Des générations de patient(e)s ont eu à subir des examens médicaux douloureux et périlleux, parfois les deux. Souvenez-vous. Mesdames, vous avez passé une mammographie avec le sein écrasé dans un étau. Messieurs, vous êtes montés de manière acrobatique sur la table d’opération en tentant d’éviter la chute. On ne parle même pas des anciens qui doivent impérativement retrouver leur souplesse d’antan pour le moindre examen… Certes la critique est aisée, la science est difficile. Mais doit-on vraiment sacrifier l’ergonomie, le « confort » des usagers au bénéfice de la technologie ? Les deux notions sont-elles incompatibles ?
Une approche complémentaire des bureaux d’étude
« J’ai voulu créer l’agence Innéolab pour présenter le monde différemment, explique David Moreeuw, le fondateur. Nous voulons penser l’objet à partir des besoins de l’usager et non l’inverse. Ce qui est habituellement le cas dans le domaine du design industriel. Au mieux, on pense aux besoins des opérateurs, mais rarement, ou pas assez, à ceux des usagers. » Innéolab est né de ce constat en 2017. David Moreeuw et Gérard Cottignies créent une agence de « conception de produits » comme il en existe beaucoup, mais avec la volonté d’apporter une approche complémentaire des bureaux d’étude. Une sorte d’intermédiation entre les techniciens et les usagers finaux.
Prix « Observer du design »
Déjà à l’étroit dans ses locaux pourtant spacieux du parc technologique de Soye (Ploemeur), David Moreeuw se faufile entre les différents prototypes et les emballages. Il se souvient des débuts de l’aventure. D’abord les écoles de design les plus réputés de Paris (Olivier de Serres et Boulle) puis les Arts et Métiers en conception de produits innovants. Il se met à son compte en tant qu’ingénieur-designer-ergonome et travaille durant dix ans avec des grands noms comme Seb et des moins connus comme Green Creative. Société grâce à laquelle il reçoit le prix « Observer du design » en 2013 pour sa poubelle connectée « R3D3 ». Puis c’est le départ pour la Bretagne.
David Moreeuw a peut-être imaginé la future machine à mammographie ?
Souvent les entreprises conçoivent leur propre démonstrateur en fonction des besoins et des contraintes industrielles…
Il crée sa société dans le plus grand secret, car peu de gens croient à sa réussite. Mais il a déjà quelques projets qu’il compte bien faire avancer. Notamment celui de Wavelia, une entreprise spécialisée dans les champs électromagnétiques qui souhaitent proposer un nouveau dispositif de mammographie. L’entreprise lui fournit le cœur de la machine (une bobine massive de fils et de composants électroniques de la taille d’une machine à laver le linge). À lui de concevoir le prototype et de l’habiller. Six ans plus tard, une maquette est présentée. C’est une sorte de table de massage confortable sur laquelle s’allonge la patiente. Un orifice permet alors de présenter le sein en suspension au champ électromagnétique qui analyse les tissus sans compression et rayonnement ionisant. Un prototype fonctionnel vient d’être livré et les essais cliniques débutent en 2023 en Irlande.
Concevoir un dispositif universel
« Souvent les entreprises conçoivent leur propre démonstrateur en fonction des besoins et des contraintes industrielles, précise David. C’est normal, c’est leur rôle. Mais moi, je fais en sorte que le futur dispositif soit vraiment adapté à tous les usagers. À l’origine, dans le cas du Wavelia, toutes les patientes ne pouvaient pas bénéficier de ce type d’examen, car les seins sont tous différents. Il fallait donc concevoir un dispositif universel ». Des améliorations s’ensuivront au fur et à mesure des essais cliniques et des contraintes de l’industrialisation.
Améliorer l’ergonomie d’un exo-squelette
La réputation d’Innéolab concernant sa capacité à adapter des dispositifs aux usagers commence à se répandre de bouche à oreille. Le centre de rééducation fonctionnelle de Kerpape lui a par exemple demandé d’améliorer l’ergonomie d’un exo-squelette. « Il me fallait raisonner différemment pour faciliter l’usage de cet appareil, dit David. Il était parfait au plan technique, mais certains éléments gênaient le mouvement. J’ai donc revu tous les détails. J’ai notamment transféré le moteur du dos sur les cuisses. Ce n’est pas très beau, mais cela empêche l’usager d’être penché en avant à cause du poids. » Cela paraît tellement évident. Mais le diable des ergonomes se cache aussi dans les détails. Du moins sur Terre.
Préparer des repas en micro-gravité
Dans l’espace, c’est encore pire. Penser différemment y est absolument nécessaire et David y trouve actuellement son compte. Innéolab est missionné par le Centre national d’études spatiales (CNES) pour étudier la faisabilité de préparer des repas en micro-gravité. « Je me contente aujourd’hui de réfléchir à un dispositif qui permette seulement de foisonner et de mélanger des ingrédients. Sur Terre, c’est d’une simplicité absolue, mais dans l’espace les liquides et les poudres en suspension sont particulièrement dangereux, confie David Moreeuw. » Le travail continu en toute confidentialité. Pour que dans 15 ans, le robot de cuisine Innéolab puisse mitonner un petit plat frais aux astronautes de la station spatiale internationale…