Couverture du journal du 02/12/2024 Le nouveau magazine

L’entreprise dans la nébuleuse des difficultés ponctuelles

Problème de trésorerie temporaire, perte d’un client majeur, fautes d’un dirigeant, conflit social, mésentente entre associés, décision défavorable d’un tribunal… Il existe un large panel de petites et de grandes « maladies » en entreprise.

Me Matthieu Mercier, avocat au barreau de Rennes

Des difficultés qui concernent tous les dirigeants et tous les associés à un moment de la vie de la société. Il existe aussi un large panel de solutions, permettant de trouver le bon remède.

Il ne s’agit pas toujours, fort heureusement, d’une difficulté qui conduit inexorablement à la cessation des paiements, hypothèse qui impose obligatoirement l’ouverture d’un redressement ou d’une liquidation judiciaire. Rappelons, en effet, que s’il ne peut pas payer les dettes courantes, le dirigeant doit se rapprocher du tribunal de commerce (ou du tribunal judiciaire pour les entreprises civiles : association, SCI…) dans un délai de 45 jours, sauf à risquer des sanctions personnelles parfois sévères (Article L. 631-4 du Code de commerce).

Mais il s’agit souvent tout de même d’une difficulté qui empoisonne le quotidien de l’entrepreneur et le prive de visibilité. Et bien évidemment, ces problèmes ont toujours des conséquences financières, ne serait-ce qu’en raison du temps et de la « charge mentale » que l’on doit accorder à leur résolution.

Avant toute procédure, la voie de la négociation et de la discussion est toujours à privilégier. Un familier de l’entreprise, l’expert-comptable, le notaire ou l’avocat peuvent alors aider.

Lorsque cette voie n’aboutit pas, il est utile de faire intervenir une personne extérieure à l’entreprise, un « tiers » comme disent les juristes, pour permettre de retrouver un dialogue, pour provoquer un électrochoc et, surtout, pour imaginer des solutions nouvelles.

Ce tiers va être désigné par un tribunal selon deux modalités principales : la première est celle, multiforme et relativement souple, de la nomination d’un mandataire ad hoc ou d’un administrateur provisoire (voir chapitre 1). La seconde est celle, plus spécifique aux difficultés d’ordre économique, d’une procédure de prévention et de traitement des difficultés ( voir chapitre 2).

1- La nomination d’un mandataire ad hoc ou d’un administrateur provisoire

Le mandataire ad hoc

Institution assez méconnue du grand public, cette procédure a été inventée par les Tribunaux de Commerce pour répondre à des besoins ponctuels des entrepreneurs ou de leurs associés aux prises avec un problème qui les dépasse.

Ce mandataire peut ainsi être désigné dans des circonstances très diverses : a minima, le mandataire peut ainsi s’entremettre entre des parties belligérantes pour aider à la recherche d’une solution à un conflit, quel qu’il soit. Il peut aussi représenter la société dans une procédure judiciaire, par exemple en cas de conflit d’intérêts avec son dirigeant. Ou encore il sera chargé, à la demande des associés, de convoquer une assemblée générale permettant de débloquer le fonctionnement d’une société.

Le plus souvent, le mandataire ad hoc appartient à une profession réglementée, administrateur judiciaire ou mandataire judiciaire. Il s’agit donc d’un professionnel spécialisé dans la gestion des entreprises.

L’originalité de cette procédure est qu’elle est volontaire : c’est le chef d’entreprise ou l’associé qui sollicite auprès du tribunal, par une assignation en justice ou une requête, la désignation du mandataire et c’est le tribunal qui fixe sa mission, en fonction des besoins qui lui sont exposés.

Les magistrats reçoivent plutôt favorablement les demandes de désignation d’un mandataire ad hoc, dès lors que l’intervention d’un tiers neutre permet souvent d’éviter que le dysfonctionnement ne dégénère en conflit, et en procédures judiciaires longue et stériles.

Administrateur provisoire

Le tiers désigné par le Tribunal peut aussi être investi de véritables pouvoirs de gestion sur l’entreprise en lieu et place du dirigeant statutaire. On parle alors d’administrateur provisoire. Il intervient pour gérer une société paralysée par une mésentente cette fois majeure : divorce tumultueux entre associés, succession conflictuelle, faute grave du dirigeant. L’administrateur réalisera les actes essentiels (« conservatoires ») ainsi, typiquement, en cas d’administration provisoire d’une société civile immobilière (SCI) : la perception des loyers, la réalisation des comptes sociaux, la convocation des assemblées générales…

Ici, il s’agit de mettre le dirigeant de côté : le tribunal va donc contrôler rigoureusement la désignation de l’administrateur provisoire qui n’est permise, selon la jurisprudence, qu’en cas de « circonstances qui rendent impossible le fonctionnement normal de la société et la menacent d’un péril imminent » (Chambre commerciale de la Cour de Cassation. 21 septembre 2022).

Dans tous les cas, l’intervention du mandataire ad hoc ou de l’administrateur provisoire est limitée dans la durée : l’idée est de marquer un temps de réflexion et de sanctuariser la situation de l’entreprise. L’intervention du tiers doit amener chacun à préparer un accord de sortie de crise, qui prendra la plupart du temps la forme d’un protocole transactionnel.

2- Les procédures de prévention et de traitement des difficultés des entreprises

Lorsque la difficulté est déjà devenue économique, le chef d’entreprise peut solliciter la mise en place d’autres procédures, cette fois plus encadrées par la loi. Il s’agit du mandat ad hoc et de la conciliation qui sont des procédures de « prévention ». Ou encore de la procédure de sauvegarde qui est déjà une procédure « collective », mais plus légère que le redressement et la liquidation judiciaire.

Mandat ad hoc et conciliation (L. 611-3 et s. du Code de commerce)

Le mandat ad hoc (attention : à ne pas confondre avec la désignation du mandataire ad hoc dans les conditions déjà évoquées) et la conciliation sont toutes deux initiées par le chef d’entreprise : il s’agit le plus souvent de rechercher un accord avec les créanciers, souvent les établissements bancaires, ou encore aider à la résolution d’un conflit avec un fournisseur ou, pourquoi pas, un franchiseur.
C’est le tribunal qui va désigner le mandataire ou le conciliateur, presque toujours un administrateur judiciaire, pour une durée de quelques mois. Le mandataire ou le conciliateur n’a aucun pouvoir de gestion mais c’est lui qui sera à la manœuvre pour aider à trouver une solution.

Des garanties fortes encadrent la procédure : confidentialité totale de la procédure préservant la réputation de l’entreprise auprès de ses partenaires, impartialité du mandataire ou du conciliateur qui sera désigné. Un accord peut ainsi être trouvé, qui prévoira par exemple, l’entrée d’un nouvel investisseur, ou encore un rééchelonnement de la dette bancaire. Dans certains cas, la loi accordera un privilège juridique à ceux qui auront accepté d’aider l’entreprise dans ces circonstances difficiles.

Parfois, les deux procédures de mandat ad hoc et de conciliation s’enchaînent pour laisser du temps à une solution complexe à mettre en œuvre, par exemple la recherche d’un repreneur et la préparation de la cession de l’entreprise. La technicité de ces procédures suppose un accompagnement fort des conseils habituels de l’entreprise et, souvent, le recours à un avocat spécialisé.

La sauvegarde (L. 620-1 et s. du Code de commerce)

L’ouverture d’une procédure de sauvegarde s’impose lorsque la difficulté rencontrée ne peut pas être « surmontée » par l’entreprise.
La loi a voulu que cette procédure reste ouverte aux hypothèses les plus diverses : c’est le cas bien sûr d’une entreprise qui anticipe une future cessation des paiements, cela peut aussi être conseillé à une société qui est confrontée à une évolution technologique brutale ou à l’exécution inextricable d’une décision de justice, ou encore à une holding qui est impactée par la faillite de l’une de ses filiales.
La liste des difficultés « insurmontables » n’est pas exhaustive et la diversité des cas de figure est le propre de la sauvegarde : c’est le sens d’un arrêt de la Cour de Cassation dénommé « Cœur Défense » rendu par la Cour de Cassation le 8 mars 2011.

Dans tous les cas, les effets de la sauvegarde sont radicaux, l’entreprise se place « sous la protection du tribunal » : elle se met à l’abri de ses créanciers pour déterminer les causes de ses difficultés, poser un diagnostic et concevoir sa restructuration.
Davantage encore que dans les cas précédents, des « tiers » vont accompagner l’entreprise, que l’on désigne comme « organes de la procédure » : le juge-commissaire, qui est un des magistrats du tribunal, encore une fois l’administrateur judiciaire, qui est l’allié de l’entrepreneur, et le « mandataire judiciaire », chargé de défendre les intérêts des créanciers.

La rigueur de cette procédure est également réelle : elle fait l’objet d’une publication légale, connue de tous et donc des partenaires de l’entreprise – même si chacun comprend désormais qu’une procédure de sauvegarde n’est pas aussi infâmante qu’un redressement judiciaire. Les pouvoirs du dirigeant restent réels, mais sont diminués.

Et surtout, cette procédure, qui est enfermée dans une durée maximale d’une année, doit cette fois nécessairement déboucher sur la résolution des problèmes au travers d’un plan de sauvegarde : tout en se réinventant, l’entreprise va alors rembourser ses créanciers en dix annuités au maximum.

Le conseil

Toutes les démarches décrites ici sont volontaires : aucune administration et aucun Tribunal ne les imposera. Avant de les mettre en œuvre, un rendez-vous auprès d’un administrateur ou d’un mandataire judiciaire peut être utile afin de solliciter leurs conseils.

Enfin, toutes ses procédures ont une vertu essentielle : à supposer qu’aucune solution ne soit possible, personne ne pourra reprocher à l’entrepreneur (ou à ses associés) d’avoir tiré la sonnette d’alarme pour solliciter une assistance extérieure. Le traitement des difficultés en amont préserve ainsi la responsabilité de chacun.

Par Me Matthieu Mercier, avocat au barreau de Rennes