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Noël, emblèmes religieux & neutralité : le ménage à trois (Rois Mages)

L’avent, sa féérie…et ses crèches de Noël ! La France est laïque (1), c’est un poncif. À ce titre, l’expression d’une appartenance à une religion est encadrée, tant dans la sphère professionnelle que dans l’espace public. Dans le sillage de la loi de 1905, l’installation d’emblèmes religieux dans les cercles publics et privés doit être conciliée avec le principe de neutralité. Plus de cent ans après ce texte, alors que les préparatifs des festivités de la nativité vont bon train, sous quelle étoile (juridique) le petit Jésus peut-il se placer à l’aube de 2023 ?


Maître Thomas Manhès ©DR

En entreprise : suivre l’Étoile du Berger

Rédigé par l’employeur, le règlement intérieur donne la mesure en matière de neutralité dans l’entreprise. Pour mémoire, sa mise en place est obligatoire dans les entreprises (ou établissements) employant cinquante salarié·e·s et plus. Il est facultatif – mais recommandé – dans les autres cas. Ce document fixe les obligations en matière de santé, de sécurité, de discipline…mais pas seulement.
Ainsi, le Code du travail précise entre autres que « le règlement intérieur peut contenir des dispositions inscrivant le principe de neutralité et restreignant la manifestation des convictions des salariés si ces restrictions sont justifiées par l’exercice d’autres libertés et droits fondamentaux ou par les nécessités du bon fonctionnement de l’entreprise et si elles sont proportionnées au but recherché »(2).

Les convictions des salarié·e·s peuvent donc être restreintes si cela autorise l’exercice d’autres droits et libertés (à l’instar de la liberté de conscience) ou à raison du bon fonctionnement de l’entreprise (3). Dans l’absolu et par une rédaction fine du règlement intérieur, l’employeur peut en conséquence organiser un espace professionnel absolument neutre et proscrire explicitement la mise en œuvre annuelle d’une crèche de Noël (en même temps que tout autre signe ou emblème, d’ailleurs (4)). À l’inverse, et de manière plus commune, il peut également expressément autoriser ce type d’installation temporaire afin d’anticiper d’éventuels débats internes à ce sujet. Seule ligne rouge : l’intention ne doit pas être prosélyte.

Les autres symboles festifs – sapin, éclairages, décorations – sont admis sans condition, hors nécessité du bon fonctionnement de l’entreprise, notamment tiré de l’hygiène et/ou la sécurité.
Pour autant, le Code du travail ajoute que « Nul ne peut apporter aux droits des personnes et aux libertés individuelles et collectives de restrictions qui ne seraient pas justifiées par la nature de la tâche à accomplir ni proportionnées au but recherché (5) ». Dans ce cadre, il n’est pas possible de contraindre individuellement un·e salarié·e à participer activement aux opérations de décoration ou de célébration des festivités de Noël.
Autrement dit, sa mise en retrait de ces installations et festivités ne peut pas être sanctionnée (6); plus légèrement : ne forcez pas à la messe sans foi !

Dans l’espace public : il suffit d’un miracle

©Shutterstock

Le son de cloche est différent dans l’espace public.
Les propriétés publiques (7) doivent en principe être préservées de signes et emblèmes religieux (8).
Ce principe inclut également les crèches de Noël, comme l’a précisé le Conseil d’État en 2016 dans sa formation la plus solennelle (9). On ne retrouve donc pas cette adaptation au cas par cas permise en entreprise par le règlement intérieur.
Aussi, l’installation d’une crèche, à titre temporaire, à l’initiative d’une personne publique, dans un emplacement public, n’est légalement possible que lorsqu’elle présente un caractère culturel, artistique ou festif, sans exprimer la reconnaissance d’un culte ou marquer une préférence religieuse.
À quelques variantes près, il en est de même « dans l’enceinte des bâtiments publics, sièges d’une collectivité publique ou d’un service public ». En toile de fond, une savante et complexe articulation de ce qui doit distinguer le culturel (au sens large) du cultuel (10).

À ce titre, les juridictions du fonds ont apprécié diversement les initiatives locales.
Ange ou démon ? : d’un côté, la Cour administrative d’appel de Lyon a admis la crèche installée dans l’Hôtel de région Auvergne-Rhône-Alpes. La représentation de la diversité des traditions de la création santonnière dans la région était explicitée par des panneaux didactiques sur le travail du santonnier à travers les étapes de la réalisation d’un santon. Cette exposition statique était complétée par des ateliers à destination notamment des enfants visant à la découverte des métiers d’art, objets d’un plan régional lancé en 2016 (11).
De l’autre, la Cour de Marseille a enguirlandé la commune de Beaucaire dont la crèche « ne procède pas d’une tradition locale, mais d’un mouvement revendicatif initié par plusieurs collectivités territoriales (12) ». La presse s’en est fait largement l’écho (13). Chaque cas reste tangent.

Si cette lecture de la loi de 1905 a pu être vécue par certain·e·s comme sévère, voire laïcarde, il ne s’agit que d’une application littérale du texte. On pourrait même paradoxalement souligner que le Conseil d’État procède à une lecture souple de l’interdiction générale des emblèmes religieux en acceptant de telles installations temporaires, sous conditions.

Chez soi : on y crèche comme on le souhaite

Et dans sa propre chaumière qui moutonne à l’approche du Réveillon, peuvent y loger la mangeoire, le bœuf et l’âne ? La liberté est presque totale : l’installation de crèches peut naturellement être organisée de manière à être vue depuis la voie publique. L’intention explicitement religieuse traduite pas la décoration mise en œuvre ne pourra pas être censurée.
Il en est de même s’agissant des vitrines commerciales. Seule embuche (de Noël) à éviter : l’installation ne doit pas troubler l’ordre public. Le maire est notamment garant du bon ordre, de la sûreté, de la sécurité publique (14).
Dans ce cadre, si l’installation en bord de voie nuit à la bonne visibilité de panneaux routiers ou accapare l’attention des automobilistes au point de compliquer la circulation, l’édile pourra encadrer l’ampleur ou le fonctionnement de la crèche. Idem si elle crée des attroupements gênants…y compris à Bethléem !

Expertise par Me Thomas Manhès, avocat au Barreau de Rennes.

1.Art. 1erde la constitution.
2.Art. L. 1321-2-1 du Code du travail.
3.On pensera aux salarié·e·s en contact avec la clientèle.
4.Sur la possibilité pour l’employeur, dans le respect de l’art. L. 1321-3du Code du travail, d’insérer dans son règlement intérieur une clause de neutralité interdisant de manière générale et indifférenciée le port de toutsigne religieux, politique ou philosophique par des salariés en contact avec la clientèle : Cass. Soc., 22 nov. 2017 : n°13-19855.
5.Art. L. 1121-1 du Code du travail.
6.On pensera notamment aux personnes salariées des établissements scolaires privés ou des lieux d’accueil religieux pour personnes âgées.
7.Domaine privé compris : CE, 11 mars 2022 : n°454076.
8.Art. 28 de la loi du 9 déc. 1905 concernant la séparation des Eglises et de l’Etat – A l’exception des édifices servant au culte, des terrains de sépulture dans les cimetières, des monuments funéraires, ainsi que des musées ou expositions.
9.CE, ass., 9 nov. 2016 : n°395223.
10.Pour aller plus loin : CE Ass., 19 juil. 2011 : n°308544 | 308817 | 309161| 313518.
11.CAA Lyon, 26 août 2021 : n°19LY00309.
12.CAA Marseille, 20 sept. 2021 : n°20MA02679 – pourvoi non admis :CE, 16 nov. 2022 : n°458585.
13.https://www.ouest-france.fr/region-occitanie/beaucaire-30300/gard-la-justice-ordonne-a-la-mairie-de-beaucaire-de-retirer-sa-creche-de-noel-7125781.
14.Art. L. 2212-2 du code général des collectivités territoriales

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