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[Droit & environnement] Affaire Erika : Jean-Baptiste Parlos livre l’en-vert du procès

Venu pour baptiser officiellement la promotion 2023-2024 du master environnement et droit de l’Université de Rennes, du nom du célèbre dossier « Affaire Erika » dont il eut à présider l’audience, le premier président de la Cour d’appel de Rennes s’est livré face aux étudiants à un exercice d’authenticité sur ses souvenirs.

De g. À dr : Olivier Serra, doyen de la faculté de droit et de science politique de l’Université de Rennes ; Virginie Vidalens, vice-doyenne et co-responsable du master; Jean-Baptiste Parlos, premier président de la cour d’appel de Rennes depuis un an; Me Raphaële Antona Traversi du cabinet Coudray. ©SB-7Jours

De g. À dr : Olivier Serra, doyen de la faculté de droit et de science politique de l’Université de Rennes ; Virginie Vidalens, vice-doyenne et co-responsable du master; Jean-Baptiste Parlos, premier président de la cour d’appel de Rennes depuis un an; Me Raphaële Antona Traversi du cabinet Coudray. ©SB-7Jours

Seul le secret du délibéré restera dans les limbes de la mémoire du juge. Le choix de Me Antona Traversi, marraine de la promotion, de faire témoigner Jean-Baptiste Parlos est une évidence, lui qui a présidé le procès de l’Erika, dont le naufrage au large du Finistère avait souillé, en décembre 1999, près de 400 km de côtes, et qui est à l’origine du principe de préjudice écologique, inscrit depuis dans le code civil.

80 000 pages de dossiers

Il faut remonter à 2006. Après 7 ans d’instruction, le juge Parlos, alors président de la chambre financière du Tribunal de Paris, s’attaque à un dossier pharaonique composé de 80 000 pages. « Le dossier ne rentrait pas dans mon bureau de 9m2. J’ai dû trouver un logiciel gratuit d’océrisation, pour transformer en fichier texte numérique tous les documents. » Il lui faut aussi se procurer un dictionnaire d’anglais maritime et se plonger dans des notions d’architecture navale. « Je n’avais jamais commandé un pétrolier de 30 000 tonnes et je ne connaissais rien de la Bretagne. Le hasard le plus total, sans mauvais jeu de mots (en référence à la compagnie Total, l’affréteur du pétrolier, ndlr), me ramène ici.  »

Le dossier ne rentrait pas dans mon bureau de 9m2.

Préjudice écologique

À l’issue de ce travail préparatoire, le procès qui réunit une quinzaine de prévenus, ouvre en février 2007. S’en suivront 4 mois d’audience, rythmés par les interrogatoires du juge Parlos, dont la presse a rapporté la fermeté et l’habileté, puis 7 mois de réflexion. « Quelles étaient les causes du naufrage ? La responsabilité pénale d’un des acteur du procès était-elle engagée ? Si oui, quid de la responsabilité civile ? Que fallait-il indemniser ? C’est à ce moment que nous arrivons au principe de préjudice écologique. Je me suis plongé dans la doctrine mais n’ai pas trouvé grand chose. Le choix du tribunal a été de ne pas le définir mais de dire qui pouvait demander réparation. Il est compliqué de trouver les modalités pour évaluer la réparation du préjudice. Nous était opposé que la nature n’est pas un sujet de droit. »

« Les éléments factuels ne sont pas traduits en équation scientifique »

En janvier 2008, le jugement est rendu, dans un document de 250 pages, et déclare l’affréteur, la compagnie pétrolière Total, la société de classification, l’armateur du navire et son gestionnaire, coupables du délit de pollution, les condamnant à des amendes. « Les éléments factuels ne sont pas traduits en équation scientifique, ce qui peut être critiquable. Notre décision n’était pas parfaite, mais nous l’avons assumée car elle faisait avancer les choses. Nous avons eu une appréciation des choses la plus mesurée possible. »
À la question d’une étudiante, « Faut-il donner une valeur à la nature pour faciliter les jugements ? », le chef de cour adresse cette réponse espiègle : « Vous proposez quoi ? »

Dans un registre plus personnel, le juge, qui eut à connaître d’autres dossiers épineux tels que l’affaire Borel ou l’Angolagate, a cette anaphore : « Dans les gros dossiers, on souffre en préparant, on souffre en écoutant, on souffre en délibérant, on souffre en rédigeant le jugement. Humainement, c’est inhumain. »

Dans les gros dossiers, on souffre en préparant, on souffre en écoutant, on souffre en délibérant, on souffre en rédigeant le jugement. Humainement, c’est inhumain.

Master Environnement Droit

La formation est co-portée par la faculté de droit et l’Observatoire des sciences de l’univers de Rennes (Osur). « La singularité de la formation repose sur le fait que nous formons les étudiants à une double compétence en écologie et en droit. Nous accueillons 20 étudiants en master 1 et 20 en master 2, qui se destinent à travailler dans des structures variées, tant dans le secteur public que privé », souligne Virginie Vidalens, vice-doyenne de la faculté de droit, en charge de l’insertion professionnelle et des relations avec les entreprises et co-responsable du master avec Cendrine Mony, professeure d’écologie.