7Jours. Comment la cour s’est-elle organisée pour accueillir les premiers procès en CCD et le dispositif fonctionne-t-il correctement ?
Ronan Le Clerc. Il y a eu une collaboration étroite entre les chefs de cours, le président des assises et l’Ordre des avocats du barreau de Rennes. Inspirés par l’expérimentation menée à Nantes*, nous avons mis en œuvre une méthodologie qui préserve l’intérêt des justiciables et les attributions de chacun. Il y a un volet RH, il faut trouver cinq magistrats, un greffier ; puis des aspects très concrets comme la disponibilité des salles d’audiences tout en respectant les délais de comparution. Sur le fond, un dossier de CCD reste un dossier criminel dans sa une préparation et son instruction. Il n’y a pas eu de dysfonctionnement sur la préparation de la CCD d’Ille-et-Vilaine.
7J. La suppression des jurés populaires a pour objectif de désengorger les cours d’assises avec un audiencement plus rapide, qui réduit les coûts. Quelle est la durée d’audience en CCD, comparée aux assises ?
RLC. L’objectif est de bien juger, pas de gagner des jours d’audience à tout prix. La juridiction se professionnalise ; de fait, les délais sont plus courts. Le gain moyen est d’une demi-journée à une journée. Une journée aux assises représente 2060 euros, alors qu’une journée en CCD, 1100 euros puisqu’il n’y a, notamment, pas l’indemnisation des jurés. Lorsque l’accusé est en détention provisoire, le délai d’audiencement moyen est de 17 mois aux assises, contre 8,6 mois en CCD. Lorsque l’accusé est libre, il est de 19 mois aux assises et de 17 mois en CCD. Tout le système est profitable. Cependant, l’obligation de juger les dossiers d’accusés détenus en CCD dans le délai maximal d’1 an, contre 2 ans en cours d’assises, risque de se répercuter sur les stocks.
À savoir
Après un premier examen par la Cour de cassation, le Conseil constitutionnel doit se prononcer sur 4 questions prioritaires de constitutionnalité (QPC) concernant les CCD, dans un délai de 3 mois.
Pourquoi la Cour de cassation renvoie-t-elle ces QPC au Conseil constitutionnel ?
« Ces QPC invoquent la violation d’un principe constitutionnel selon lequel le jugement des affaires criminelles devrait faire intervenir des jurés. Or, cette question est nouvelle, le Conseil constitutionnel n’ayant encore jamais eu l’occasion de dire si un tel principe constitutionnel existe ou non. Ces QPC interrogent par ailleurs la différence de traitement entre les accusés, selon qu’ils sont jugés ou non par des jurés. Or, la question est sérieuse, notamment parce que les règles concernant la détermination de la majorité nécessaire pour prononcer un verdict de culpabilité ou la peine maximale encourue sont différentes selon que les accusés sont jugés par une juridiction comprenant ou non des jurés », peut-on lire dans un communiqué de la juridiction.
7J. Peut-on juger plus vite et bien ? Autrement dit, les CCD permettent-elles des améliorations ?
RLC. Pour un viol, les peines prononcées en cour d’assises et en CCD sont sensiblement les mêmes – 10,2 ans de prison aux assises, 9,6 ans en CCD. C’est le signe qu’on ne juge pas mal. La justice est tout aussi restaurative. Il n’y a pas de différence sur le fond avec une cour d’assises. Même nature, même gravité, mêmes magistrats, mêmes avocats.
7J. Au regard des premiers procès, y a-t-il des différences profondes avec les assises ? L’affaiblissement de l’oralité des débats peut-être ?
RLC. Il n’y a aucune atteinte à l’oralité des débats, qui reste le principe, ni au contradictoire, ni à l’œuvre de justice. Le siège, l’avocat général et l’avocat définissent experts et témoins qui comparaissent devant la cour. Les magistrats professionnels savent appréhender une expertise psychologique ou technique. Si l’on prend l’exemple d’un rapport balistique, les conclusions sont plus facilement intelligibles pour un magistrat que pour un juré. Pour le ministère public, ll faudra toujours démontrer la culpabilité, mais convaincre des professionnels, plus des jurés, du moins en première instance. Ce n’est pas mieux ou moins bien. Ce qui conditionne le choix de la juridiction c’est le quantum de la peine encourue. Ce sont deux méthodologies qui n’ont pas à être hiérarchisées. Et je rappelle que la cour d’assise continue d’exister puisqu’en cas d’appel d’une décision de CCD, il y a un réexamen en cour d’assises avec la présence des jurés. Le taux d’appel de l’expérimentation de Nantes est de 21% en CCD contre 18% aux assises.
7J. Des voix se sont élevées pour dire que des victimes vivaient l’absence de jury populaire comme une forme de correctionnalisation imposée, qu’en pensez-vous ?
RLC. Pour une victime, entendre tout le déroulé de l’affaire en audience, devant des jurés, peut être très difficile. Il s’agit d’une intromission violente dans son intimité qui fait certes partie de la catharsis de l’audience mais qui est une exposition éprouvante. Le fait d’être confronté à des professionnels peut être une manière de préserver la victime et faciliter la libération de sa parole.
Nombre de procès en CCD sur le ressort de la cour d’appel de Rennes au 1er semestre
Morbihan : 3
Côtes-d’Armor : 8
Finistère : 12
Ille-et-Vilaine : 5
Loire Atlantique : 16
* Depuis 2019, expérimentation dans 15 départements dont la Loire-Atlantique. À Nantes : 51 affaires jugées en CCD, 90% des faits de nature sexuelle (81% de viol), et 5% coups mortels.