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Art is Magic ou le cynisme au service de la pop culture

L’exposition retrospective « Art is Magic » de Jeremy Deller est à découvrir au musée des beaux-arts, à la Criée et au Fonds régional d’art contemporain (Frac), jusqu’au 10 septembre, dans le cadre du festival rennais d’art contemporain Exporama. Elle fait écho à l’exposition visible cet été au Couvent des Jacobins, « Forever sixties ».

L'exposition

L'exposition "Art is Magic" est visible au Frac jusqu'au 10 septembre ©S.Se7Jours

Du haut de ses 57 ans, Jeremy Deller en a vu des injustices dans le monde. Et au lieu de les ignorer, le célèbre artiste a décidé de les exposer à la vue de tous. Alors collections de chefs-d’œuvre, ou amas d’objets et de photos tous plus « farfelus » les uns que les autres ? Charge à chacun de se faire sa propre opinion. « La ville a décidé de consacrer une rétrospective au lauréat du Turner Price en 2004, car c’est un artiste qui a toujours travaillé sur la reconnaissance des pratiques amateurs. Mais aussi la mise en perspective critique de tout ce qui est l’ordre du folklore, du vernaculaire avec une approche critique et conceptuelle de l’art », précise, d’entrée, Étienne Bernard, directeur du Frac de Rennes.

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La rétrospective présentée au musée des Beaux-Arts, à la Criée et au Frac expose 15 projets structurants de sa carrière. Il n’y a ni début ni fin. D’ailleurs, « la chronologie n’a pas d’intérêt puisque dans tous ses projets il y a des renvois vers d’autres, comme une sorte de toile d’araignée ». Même pour les choix des lieux d’exposition, pas de préférence non plus. « On a choisi de baser tel ou tel projet dans tel ou tel lieu simplement en fonction des espaces disponibles de chacun. »

Au-delà de casser des codes, l’artiste fait réfléchir le spectateur sur des sujets de la vie de tous les jours. Pour Étienne Bernard, « d’une certaine manière, je vois son travail comme une sorte de matrice méthodologique : comment essayer de casser les barrières de l’art contemporain, créer une culture partagée, à partir d’un socle référentiel commun. » Cela grâce à des affiches, des objets, etc. « Jeremy Deller, c’est vraiment l’antithèse de l’art hors sol. »

Marqueurs de l’Histoire

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Au Frac, quatre projets se distinguent, dont un principal : Folk Archives. L’installation paraît hasardeuse et décousue. Et pourtant. Elle présente de l’architecture folklorique et vernaculaire, une collection d’objets d’images d’expériences qui ont été collectées entre 1999 et 2005 par l’artiste lui-même et son complice Alan Kane partout en Grande-Bretagne. « Cela va de la fête de village qui date du 18e siècle au tuning en passant par les dessins faits par les prisonniers… », précise Étienne Bernard.
En se promenant dans l’immense bâtisse qu’est le Frac, on y découvre un autre projet : English magic, dont on entend la musique résonner, une composition avec des icônes visuelles sur classique de Bowie (the man who saw the world), joué par un orchestre amateur.
Deux films (1 h chacun) sont aussi proposés, Our hoby is dépêche mode et Everybody in the plane. Dans ces deux films, de même que pour le reste de ses œuvres, il veut montrer que « la violence et la culture se nourrissent. »

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Le dernier projet, et pas des moindres, n’a pas pu voir le jour. Il s’agissait d’une reproduction de l’œuvre reconnue au patrimoine de l’Unesco, Stonehenge… en version château gonflable. « Chez Deller, il y a toujours cette idée de réunir et de faire se confronter deux sujets complètement différents. »

Folk archives

 

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« C’est simple, il y a beaucoup de choses et rien en même temps. Le but est d’admirer l’objet et non l’endroit. Il faut voir les salles en deux couches : ce qui est au second niveau (bannières) n’est pas connecté à ce qu’il y a en dessous. » Ces bannières viennent de la collection personnelle d’un artisan nommé Ed Hall, le but étant de faire le lien entre le contenu politique et le travail de Jeremy Deller. « Le travail de Deller présente avant tout le marquage politique et la dénonciation de lutte (de gauche). » L’artiste a ainsi passé près de 6 ans sur les routes de Grande-Bretagne à visiter des villages, rencontrer des personnes pour ramener des objets, des photos ou encore des vitrines entières.
L’installation est zonée en 13 sous partie (politics, ephemeral, publishing…), qui apportent une lecture supplémentaire. Une collection d’images qui n’est, bien sûr, pas exhaustive. « La part artistique de Deller et Kane réside dans les choix qu’ils ont faits. Ils veulent laisser libre choix au spectateur. Pour trouver l’épouvantail par exemple, ils sont allés dans un champ où un agriculteur avait décidé que, même pour les oiseaux, la pauvreté peut être effrayante… » Un point de vue fort et assumé. « Ce n’est pas uniquement la vision des artistes, c’est aussi la responsabilité du spectateur, c’est important aussi dans la manière dont nous manipulons l’art de notre côté. »

Exposition Art is Magic, une rétrospective de Jeremy Deller, du 10 juin au 17 septembre 2023, musée des Beaux-Arts, La Criée centre d’art contemporain, Frac Bretagne, Rennes.