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Catherine Glon, bâtonnière de Rennes : « L’avocat, personne ne peut s’en passer »

Me Catherine Glon, bâtonnière du barreau de Rennes pour la mandature 2023-2024, représente le millier d’avocats de cette juridiction. État des lieux de privation de liberté, défis de l’installation des jeunes avocats, elle aborde une diversité de sujets… Et parmi eux, celui des cours criminelles départementales, qui suscite son indignation. Au cœur de ses convictions, une idée : l'avocat représente l'une des pierres angulaires de la confiance citoyenne en la justice.

Me Catherine Glon, dans son bureau à la Maison des avocats de Rennes. ©SB_7J

Me Catherine Glon ©SB_7J

Cours criminelles départementales

7J. Le Conseil constitutionnel a tranché et valide les Cours criminelles départementales – composées exclusivement de cinq magistrats professionnels, sans jury populaire, elles traitent, en première instance, les crimes passibles d’une peine maximale de vingt ans de réclusion criminelle – quelle est votre réaction ?

CG. Le barreau de France est convaincu que c’est l’annonce de la disparition des cours d’assises. Nous sommes extrêmement déçus que le Conseil constitutionnel refuse de consacrer le jury populaire comme un principe républicain essentiel. Nous continuerons de nous battre pour faire reconnaître que les cours criminelles ne sont pas une juridiction légitime. Nous réfléchissons à d’autres formes d’action. Pour des citoyens, rendre la justice permet de mesurer à quel point il ne peut y avoir aucune décision qui condamne un homme ou une femme sans énormément de réflexion. Le fait de casser cela pour des motifs essentiellement économiques apparaît, pour les avocats et au delà, comme une catastrophe. Les choses sont pensées à l’envers. Il faut donner à la justice plus de moyens pour pouvoir juger dans des délais raisonnables. Un dossier ne remplacera jamais les explications que doivent les enquêteurs et les experts à la recherche de la vérité judiciaire. Une audience où tout le monde s’exprime permet la recherche de la contradiction et donc, la naissance du doute, qui est la conduite essentielle d’un procès criminel. Promulguer une loi pour la confiance dans l’institution judiciaire et exclure le peuple des procès est profondément contradictoire.

Promulguer une loi pour la confiance dans l’institution judiciaire et exclure le peuple des procès est profondément contradictoire.

7J. Quelles différences fondamentales entre les cours criminelles et les cours d’assises ?

CG. Le nombre de juges d’abord, 9 devant une cour d’assises, 5 devant une cour criminelle. La façon de juger : devant une cour d’assises, il faut 7 voix pour décider d’une culpabilité, 3 devant une cour criminelle. La façon d’écouter aussi, les juges professionnels ont accès aux dossiers, pas les jurés. Et la façon de se poser par rapport aux différents acteurs du procès. Les juges professionnels sont accoutumés à la souffrance et aux raisonnements juridiques. Pour la mise en oeuvre de la cour criminelle dans le département, il n’y a pas eu d’organisation concertée avec le Barreau. Je suis en attente d’achèvement d’une réflexion avec le procureur général et le président des assises dans laquelle la défense doit trouver toute sa place.

7J. Seront en majorité jugés des crimes sexuels, qui concernent principalement les femmes. Y voyez-vous un symbole ?

CG. C’est une discrimination très blessante pour les victimes de viol. C’est un traitement différencié, inexplicable. Tout le combat mené pour dire que le viol était un crime contre l’intégrité physique et psychique d’une personne est affecté par le fait que ce crime est désigné comme le premier à pouvoir être jugé par une cour criminelle. Cela interroge. Pourquoi le viol et pas d’autres attentes à la personne ?

Point de mi-mandat

7J. Le lendemain de votre entrée en fonction, vous avez exercé votre droit de visite à la prison de Rennes-Vezin. Quel est votre constat sur les lieux de privation de liberté rennais ?

CG. La surpopulation de l’établissement de Vezin est très préoccupante, par priorité pour les personnes détenues et pour le personnel pénitentiaire. La prison des femmes, quant à elle, est un établissement atypique architecturalement. Nous avons entamé deux recours contre des conditions indignes de détention. Nous serons très attentifs aux conditions matérielles et psychique du Quartier de Prise en charge de la Radicalisation (ouvert en septembre 2021, le premier en Europe pour les femmes, ndlr). Au commissariat, les locaux de garde à vue sont dans des conditions indignes. La saleté, la promiscuité, la pollution sonore, sont contraires à toute notion d’humanité. Au centre éducatif fermé (CEF) pour mineurs, l’état de dégradation des locaux nous a beaucoup surpris. Les conditions matérielles sont très insuffisantes ; nous en entendons moins parler car c’est moins emblématique que les prisons pour majeurs.

7J. Vous rapprocher des chefs d’entreprise est une des lignes directrices de votre mandat.

CG. Une des priorités de mon mandat est de rendre visible l’avocat dans son rôle de défense et de conseil et favoriser encore davantage le réflexe pour un chef d’entreprise de recourir au concours d’un avocat dès la création d’une société. Les avocats, à qui reviennent le monopole de l’exercice du droit, sont aussi légitimes que les autres acteurs. Nous organisons une journée des entreprises le 26 janvier, « Dirigeants : découvrez les outils juridiques pour aborder 2024 sereinement », en présence du Président du tribunal de commerce de Rennes.
Droit social, fiscalité, choix de la structure, droit pénal de l’entreprise… À Rennes, tous les champs du droit sont couverts. Il n’est pas nécessaire d’aller à Paris pour trouver un avocat. Nous devons étendre encore le secteur du droit du numérique.

Systématiser le réflexe avocat.

7J. Charge de travail, stress, insécurité de l’exercice libéral, nombre de jeunes avocats quittent leur carrière pour d’autres fonctions. À Rennes, que faites-vous et y a-t-il de la place pour les jeunes ?

CG. L’exercice libéral est exigeant et envahissant pour toute profession libérale. Je ne suis pas inquiète pour la profession d’avocat, qui est si indispensable que personne ne pourra s’en passer. Il faut être extrêmement solidaires et très forts. Je dis aux jeunes : il y a de la place. D’ailleurs, le Barreau de Rennes est de plus en plus jeune et féminin. Tout le monde peut trouver sa place. Cela suppose une organisation collective pour que chacun exerce comme il l’entend. Faire un budget prévisionnel, trouver des partenaires, choisir sa structure…l’exercice libéral demande un apprentissage. Notre partenariat avec Yao! va en ce sens.

 

La question bonus

Et vous, quelle est l’injustice originelle qui vous a donné envie d’être avocate ?

Je suis née avec l’engagement. J’avais 13 ans lorsque je suis entrée à la Maison des associations. À ce même âge, j’ai su que je voulais devenir avocate. Je ne conçois pas ma propre existence sans engagement, sans action militante. Mon combat essentiel est celui contre toute forme de discrimination et d’inégalité. Je ne comprends pas qu’on ne puisse pas avoir la chance de faire ce que l’on souhaite. Je n’ai jamais rencontré un humain qui n’est pas de ressources pour résister et le métier d’avocat permet cela.