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Nous anti-gaspi : l’omnicanal pour sauver les produits imparfaits

Leurs looks de startupers trentenaires, à la basket trendy et aux chaussettes rayées, laissent difficilement présager qu’ils luttent, à leur niveau, contre une hérésie : le gaspillage alimentaire. Il y a deux ans, Thomas Parrain et Vincent Miguel, les deux co-directeurs e-commerce de Nous anti-gaspi, rejoignent l’aventure pour lancer l’activité e-commerce du distributeur né en 2018. Ils mettent des billes dans l’affaire et quittent Paris pour s’installer à Rennes, là où l’histoire de l’enseigne a commencé, sous la houlette des fondateurs Vincent Justin et Charles Lottmann, et où une partie du siège se trouve toujours. Rencontre aux origines d’une stratégie omnicanale antigaspi.

Thomas Parrain et Vincent Miguel, les deux co-directeurs e-commerce de Nous anti-gaspi©Studio Carlito

Thomas Parrain et Vincent Miguel, les deux co-directeurs e-commerce de Nous anti-gaspi ont investi dans l'entreprise ©Studio Carlito

L’aventure a quelques accents mythologiques. Un remake de l’épisode du tonneau des Danaïdes, figurant la lutte contre le gaspillage alimentaire comme un combat sans fin. La France enregistre 10 millions de tonnes annuelles de gâchis alimentaire (voir encadré). Si Thomas et Vincent reconnaissent quelques moments de découragement – quel entrepreneur n’en connait pas ? -, leur conviction est plus forte. « Nous sommes une solution au gaspillage alimentaire. »
L’approche de Nous anti-gaspi est pragmatique et le modèle économique doit tenir la route, « sans cela, il n’y a rien. »

En France, le gaspillage alimentaire équivaut à 10 millions de tonnes par an.

Le premier magasin à Melesse

©Studio Carlito

©Studio Carlito

L’histoire de Nous anti-gaspi commence en 2018. Vincent Justin et Charles Lottmann fondent un réseau de magasins pour lutter contre le gaspillage. Le premier ouvre ses portes à Melesse. L’Ille-et-Vilaine, forte de son bassin agricole et de sa proximité avec Paris, a su séduire les entrepreneurs. Nous anti-gaspi récupère les surplus de la production et les revend entre 30 et 50 % moins cher. Des fruits et légumes, mais pas seulement. De l’épicerie, de la charcuterie, des boissons, des produits d’hygiène… Pratiquement toutes les unités de besoin sont disponibles.
L’enseigne enregistre un chiffre d’affaires de 33 millions d’euros et compte 28 épiceries en France, concentrées dans le Grand Ouest et à Paris.
« Chaque mois, 50 tonnes de produits sont sauvées par épicerie. L’équivalent de 100 000 repas », affiche Vincent Miguel. Depuis peu, Nous anti-gaspi travaille avec Carrefour en fournissant des paniers de fruits et légumes. « Nous sommes en phase de test dans 20 hypermarchés et 400 magasins Carrefour », détaille Thomas Parrain qui y voit la possibilité de faire d’une pierre deux coups : sauver davantage de produits et augmenter la notoriété.

« Chaque mois, 50 tonnes de produits sont sauvées par épicerie. L’équivalent de 100 000 repas »

Selon le rapport de l’Agence de l’environnement et de la maîtrise de l’énergie (ADEME) de 2016, le gaspillage alimentaire en France s’élève à environ 10 millions de tonnes par an. Soit une valeur commerciale estimée à 16 milliards d’euros. L’étude montre que la répartition de ces pertes et gaspillages est la suivante :
– 32 % en phase de production ;
– 21 % en phase de transformation ;
– 14 % en phase de distribution ;
– 33 % en phase de consommation.
Pour la phase de consommation, cela représente 30 kg par personne et par an de pertes et gaspillages au foyer (dont 7 kg de déchets alimentaires non consommés encore emballés), auxquels s’ajoutent les pertes et gaspillages générés en restauration collective ou commerciale.

1200 producteurs partenaires

Ces épiciers d’un nouveau genre sauvent les produits directement chez les producteurs ou les industriels. « La centrale d’achat travaille avec 1200 producteurs partenaires. C’est une autre façon de considérer la production, puisque nous nous adaptons à ce que les producteurs ont. » La coopérative Solarenn, basée à Saint-Armel (35), fait partie de ces partenaires.
Les produits récupérés présentent différentes caractéristiques. Il peut s’agir de produits qui ne correspondent pas aux normes de calibrage traditionnellement imposées par l’industrie, mais qui restent toutefois parfaitement comestibles.
Les emballages abîmés, ou rejetés car saisonniers, sont également récupérés afin d’éviter qu’ils ne soient jetés prématurément. Il y a aussi les produits refusés par la grande distribution en raison de dates de péremption jugées trop courtes.

La marque propre aux 150 références

Nous anti-gaspi a également développé sa propre marque, qui compte 150 références. Des abricots trop mûrs sont devenus une glace et des amandes hors calibre connaissent une seconde vie sous l’étiquette du distributeur.
Toute cette chaîne requiert une organisation logistique au cordeau et l’intégration informatique des produits, qui changent en permanence, est un véritable travail de Sisyphe. « Notre département IT est particulièrement développé. »

Le lancement du site e-commerce

Depuis Cesson-Sévigné, Mickaël prépare les colis commandés sur le site. ©Studio Carlito

Depuis Cesson-Sévigné, Mickaël prépare les colis commandés sur le site. ©Studio Carlito

En 2021, Thomas et Vincent, qui ont dans l’idée de lancer un site de vente en ligne contre le gaspillage, croisent la route de Vincent Justin et Charles Lottmann. Le charme opère. Les quatre entrepreneurs se mettent autour de la table pour bâtir une stratégie incluant le e-commerce dans l’avenir de l’enseigne et surtout, préparer la levée de fonds. 8 millions d’euros plus tard, le site web sort des cartons. Les directeurs e-commerce se sont installés au-dessus du magasin de Cesson-Sévigné. « C’est le magasin pilote pour tester des choses, un entrepôt y est adossé et l’équipe des achats se trouve ici. »
Les deux hommes ont mis au point plusieurs services : du click and collect dans les quatre magasins du pays rennais, la livraison (en vélo) de produits frais et secs à domicile à Rennes, et la livraison nationale, uniquement de produits secs.
Au début, le site e-commerce dispose de 300 références avant de rapidement passer à un millier. « L’objectif est d’avoir un maximum d’unités de besoin pour que les clients puissent faire au maximum leurs courses chez nous. »
Pas toujours simple de séduire les clients sur le web, plus difficiles à convertir, à fidéliser et plus « promovores. » « Aujourd’hui, le chiffre d’affaire du e-commerce n’est pas encore significatif. Nous notons une courbe de croissance de 20 à 30 % mensuels. Les quatre fonds d’investissement avec lesquels nous travaillons sont dans une logique d’accompagnement, ils ne viennent pas checker les compteurs tous les mois. »
La reconnaissance des pairs arrive. Le distributeur reçoit en février le prix FEVAD du meilleur site dans la catégorie « éco-responsable » et plus récemment deux trophées du commerce remis par l’Union du commerce du Pays de Rennes.

La suite ?

Nous anti-gaspi se structure pour étendre son action à d’autres régions et répondre à la demande croissante de livraison de produits frais. Dans cette optique, la mise en place d’un entrepôt en région parisienne est prévue.
Autres projets dans les tuyaux : développer une offre d’abonnement aux paniers de légumes et ritualiser les commandes groupées en entreprise, une formule est déjà mise en place dans les entreprises rennaises Steeple, Zenika et Ariadnext.
Fin septembre, les deux acolytes préparent une opération à l’occasion de la journée de sensibilisation à lutte contre le gaspillage. « Nous travaillons à l’organisation d’un marché d’artisans antigaspi. Nous espérons avoir l’autorisation de la mairie de nous installer place Saint-Germain. »

L’enseigne développe les commandes groupées en entreprise. Une formule déjà mise en place dans les entreprises rennaises Steeple, Zenika et Ariadnext.

Des jeunes pousses de l’anti-gaspi commercialisées chez Nous anti-gaspi :

– les confitures Re-Belle, à base de fruits et de légumes trop mûrs, écartés des rayons de Monoprix, notamment;
– les biscuits Kignon, des cookies élaborés à base de pain bio invendus. Les cookies sont mis en boîte par des personnes en situation de handicap;
– les bières Sicambre, confectionnées avec une base de pain;
– les préparations pâtissières Maltivor, à base de farine de drêches, la pellicule qui enveloppe l’orge;
– les Rescapés, des macarons surgelés trop petits ou cassés.