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Rencontre avec Marie-Laure Collet : Hors cadre

Si le don d’ubiquité a été découvert par un Breton, il l’a sans conteste été par une Bretonne, du nom de Marie-Laure Collet. Cette spécialiste des ressources humaines est de tous les réseaux : Medef, Produit en Bretagne, CCI Bretagne… Elle vient de quitter la présidence nationale de l’Association pour l’emploi des cadres (Apec). Bien connue des milieux économiques bretons, qui est cette cheffe d’entreprise, aujourd’hui ambassadrice du groupe rennais Interaction ? Rencontre.

Elle est peut-être la réincarnation féminine du dieu celte Manannan, au don d’ubiquité. Sa présence récente dans tous les titres de presse locale en est d’ailleurs la meilleure illustration et a dû la réconcilier avec ceux qui l’avaient, d’après elle, un peu « boudée pendant son mandat à la présidence de l’Apec. Nul n’est prophète en son pays. »

Son CV

Pour rappel, Marie-Laure Collet c’est sept mandats : à l’APEC, au Medef Bretagne, à la fédération Syntec, chez Bretagne développement innovation, chez Produit en Bretagne, à la CCI Bretagne et Ille-et-Vilaine, au sein de l’association Breizh Lab. Sans compter ses engagements pour les associations Entreprendre pour la planète, Conquérants Bretons et À Compétence Égale. Inutile de s’étendre sur son rôle de mécène à la fondation FACE et ses adhésions à la French Tech et à Bretagne Prospective. Reprenez votre souffle, ce n’est pas fini. Nous n’en sommes qu’aux occupations bénévoles.

Car Marie-Laure Collet est la présidente de la holding Kalicea, spécialisée dans le conseil, le recrutement et les ressources humaines, composée de trois sociétés : Abaka, Calder & Partners, qu’elle a fondées, et MyJob.Company, plateforme numérique de recrutement achetée en 2018. Elle est aussi ambassadrice du groupe rennais Interaction, en charge des relations institutionnelles et du lobbying. Comprendre : cadre dirigeante membre du conseil stratégique.

« J’ai besoin de reconnaissance »

©Studio Carlito

À 57 ans, que lui manque-t-il ? La politique peut-être, elle qui est proche de Jean-Yves Le Drian. « Je n’ai pas d’ambition électorale. » Un poste de conseillère au ministère du Travail ? « Joker ! », lâche-t-elle dans un grand sourire. Doux rêve ou possibilité déjà évoquée avec les intéressés, nous n’en saurons pas davantage.

Difficile de percer le secret de Marie-Laure Collet pour être sur autant de fronts à la fois. « Je ne compte pas les heures. Je fais de ma vie quelque chose d’enthousiasmant. Je veux être à fond dans tout. Bien sûr, je suis parfois fatiguée et j’ai besoin de me ressourcer. Quand je n’y arrive pas, je le dis. Et j’ai cette chance de savoir reconnaître mes erreurs. » Le leitmotiv serait-il l’ego ? « J’ai besoin de reconnaissance, je le sais. Si tel n’était pas le cas, je me serais dirigée vers un couvent. Bien sûr, c’est une image, dit-elle en riant. Mais chacun de mes mandats est effectué à titre bénévole. Ce qui me rémunère, c’est le rôle de levier commercial que j’assume pour Interaction. Ma reconnaissance réside dans le fait que tout ce que j’entreprends doit servir le territoire, les entreprises et être entendu par les gouvernants. »

Les débuts

Issue d’une famille de fonctionnaires, attachés à l’éducation culturelle et sportive, la jeune Marie-Laure a le choix : le droit ou la musicologie. « J’étais l’archétype de la bonne élève, très scrupuleuse. » Ce sera la musicologie. « La faculté était à Rennes, à 100 kilomètres de chez mes parents, j’ai préféré l’horizon de liberté. » En 1990, elle va jusqu’à entamer un doctorat qu’elle lâche pour l’Institut de gestion de Rennes (IGR). « Je n’étais pas un rat de bibliothèque mais tournée vers l’extérieur. »
Après un stage à la FNAC de Rennes, elle est repérée par Jean-Louis Pétriat, alors directeur général de l’enseigne, qui la recrute comme chargée de missions en marketing et merchandising. Elle découvre « l’entreprise au sens large », comme une épiphanie. « J’ai été élevée avec le sens du service public, du bien commun, j’avais ses fondamentaux, mais là je découvre le goût du challenge, à destination de la réussite entrepreneuriale. » Ces débuts à la FNAC, dont l’acronyme signifie Fédération nationale d’achats des cadres, sonnent aujourd’hui comme annonciateurs de la suite. En prenant des responsabilités au sein de l’Apec (Association pour l’emploi des cadres), « la boucle est bouclée, le vocable cadre me poursuit ».

Sa présidence de l’APEC

Fin 2021, Marie-Laure Collet est élue, au nom du Medef, à la présidence de l’organisation paritaire, pour deux ans, dans le cadre de l’alternance patronat-syndicats. « Je n’étais pas préparée à devenir si vite présidente. » Pour donner une coloration à son mandat, Marie-Laure Collet dit être partie de ce qu’elle est : « une femme des territoires, une femme de TPE / PME, une femme engagée dans les réseaux bretons. » Qu’à cela ne tienne. Elle commence par une tournée des antennes de l’Apec. « Je suis allée dans tous les centres, y compris, les territoires ultramarins, à la rencontre des délégués régionaux et des collaborateurs. Trop souvent, on construit la politique de l’emploi en massifiant. Certes, il faut de grandes orientations nationales, mais il faut laisser de la latitude aux territoires pour que les actions soient efficientes. »

Les cadres en chiffres

National
21% de la population active salariée (verser 20% d’ouvriers)
40% sont des femmes

Bretagne
131 160 cadres en 2022 dont 34 % de femmes
48% des cadres sont en Ille-et-Vilaine
25 % dans le Finistère
16% dans le Morbihan
11% dans les Côtes-d’Armor
8 850 recrutements étaient prévus en 2023, soit -6 % par rapport à 2022

(Source : Étude L’emploi cadre en Bretagne, Apec)

France Travail

L’Apec a fait partie des travaux de préfiguration à la loi France Travail. Dans ce cadre, elle a eu l’occasion de travailler avec Thibaut Guilluy, directeur général de France Travail. « Je vois ce changement d’un très bon œil. Du millefeuille, nous allons vers un parcours unique pour aller chercher les gens loin de l’emploi et les accompagner le plus vite possible. »

Elle vient tout juste de passer le flambeau de la présidence du conseil d’administration de l’Apec, mais reste première vice-présidente et présidente du comité régional d’Île-de-France. Une infidélité à ses réseaux bretons ? « Je considère que la Bretagne comporte sept départements : les quatre administratifs, la Loire-Atlantique, Paris et la diaspora bretonne à travers le monde. »

Le groupe Interaction

Loïc Gallerand a créé Interaction en 1991. Le groupe, spécialiste du recrutement et de l’interim, compte aujourd’hui 200 agences et cabinets répartis sur le territoire, 1000 salariés, affichait 325 millions d’euros de chiffre d’affaires en 2021 et tablait sur une croissance de 30% en 2022. ©Studio Carlito

Peu de temps avant sa prise de mandat à l’Apec, Marie-Laure Collet a ouvert le capital de ses entreprises au spécialiste du recrutement et de l’intérim Interaction. « Pour poursuivre le développement et en même temps m’alléger de « l’opérationnalité », il me fallait faire entrer un groupe au capital. J’ai eu le choix et je n’ai pas forcément choisi le mieux disant financièrement mais le mieux disant sur le registre des valeurs. » Depuis 2022, Marie-Laure Collet est ambassadrice du groupe Interaction. Concrètement, elle est responsable du lobbying et associée aux réflexions stratégiques. Et pour cette profession des intermédiaires privés de l’emploi, elle a une ambition précise : « J’ai un but dans la vie : j’aspire à ce que notre métier soit réglementé, avec des règles éthiques et déontologiques, et certifié, à l’échelle nationale et européenne. Lorsque j’aurai réussi cela, j’aurai le sentiment du travail accompli. Cela éviterait les charlatans et fluidifierait le marché du travail. Nous évaluerons uniquement la compétence. Cela fera fi des discriminations. » Elle s’est vue confier la question de l’inclusion pour le groupe. « Fondation, entreprise à mission, nous nous interrogeons. »

« Être une femme m’a aidée »

L’inclusion, justement, parlons-en. Dans une société où les femmes sont souvent les numéros 2, quel est le regard de Marie-Laure Collet sur l’égalité femmes hommes ? « Depuis la loi Rixain* de 2021, les choses ont bien évolué, même si toutes les entreprises ne sont pas encore au même niveau de sensibilisation. L’égalité, nous ne l’aurons jamais. Je réclame l’équité. Personnellement, ce qui me pèse le plus lorsque je suis dans une assemblée, c’est que je mesure 1m53. Quand des hommes d’1m80 parlent entre eux, je dois me mettre sur le bout des pieds. Ce n’est pas parce que je suis petite que l’on ne doit pas me regarder, me respecter et écouter ce que je dis. »

Au sujet des carrières féminines, Marie-Laure développe : «  J’ai eu trois enfants. Enceinte, je me suis arrêtée de travailler, et le temps court. J’étais moins disponible pour ma vie professionnelle parce que j’ai voulu être moins disponible. C’est la volonté des femmes, il ne faut pas que nous nous trouvions des excuses. Il faut juste assumer. À partir du moment où on est aligné avec ses objectifs personnels, on a la possibilité de faire des choses.  Quel sens voulons-nous donner à notre vie ?Je ne me suis pas fixée de but de carrière. J’ai fait ce que j’avais à faire au moment où je devais le faire. J’ai eu des sollicitations, j’ai eu à faire des choix et le fait d’être une femme m’a aidée. Il faut voir le verre à moitié plein. »

 

BONUS

Un conseil pour bien réseauter ? « Adhérer avec bienveillance et générosité, et seulement si on est en résonance avec le réseau ou l’association. Il faut un équilibre entre ce qu’on vient chercher et donner. »

CV et lettre de motivation, toujours utiles ? « Curriculum vitæ, cela fait combien de temps que l’on ne parle plus latin ? Il faut privilégier les compétences et les valeurs d’un candidat. La lettre de motivation a encore du sens, mais après un premier échange avec l’entreprise. »

Une personne inspirante ? « Maryvonne Labeille et François Humblot qui sont tous les deux des confrères, des sachants dans mon métier, qui le pratiquent avec éthique et déontologie pour le faire avancer. »

Des activités en dehors du travail ? « Je vois mes amis. Je me promène en bord de mer, j’ai une maison à Arzon, dans le Morbihan. Je fais du ski, j’aime tous les éléments. J’aime aussi lire et j’ai envie d’écrire pour matérialiser ce que je dis. »

* La loi vise à « accélérer l’égalité économique et professionnelle » avec une obligation de représentation entre femmes et hommes parmi les cadres dirigeants et les instances dirigeantes.