Le mouvement de révolte du milieu agricole qu’a connu la France ces dernières semaines nous rappelle avec force combien les exploitants agricoles ont besoin d’être accompagnés sur l’ensemble des enjeux qui sont désormais les leurs et par lesquels passent nécessairement la question du financement, du refinancement ou de leur restructuration.
L’objet du présent article est de mettre en avant les leviers que constituent les mesures et procédures judiciaires ou amiables qu’il convient de présenter pour ce qu’elles sont : une solution dont les exploitants doivent se saisir, là où elles sont souvent perçues comme un problème à éviter. Elles peuvent être préventives ou curatives, conventionnelles ou judiciaires et ont toutes un même objectif : la restructuration de la dette.
Le droit rural est un droit conçu sur mesure, pour répondre le plus précisément possible aux problématiques singulières des exploitations agricoles.
Les outils pour faire face aux difficultés ne dérogent pas à cette règle et prévoient un certain nombre de spécificités propres à chaque exploitation.
Quel outil choisir ?
La question du choix de l’outil renvoie directement à la question de l’état économique et financier de l’exploitation.
Pour schématiser, soit l’entreprise est in bonis, mais connaît en germe ou risque des difficultés et l’exploitant pourra alors piocher dans l’arsenal des mesures préventives la mesure la plus adéquate. Soit l’état de cessation des paiements est avéré, il faut alors s’orienter, rapidement, dans un délai de 45 jours, vers une procédure collective, redressement ou liquidation judiciaire.
Des mesures préventives :
Pour quoi faire ?
Toutes permettent, amiablement, une restructuration de la dette par un échelonnement et/ou des remises de dettes qui peuvent être consenties par les créanciers les plus importants de l’exploitation agricole. On pense par exemple aux emprunts bancaires ou aux dettes sociales de MSA.
Quelles sont-elles ?
Les mesures que nous pourrions qualifier de préventives sont au nombre de trois.
- La première de ces mesures est une création sui generis, exclusivement réservée aux exploitations agricoles. Il s’agit de l’Aide à la relance des exploitations agricoles (AREA), anciennement « Agridiff », qui permet d’aider des exploitants rencontrant des difficultés structurelles mais pour lesquels la viabilité de leur exploitation est garantie.
La première phase est une phase d’audit, à l’issue de laquelle, si une restructuration est possible et de nature à redresser l’exploitation, l’exploitant, avec le concours de la cellule départementale d’accompagnement des agriculteurs en difficulté – c’est la deuxième phase – arrête un plan de restructuration en accord avec les principaux créanciers pour une période maximale de sept ans.Pendant la durée du plan, un suivi technico-économique est réalisé pour une durée minimale de trois ans. Il s’agit du pendant obligatoire et complémentaire au plan de restructuration. L’exploitant a également la possibilité de solliciter différentes aides. Cette AREA n’est pas exclusive de l’ouverture d’une procédure de sauvegarde ou de redressement judiciaire. - Le mandat « ad hoc » constitue un autre outil de prévention. Tout agriculteur peut saisir le président du tribunal judiciaire pour solliciter la désignation d’un mandataire ad hoc. Cette saisine doit être réalisée en amont de toute procédure judiciaire de traitement des difficultés. La mission du mandataire ad hoc désigné est de rechercher une solution amiable aux difficultés rencontrées par le débiteur, avec les créanciers.Il peut, par exemple, avoir pour mission de négocier des délais de paiement avec les principaux créanciers de l’exploitant. La désignation d’un mandataire ad hoc peut également s’avérer utile pour anticiper, avant tout état de cessation des paiements, l’élaboration d’un projet de plan de sauvegarde ou de redressement judiciaire.
- Le troisième moyen amiable est encore une construction sui generis propre aux exploitations agricoles. Il s’agit du règlement amiable qui a pour objet, là aussi, de traiter les difficultés financières de l’exploitant par la recherche d’un accord amiable entre le débiteur et ses principaux créanciers. —- > Quelle différence avec le mandat ad hoc ?Alors que la demande de désignation d’un mandataire ad hoc est réservée au seul débiteur, un créancier a la possibilité de solliciter un règlement amiable. C’est d’ailleurs un préalable obligatoire pour tout créancier qui ne peut assigner directement en redressement judiciaire un exploitant agricole.
La mission du conciliateur est semblable à celle du mandataire ad hoc : recherche d’un accord avec les principaux créanciers sur des délais de paiement et/ou des remises de dettes. En contrepartie, il peut être demandé à l’exploitant de réaliser certaines mesures : abandonner une partie de son activité, procéder à des travaux de remise aux normes, etc.
Il s’agit donc d’un réel accord coconstruit en présence d’un tiers régulateur, dans un objectif commun : celui de redonner à l’exploitation toute sa vitalité économique et la rendre prospère.
L’accord est par la suite homologué par le président du tribunal.
Tout comme pour le mandat ad hoc, l’obligation de confidentialité attachée aux négociations et à l’accord trouvé dans le cadre d’un règlement amiable est un des atouts de cette procédure qui devrait la rendre attractive.
Que faire lorsque les difficultés mettent en péril la viabilité de l’exploitation ?
Lorsque les mesures préventives apparaissent insuffisantes pour redresser l’entreprise, l’exploitant n’aura d’autre choix que de se tourner vers une des trois procédures collectives judiciaires.
Si leur mise en œuvre est globalement semblable en matière commerciale et agricole, elles revêtent toutefois, là encore, des spécificités pour répondre du mieux possible aux enjeux agricoles.
La procédure de sauvegarde fait office de « pont » entre les mesures préventives précitées et les procédures judiciaires telles que le redressement et la liquidation. D’un côté, elle doit être mise en œuvre avant tout état de cessation des paiements. De l’autre, elle permet de faire face à des difficultés financières plus ancrées.
Elle a pour avantage non négligeable de protéger les cautions et coobligés pendant toute sa durée, c’est-à-dire pendant la période d’observation mais également pendant l’exécution du plan.
La procédure de sauvegarde et la procédure de redressement judiciaire ont pour particularité d’être divisées en deux phases, qui jouent chacune un rôle essentiel pour permettre une restructuration financière de l’exploitation.
- La première phase est la période d’observation. Particularité agricole, elle peut aller jusqu’à 18 mois dans le cadre d’un redressement judiciaire, outre la prise en compte de l’année culturale.
Pendant cette période d’observation, les dettes antérieures sont gelées, ce qui doit permettre à l’entreprise de reconstituer une trésorerie tout en réglant ses dettes courantes, pour ne pas créer de nouveau passif qui pourrait l’entraîner vers une liquidation judiciaire.C’est donc une phase qu’on pourrait appeler phase d’« auto-refinancement », lors de laquelle l’exploitation agricole, par sa propre activité, régénère sa trésorerie. La durée particulièrement longue de la période d’observation en matière agricole a pour objet de favoriser cette reconstitution dans une temporalité adaptée à l’activité agricole.Mais l’entreprise peut ne pas être seule actrice dans cette période d’observation. En effet, des personnes peuvent réaliser un nouvel apport de trésorerie protégé par un privilège qui doit permettre d’encourager le financement d’entreprises qui ont besoin d’un coup de pouce financier pour redémarrer. - La seconde phase est celle du plan de sauvegarde ou de redressement.
Sa durée maximale est spécifique aux exploitations agricoles, puisqu’un plan peut être d’une durée de 15 ans, ce qui, là encore, est un temps long. On retrouve l’objectif des mesures dites préventives précitées : un étalement de la dette avec une particularité s’agissant du montant des dividendes.Contrairement aux sociétés commerciales, les dividendes des plans en matière agricole ne connaissent pas de montants minimums. De sorte qu’il est possible de créer un véritable plan sur mesure, en fonction de l’activité et des spécificités de l’exploitation.
Ces procédures sont donc adaptées à la temporalité imposée par l’activité agricole et à ses aléas. On pense évidemment aux aléas climatiques mais également économiques et aux crises successives que subissent les exploitations.
Ces procédures, bien qu’elles aient la même finalité que les mesures préventives présentées ci-avant, sont beaucoup plus contraignantes et plus lourdes. Il s’agit de l’étape de la dernière chance, là où les mesures préventives, si elles sont actionnées à temps, permettent de remédier aux difficultés plus rapidement, dans un contexte plus apaisé et moins éprouvant pour l’exploitant agricole.
Les mesures préventives sont, en réalité, dans les faits, curatives, en ce qu’elles ont pour objet de mettre fin, dès les premiers signes, aux difficultés financières naissantes. Ce sont malheureusement des mesures et procédures que nous avons trop peu l’occasion de mener dans nos Cabinets.
En 2020, le site Terre Net indiquait que 64 % des agriculteurs seraient réfractaires à la « justice préventive » pour les aider. Ceci explique donc cela…
Il nous revient toutefois, à nous professionnels gravitant autour du monde agricole, d’encourager nos clients dans ce type de démarches.
Par Me Laura Bernardet, avocate au barreau de Rennes