire de 10 % la consommation d’énergie sur les deux prochaines années par rapport à 2019 (2). Ce plan contient 15 actions concrètes à mettre en œuvre réparties en plusieurs catégories :
– « Mieux lutter contre le gaspillage et encourager les économies d’énergie » (températures des locaux, réduction de l’éclairage, isolation…) ;
– « Mieux régler, adapter et déployer les dispositifs de management de l’énergie » (solutions techniques moins énergivores, dispositifs de chauffage autonome…) ;
– « Mieux faire connaitre et mettre en œuvre les dispositifs existants de soutien à la mobilité durable en entreprise » (regrouper les déplacements et supprimer les déplacements inutiles, déployer le forfait mobilités durables…) ;
– « Repenser l’organisation du travail, au regard des objectifs de sobriété dans une démarche d’animation concertée » ;
– « Prévoir une organisation en télétravail pour les situations d’urgence ».
En effet, les entreprises – et leurs salariés – ont incontestablement un rôle à jouer à travers le développement d’un dialogue social efficace, tenant compte des enjeux environnementaux et tourné vers une économie durable. De nombreux outils juridiques existent déjà pour accompagner les entreprises dans la transition écologique, tout en préservant les conditions de travail des salariés et en assurant leur bien-être.
Valoriser le rôle du CSE (Comité Social et Économique) sur les questions environnementales :
Aujourd’hui, le CSE doit être informé à travers la Base de Données Economiques, Sociales et Environnementales (BDSES) des conséquences environnementales de l’activité de l’entreprise (3).
En effet, la loi Climat du 22 août 2021 (4) a souhaité souligner l’importance des enjeux environnementaux pour les entreprises, se traduisant par un changement du nom de la base de données qui est devenue BDESE et l’intégration d’un nouveau thème : les conséquences environnementales de l’activité de l’entreprise. Les informations à fournir sont différentes selon que l’entreprise est soumise, ou pas, à une déclaration de performance extra-financière (sociétés qui dépassent différents seuils selon qu’elles sont cotées ou non cotées).
À ce titre, le projet d’ANI sur la transition écologique et le dialogue social propose plusieurs informations et indicateurs pouvant enrichir la BDESE :
- le bilan des émissions de gaz à effet de serre sur un périmètre élargi permettant d’évaluer l’ensemble des émissions émises par l’entreprise,
- la consommation de matières premières ou l’utilisation des sols,
- des indicateurs d’utilisation des ressources, tels que la quantité d’eau utilisée ou les KWh consommés,
- les documents obligatoires en matière de gestion des déchets…
L’employeur doit également informer le CSE sur les conséquences environnementales de l’activité de l’entreprise dans le cadre des consultations récurrentes obligatoires portant sur les orientations stratégiques de l’entreprise, sa situation économique et financière et sur sa politique sociale et ses conditions de travail et l’emploi (5).
Cependant, le Code du travail ne précise pas la notion de conséquences environnementales s’agissant des prérogatives du CSE.
Sur ce point, le projet ANI précité propose une liste d’informations pertinentes à transmettre au CSE telles que l’analyse environnementale décrite dans la norme ISO 14001 ou la présentation de l’étude d’impact prévue par le Code de l’environnement (6) …
Ce même projet recommande également l’adoption de bonnes pratiques et notamment :
- l’inscription d’un point régulier sur la politique environnementale dans l’ordre du jour du CSE au sein des entreprises de plus de 50 salariés ;
- l’extension des prérogatives du CSE aux questions environnementales par voie d’accord majoritaire dans les entreprises de moins de 50 salariés ;
- l’intégration d’un volet environnemental dans la lettre de mission de l’expert-comptable auquel le CSE peut avoir recours dans le cadre de certaines consultations ;
- la mise en place au sein du CSE de commissions supplémentaires dédiées aux questions environnementales dotées de leur propre budget….
En outre, le CSE a un rôle incontestable à jouer dès lors qu’il peut mettre en œuvre un droit d’alerte en matière de santé publique et d’environnement .
Aussi, le volet énergétique a désormais une place non négligeable au sein du dialogue avec le CSE dans la mesure où la mise en œuvre d’une politique qui tient compte des enjeux écologiques, de sobriété et de transition écologique au sein de l’entreprise a des conséquences sur l’activité, l’emploi et l’organisation du travail, et doit donc naturellement être réfléchie et déployée en lien étroit avec le CSE.
Négocier des accords collectifs dans le cadre du dialogue social
Il est important d’instaurer un climat de confiance dans le cadre des négociations sur ces sujets et impliquer les délégués syndicaux et les élus du CSE afin d’identifier, avec eux, les thèmes prioritaires de négociation. Ces thèmes sont incontestablement amenés à varier en fonction du secteur d’activité de l’entreprise (industrie, service, artisanat…).
Il est également possible de négocier un accord collectif sur le contenu de la BDESE et notamment sur l’aspect environnemental afin de communiquer des informations pertinentes au regard de l’activité de l’entreprise.
Intégrer des critères environnementaux dans les accords d’intéressement et dans la rémunération variable
Les critères environnementaux, en lien avec les économies d’énergie (la consommation d’énergie, la réduction du bilan carbone, la réduction du gaspillage de matières premières, la sensibilisation des clients et sous-traitants, la diminution du volume des impressions, la baisse de la consommation électrique dans les bureaux…), peuvent être intégrés dans des formules d’accords d’intéressement ou de rémunérations variables. Une telle démarche peut, par ailleurs, permettre d’ajouter une « motivation » et un objectif commun aux salariés de l’entreprise.
Mettre en place un forfait mobilités durables et une politique de télétravail réfléchie
Les entreprises peuvent mettre en œuvre un forfait mobilités durables afin d’encourager le recours à des transports plus « responsables » pour les trajets domicile-travail.
En effet, le forfait mobilités durables est un dispositif facultatif qui permet la prise en charge par l’employeur de tout ou partie des frais que les salariés engagent pour se rendre de sa résidence habituelle à son lieu de travail en utilisant certains modes de transport dits à « mobilité douce » (trottinette, vélo, covoiturage, etc.). Dans le cadre du forfait mobilités durables, l’employeur bénéficie d’un régime fiscal et social avantageux.
La mise en œuvre d’une politique de télétravail réfléchie peut également permettre une économie de frais de transport, limiter l’usage de la voiture et permettre de réduire la consommation d’énergie dans les bureaux.
Former des services Ressources humaines et les représentants du personnel
Afin de favoriser un dialogue social efficace et la mise en œuvre d’actions concrètes, il est fondamental de former et sensibiliser le personnel appartenant aux ressources humaines et les représentants du personnel sur ces sujets de transition écologique.
Il est notamment important de former les services des Ressources humaines à l’évolution de la politique de recrutement du fait de l’évolution des emplois et des compétences attendues en lien avec ces politiques environnementales.
Dans son plan de sobriété énergétique, le Gouvernement encourage les entreprises à désigner un ambassadeur ou un référent de la sobriété énergétique. Les modalités de désignation du référent sont libres et celui-ci peut être désigné par le CSE parmi ses élus, mais aussi parmi d’autres salariés de l’entreprise ou encore être nommé par l’employeur lui-même.
Sensibiliser les salariés
Afin d’accompagner les salariés à accepter de nouvelles modalités de travail, il est recommandé de les sensibiliser sur ces questions.
Sur ce point, le projet d’ANI sur le thème de la transition écologique et du dialogue social encourage les CSE à orienter les activités sociales et culturelles vers les enjeux environnementaux. Le projet d’accord cite plusieurs exemples : cartes cadeaux éthiques, cartes de voyages éthiques et/ou bas carbone, établissement d’un bilan sur les émissions de gaz à effet de serre des activités proposées par le CSE et la mise en place d’un plan de réduction des émissions, sensibilisation des salariés aux questions environnementales par des ateliers participatifs, conférences, évènements…
Utiliser ces politiques de transition écologique comme un élément d’attractivité et de fidélisation des salariés
Dans une société où les préoccupations environnementales sont de plus en plus importantes, une politique de transition écologique concrète au sein d’une entreprise est un véritable critère d’attractivité et de fidélisation des salariés.
Il convient également de souligner que le changement climatique a des conséquences sur la santé au travail et les acteurs du dialogue social ont donc un rôle à jouer à ce titre. Il est en effet nécessaire d’identifier les risques au niveau de chaque entreprise afin de mettre en place des actions dans une logique de prévention. À ce titre, le Conseil économique, social et environnemental (Cese) a adopté le 25 avril 2023 un avis intitulé « Travail et santé-environnement : quels défis à relever face aux dérèglements climatiques ? » dans lequel il formule 17 préconisations pour promouvoir une vision globale de la santé et des actions compatibles avec l’enjeu d’atténuation du changement climatique.
Les services des Ressources humaines sont donc encouragés à s’inspirer de ces propositions et utiliser les outils juridiques à leur disposition.
La transition écologique doit, dès aujourd’hui, être un sujet de dialogue social, afin d’aller vers une économie durable. Les entreprises qui prennent la mesure de ces enjeux dès à présent auront incontestablement un temps d’avance.
Expertise rédigée par Agathe Coatanea, avocate au barreau de Rennes.
1 Neutralité carbone : pour le Groupe d’experts Intergouvernemental sur l’Evolution du Climat (GIEC), la neutralité carbone, ou émissions nettes de CO2 égales à zéro, est la « situation dans laquelle les émissions anthropiques nettes de CO2 sont compensées à l’échelle de la planète par les éliminations anthropiques de CO2 au cours d’une période donnée ».
2 https://www.ecologie.gouv.fr/sites/default/files/dp-plan-sobriete.pdf
3 Article L. 2312-21 du Code du travail et article L. 2312-36 du Code du travail
4 Loi n° 2021-1104, 22 août 2021 : JO, 24 août 2021
5 Article L. 2312-17 du Code du travail et article L. 2312-22 du Code du travail
6 Article L. 122-1, III du Code de l’environnement
7 Article L. 2312-60 du Code du travail
8 https://www.lecese.fr/sites/default/files/pdf/Avis/2023/2023_10_sante_environnement.pdf