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La rupture conventionnelle remise en cause par le Gouvernement

En 2023, le Gouvernement n’aura pas facilité la rupture d’un contrat entre un salarié et un employeur, engageant différentes dispositions législatives dissuasives pour l’engagement d’une procédure. Fin novembre, il a annoncé vouloir aller plus loin, en proposant de nouvelles mesures pour limiter le recours à la rupture conventionnelle. Une réunion gouvernementale prévue d'ici le 15 décembre doit clarifier certains points.

La rupture conventionnelle remise en cause par le Gouvernement : la rupture rapide du contrat de travail se complique…

Par Me Audrey BALLU GOUGEON, avocate au barreau de Rennes

Plusieurs cas de figure peuvent être à l’origine de l’intention de rompre le contrat de travail.

Le salarié peut être à l’origine de cette demande. Il peut avoir comme projet la création d’entreprise ou celui d’occuper un nouveau poste. Dans d’autres hypothèses moins assumées, le salarié peut souhaiter faire une pause et bénéficier des allocations Pôle emploi.

À l’inverse, l’initiative peut venir de l’employeur, qui, après une réorganisation ne projette pas le salarié dans sa stratégie. Il peut également estimer que le salarié ne répond pas aux objectifs fixés.

Enfin, la volonté peut être commune lorsque l’employeur et le salarié souhaitent se séparer en bons termes en envisageant par exemple une rupture conventionnelle.

Ces modes de rupture du contrat de travail ont récemment été impactés par de nouvelles réformes.

D’une part, la rupture conventionnelle a vu son coût augmenter par le remplacement du forfait social par une contribution patronale spécifique.

D’autre part, l’apparition de la présomption de démission a créé des interrogations au regard du recours au licenciement pour faute grave en cas d’abandon de poste du salarié.

Après des acceptations larges de la rupture conventionnelle, un frein a été donné par les employeurs en raison du coût des salariés, principalement rare.

L’augmentation du coût de la rupture conventionnelle

Dispositif existant depuis 2008

Si nous avons le sentiment qu’elle a toujours existé, la rupture conventionnelle a seulement 15 ans.

Cette innovation procédurale a constitué une révolution en droit du travail, permettant de pallier un vide juridique. Auparavant, lorsque les deux parties trouvaient un accord sur une rupture, elles devaient mettre en place un licenciement fictif, suivi d’une transaction.

Cette procédure permet à un employeur et à un salarié de convenir, en concertation, des conditions de la rupture du contrat de travail. Cette possibilité n’est ouverte qu’aux salariés ayant un contrat de travail à durée indéterminée.

Elle pourra être conclue à la suite d’au moins un entretien entre les parties durant lequel elles vont définir les conditions de la rupture et le montant de l’indemnité. Celle-ci sera versée au salarié en fonction de ses droits, sachant qu’elle ne peut être inférieure au montant de l’indemnité légale de licenciement prévue à l’article L. 1234-9 du Code du travail.

Les parties vont fixer une date de rupture qui interviendra à la suite d’une procédure d’un mois et demi au cours duquel un délai de rétractation est accordé à chacune des parties et une homologation interviendra de la part de la Direction régionale de l’économie, de l’emploi, du travail et des solidarités (DREETS), sauf en cas de salarié protégé où il appartiendra à l’inspecteur du travail d’autoriser la rupture.

Rapidement après l’entrée en vigueur, les employeurs et salariés se sont saisis de ce nouveau dispositif et de nombreuses ruptures conventionnelles ont été conclues. En 2022, le record a été atteint avec 500 000 ruptures conventionnelles.

Le législateur a alors vu une belle opportunité de pouvoir percevoir des sommes sur ces ruptures. C’est pourquoi a été créé le forfait social, étant une contribution patronale prélevée sur les rémunérations ou gains exonérés de cotisations de sécurité sociale mais assujettis à la contribution sociale généralisée (CSG), dont le taux a été fixé à hauteur de 20 %.

Depuis le 1er septembre 2023

Le régime social des indemnités de rupture conventionnelle individuelle a été harmonisé et il n’existe plus de distinction du régime social selon le droit ou non de bénéficier d’une pension de retraite d’un régime légalement obligatoire.

Dorénavant, une contribution unique fixée à 30 % de l’indemnité versée s’applique aux employeurs. Elle vient remplacer le forfait social fixé à 20 % qui ne s’appliquait qu’aux salariés et, également, la contribution patronale de 50 % de l’indemnité versée pour la mise à la retraite du salarié.

  • Jusqu’au 31 août 2023
    Si le salarié ne pouvait bénéficier d’une pension de retraite : application du forfait social dont le taux était de 20 % sur l’indemnité de rupture conventionnelle. Si le salarié pouvait bénéficier d’une pension de retraite : contribution patronale de 50 % sur les indemnités perçues.
  • A partir du 1er septembre 2023
    Pour tous les salariés : application d’une contribution unique de 30 % sur les indemnités versées.

Le taux de 30 % n’est pas neutre pour les employeurs. Cela risque de les freiner à rompre amiablement un contrat de travail.

Le Gouvernement n’a pas pour but premier la limitation de rupture amiable. Il a pour seul moteur une volonté de prélever davantage.

Exemple : un salarié perçoit une indemnité de rupture conventionnelle d’un montant de 35 000 euros. Au titre du régime social, la contribution patronale spécifique est de 30 %, soit une contribution de 10 500 euros. Auparavant, la part exclue de l’assiette des cotisations de sécurité sociale était soumise au forfait social dont le taux était fixé à 20 %, représentant alors pour l’employeur une charge patronale de 7 000 euros si le salarié n’avait pas droit à une pension de retraite, et de 17 500 euros si le salarié pouvait disposer de ses droits à retraite.

Il y a donc un fort risque pour que les employeurs renoncent à cette rupture amiable au regard du coût supplémentaire qui est aujourd’hui imposé. De plus, dans cet exemple l’indemnité est limitée. Lorsqu’elle représente un montant plus conséquent, son traitement social et fiscal est plus complexe.

 

La rupture du contrat de travail pour abandon de poste

Lorsque le salarié souhaite quitter son entreprise, mais que son employeur refuse de rompre amiablement son contrat de travail, il se trouve alors bloqué, surtout lorsqu’il a une forte ancienneté.

Si le salarié n’a aucun reproche à faire à son employeur au titre de manquements qui justifieraient de prendre acte de la rupture de son contrat de travail, il ne peut alors que démissionner.

Or, en rompant volontairement son contrat de travail, le salarié démissionnaire ne peut pas bénéficier des allocations chômage. Elles sont réservées aux personnes involontairement privées d’emploi, sauf démission « légitime ».

Ainsi, une pratique s’est développée. Le salarié abandonnait son poste de travail jusqu’à ce que son employeur rompe son contrat au titre d’un licenciement pour faute grave.
Face à cela, le législateur a décidé d’intervenir en créant un nouveau mode de rupture du contrat de travail.

La présomption de démission

Un nouveau mode de rupture est entré en vigueur : la présomption de démission, en cas d’abandon de poste volontaire du salarié.

Il s’agit de présumer le salarié comme démissionnaire lorsqu’il a volontairement abandonné son poste de travail et qu’il ne reprend pas, alors qu’il a été mis en demeure par son employeur de le reprendre ou de justifier de son absence dans un délai de 15 jours à compter de la première présentation de cette mise en demeure.

Malgré le silence du Code du travail sur la définition de l’abandon de poste, il est raisonnable de retenir que l’abandon est constitué en présence d’une première journée d’absence injustifiée.

Le législateur a prévu des motifs légitimes pouvant être invoqués par le salarié dans sa réponse à la mise en demeure afin d’empêcher la présomption de démission, qui sont, « notamment » :

– des raisons médicales ;
– l’exercice du droit de retrait ;
– l’exercice du droit de grève ;
– le refus d’exécuter une instruction contraire à une réglementation ;
– la modification de son contrat de travail à l’initiative de l’employeur.

Ainsi, l’employeur souhaitant mettre en œuvre ce dispositif doit suivre une procédure stricte :

  1. Il doit constater que son salarié, en CDI, a abandonné volontairement son poste ;
  2. Il doit adresser, par lettre recommandée avec accusé de réception, une mise en demeure au salarié de justifier, dans les 15 jours à compter de la date de présentation de cette lettre, de son absence et de reprendre son poste, en lui rappelant les motifs légitimes.
  3. A l’expiration d’un délai minimum de 15 jours, si le salarié n’a pas répondu et qu’il n’est pas revenu, il est alors considéré comme démissionnaire et un courrier devra lui être adressé l’informant de sa situation et de l’envoi des documents de fin de contrat.

Les difficultés apparues par ce nouveau dispositif

Malgré une volonté d’éclaircissement par le ministère du Travail, le dispositif n’a pas été reçu favorablement par les avocats et la doctrine en raison de plusieurs zones d’ombre.

Peut-on continuer à licencier pour faute grave ?

Cette question est importante pour les employeurs. La réponse est oui. L’absence injustifiée du salarié à son poste de travail constitue une faute en raison du non-respect à ses obligations contractuelles.

Une mise en demeure de justifier de son absence et de reprendre son poste de travail devra également être adressée au salarié. Cependant, il conviendra d’être vigilant dans la rédaction de celle-ci afin de ne mentionner, en aucun cas, une éventuelle présomption de démission.

De plus, en procédant à un licenciement pour faute grave, l’employeur ne risque pas de voir son salarié saisir le Conseil de Prud’hommes au titre d’une requalification du licenciement en raison de l’utilisation des termes « abandon de poste » ou « absences injustifiées ».

 

 

Changements législatifs en 2024

Nous n’aurons connaissance des réelles répercussions de ces réformes qu’à compter de 2024, dès que les juges se seront prononcés sur la présomption de démission ou que les avocats auront le recul suffisant sur le recours à la rupture conventionnelle depuis l’application de cette nouvelle contribution unique.

La contribution unique semblerait ne pas être la seule hypothèse du Gouvernement, qui souhaite, sur cette fin d’année 2023, réformer davantage et encore plus fort le dispositif de la rupture conventionnelle. La fin de la rupture conventionnelle semble peu probable.

Le Gouvernement va poser des conditions rigoureuses et souhaite, par ce biais, limiter le coût pour l’Etat des indemnités chômage octroyées à la suite de la conclusion d’une rupture conventionnelle.

Nous aurons des premiers éléments de réponse mi-décembre.

 

Par Me Audrey BALLU GOUGEON, avocate au barreau de Rennes