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Une Bretonne vice-présidente du Conseil national des barreaux : rencontre avec Hélène Laudic-Baron

L'assemblée générale élective de mi-décembre a dévoilé la composition du Bureau du Conseil national des barreaux (CNB) pour la mandature 2024-2026. L'avocate fougeraise et ancienne bâtonnière du barreau de Rennes, Hélène Laudic-Baron, prend la vice-présidence de l'instance suprême, porte-voix de 74 000 avocats français. Elle fait le point sur les grands défis qui façonnent la profession et impacteront son mandat : la communication, l’intelligence artificielle, l'aide juridictionnelle, ainsi que la nécessité de renouer le lien entre les avocats et leur organisation professionnelle nationale.

©Studio Carlito

7 Jours. C’est une première, une Bretonne vice-présidente du Conseil national des barreaux (CNB). Vous étiez déjà membre, au sein de la commission Communication institutionnelle et de la commission Règles et usages. Qu’avez-vous envie de porter avec cette vice-présidence ?

Hélène Laudic-Baron. Il est essentiel de représenter la profession dans toute sa diversité et sa modernité. Malheureusement, la communication reste un domaine sous-exploité par les avocats. Certains demeurent sans savoir qu’ils ont le droit de mener des actions de sponsoring, par exemple. La profession souffre de stéréotypes qui perdurent : à commencer par l’inaccessibilité et l’élitisme. Il devient impératif de changer cette perception en promouvant une communication plus ouverte, démontrant ainsi que les avocats peuvent être à la fois respectueux de la déontologie, socle de la profession, et en phase avec la modernité.

Les avocats peuvent être à la fois respectueux de la déontologie, socle de la profession, et en phase avec la modernité.

Quels sont les autres défis de la profession ?

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HLB. L’intelligence artificielle est un défi renforcé, car la déontologie constitue une préoccupation centrale au sein de notre profession. Par essence, nous sommes particulièrement sensibles aux questions d’éthique. J’ai travaillé sur la justice prédictive lors de l’expérimentation du logiciel Prédictice à la Cour d’appel de Rennes, ce n’était pas concluant. L’intelligence artificielle (IA) peut s’avérer pertinente pour automatiser des tâches répétitives, dépourvues de valeur ajoutée. Le CNB doit doter judicieusement ses membres de ces outils, car il est indéniable que nous n’échapperons pas à l’utilisation d’outils tels que Chat GPT dans la profession. Il faut tirer parti de l’IA de manière stratégique, en préservant nos valeurs fondamentales et en garantissant la qualité des services juridiques. Car, à mes yeux, ce qui restera en tout état de cause le plus précieux, c’est l’engagement personnel de l’avocat signataire de tout avis, contrat ou autre document.
Nous avons aussi un vrai challenge d’attractivité dans les cabinets. Le problème est à double entrée. D’une part, de jeunes avocats quittent la profession dans les cinq premières années, et d’autre part, il est difficile de recruter des avocats collaborateurs. Aujourd’hui, les avocats aspirent davantage à être associés ou s’installer en individuel. La nouvelle génération valorise un meilleur équilibre de vie. Les horaires prolongés et les semaines interminables ne peuvent plus être considérés comme la norme. C’est un changement qui demande une adaptation pour attirer et retenir les jeunes talents.

Ce qui restera en tout état de cause le plus précieux c’est l’engagement personnel de l’avocat signataire de tout avis, contrat ou autre document.

Que fait le CNB pour lutter contre les retards de paiement de l’aide juridictionnelle, dénoncés par de nombreux avocats ?

HLB. Avec l’aide juridictionnelle, les avocats continuent de travailler à perte. Les retards proviennent des difficultés de paiement des dotations par la Chancellerie. C’est un serpent de mer, la profession y travaille en permanence. En plus, cela représente un coût à la charge des barreaux. À Rennes par exemple, trois salariés de l’Ordre travaillent à plein temps pour assurer la gestion de cette aide. C’est un sujet que je connais bien, j’ai été présidente de la commission accès au droit à la Fédération Nationale des Unions de Jeunes Avocats (FNUJA) et j’ai été nommée, par le garde des Sceaux, membre titulaire du Conseil national de l’aide juridique (CNAJ), en qualité d’avocat, en février 2023. Il s’agit d’un organe consultatif, dont les avis sont sollicités lors de réformes procédurales.

La mise en place des cours criminelles départementales et leur validation par le Conseil constitutionnel soulèvent de grandes inquiétudes dans la profession. Quelle est votre position ?

HLB. J’ai assisté à l’audience du Conseil constitutionnel en tant que représentante du barreau de Rennes. Pour avoir obtenu des acquittements devant des cours d’assises, j’ai pleinement conscience de l’importance du jury. Et pour un juré, l’expérience ne s’oublie jamais. Je ne crois pas qu’un citoyen puisse avoir la même compréhension de la portée d’un procès en le regardant devant son téléviseur.

Profession libérale, très concurrentielle, cela doit être difficile de faire cohabiter tout le monde dans une instance. Quel rapport les avocats entretiennent-ils avec le CNB ?

HLB. Un des échecs, indéniablement, qui se transforme en défi majeur, est l’abstention significative aux dernières élections. Il y a une forme d’individualisme croissant auquel nous devons faire face. Pourtant, avoir une organisation telle que le CNB est une véritable chance. Il ne se limite pas à la gestion du RPVA (Réseau Privé Virtuel des Avocats), à des campagnes de communication, ou au paiement – modique – de la cotisation. Avant d’intégrer ces instances, moi non plus, je ne me rendais pas compte de la richesse des services disponibles pour les confrères, sur des questions professionnelles et, si nécessaire, sur des problèmes personnels.

Le CNB comprend une assemblée de 80 membres élus pour 3 ans, dont 48 avocats pour la circonscription nationale, 32 pour Paris, et deux membres de droit. À chaque renouvellement, la présidence doit alterner entre Paris et la province. C’est un organe très parisano-centré, vous ne trouvez pas ?

HLB. Je comprends que vous disiez cela et ce n’est pas faux. J’apporterai sans doute ce regard de l’ancrage territorial. C’est un sujet qui me tient à cœur. Le droit et l’avocat doivent être partout sur le territoire. À Fougères (à 50 km de Rennes, ndlr), où j’ai mon cabinet, nous sommes plusieurs à nous être battus avec succès pour la réouverture du tribunal. J’ai aussi collaboré au sein d’un groupe de travail sur le pilotage des organisations, dirigé par Xavier Ronsin (ancien premier président de la Cour d’appel de Rennes et aujourd’hui conseiller justice à l’Élysée, ndlr) lors des États généraux de la justice, avec un volet sur la territorialité.

Et l’international ?

HLB. Le CNB a une commission des Affaires internationales en lien avec DBF, la délégation des barreaux de France à Bruxelles. Cette commission a deux volets majeurs : la défense des confrères en matière de droits de l’Homme et l’échange de pratiques professionnelles. L’international est une dimension que j’aime. Au fil de mes engagements, j’ai tissé des amitiés solides avec des confrères étrangers. Je suis également allée une quinzaine de fois en Turquie, où j’ai suivi les procès de confrères privés de liberté.

©CNB/7Jours

Bonus spécial avocat

Quels ont été vos différents engagements au service de la profession ? « J’ai occupé la présidence de l’UJA (Union des Jeunes Avocats) de Rennes, tout en assumant des responsabilités d’enseignement à l’EDAGO, l’École des avocats du Grand Ouest, où j’ai également siégé au Conseil d’administration. En 2007, j’ai intégré le Conseil de l’Ordre du Barreau de Rennes. En 2018, j’ai été élue à la fonction de bâtonnier pour le mandat 2019-2020. À la fin de mon mandat, je reste membre du Conseil de l’Ordre. J’étais candidate sur le collège ordinal province du CNB pour le mandat 2021-2023, et mes confrères m’ont fait l’honneur de m’élire en première position. »

Pourquoi avoir choisi l’avocature ? « Par attirance et respect de l’Autre. Chaque dossier me transforme un peu et c’est ce qui me passionne. »

Un mentor ? « Francis Poirier, l’ancien bâtonnier de Rennes de 2005 à 2006, dont j’ai repris le cabinet à Fougères et qui est resté collaborateur ensuite plusieurs années. J’ai appris mon métier en observant sa pratique. C’est lui qui a poussé ma première participation à la convention nationale des avocats à Marseille. »

L’affaire qui vous a laissé la plus forte empreinte ? « Un acquittement obtenu aux assises de Saint-Brieuc ; je défendais une femme accusée du meurtre de son compagnon. »

Comment préparez-vous une plaidoirie ? « Pour les Assises, l’approche est toujours singulière. Il peut m’arriver de rédiger intégralement ma plaidoirie, tandis que d’autres fois, je me contente de noter les idées fortes. En ce qui concerne les affaires aux prud’hommes ou le contentieux commercial, qui représentent le cœur de ma pratique, je ne rédige pas. »

Quel est votre prochain rendez-vous en tant que membre du CNB ? « J’assisterai aux vœux du Conseil constitutionnel le 9 janvier.»