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Musée des Beaux-arts de Rennes : l’art urbain de Gérard Zlotykamien

« Tout va disparaître ! » L’exposition de Gérard Zlotykamien au musée des Beaux-Arts de Rennes illustre le parcours d’un artiste majeur de l’art urbain en France. Depuis 60 ans, Zlotykamien anime les murs des villes de ses figures fantomatiques que le temps ou l’action des hommes effaceront inéluctablement.

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Venir au monde à Paris en avril 1940 au sein d’une famille juive d’origine russe et d’Europe de l’Est, être déporté à l’âge de deux ans à Bergen-Belsen avec sa mère… voilà de quoi vous marquer à jamais. Au point, pour Zlotykamien, de « rejouer sans discontinuer le jeu de la vie et de la mort, de la création et de sa disparition ». Au sortir de la guerre, le parcours scolaire de Zlotykamien est chaotique. Sa rencontre avec Yves Klein en 1954 est déterminante. Il a 18 ans lorsqu’il expose pour la première fois à la galerie Cimaise à Paris. 1963 est pour lui une année charnière : première intervention urbaine au château Alilgton en Angleterre et participation à la troisième biennale des jeunes au musée d’Art moderne de la ville de Paris.

« Mon espace, c’était la rue »

De cette époque date sa défiance d’un art enfermé entre quatre murs. « J’ai commencé à tout refuser en bloc et à me dire que mon espace à moi, c’était la rue », souligne Zlotykamien. Il s’ensuit une « migration créative » au gré des villes et de leurs murs : Berlin, Ulm, Johannesburg, Paris : des cités en pleine reconstruction pour la plupart. Zlotykamien y trouve un terrain d’expression sans limites : palissades, murs décrépis, rideaux métalliques… La rue devient pour lui comme « un porte-voix », le moyen pour lui de faire entendre sa révolte face à la censure, l’injustice, la torture et la mort. Elle s’exprime au travers de visages fantomatiques comme en suspension sur le mur. L’arrière-plan, – cela restera une constante- , est vide, un vide habité par la matière du support pour laisser vivre le trait. Pas de couleurs et un graphisme des plus simples : un rond, deux yeux, une bouche tracés à la bombe aérosol noire, d’un geste instinctif. Ces personnages anonymes, hors du temps, sans réelle expression, Zlotykamien les appelle ses « éphémères ». Ils lui vaudront gardes à vue, amendes et procès, auxquels il répondra par ces mots en 1980 : « J’effacerai mes œuvres quand ils me rendront les miens. »
Zlotyykamien, qui intervient aussi dans des lieux pleins de froideur tels que les usines et abattoirs, a une préférence pour les matières pauvres. Ses sculptures faites de plaques de métal découpées reprennent l’esprit de ses « éphémères » avec parfois des touches de couleur.

De la rue aux cimaises du musée

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Zlotykamien a réussi le tour de force de faire pénétrer cet art urbain entre les quatre murs blancs du patio du musée des Beaux-Arts de Rennes, un lieu de transition entre l’édifice et la rue. Partout, des visages. Ils semblent danser sur les murs, presque joyeux. Mais dans l’un des angles, on remarque deux tas d’une vingtaine de sacs de jute portant chacun un ou plusieurs visages et des traces de peinture rouge… Zlotykamien raconte ici la déportation de sa mère à Bergen-Belsen et l’épuisement qui la conduisit un jour à se reposer sur des sacs sans savoir qu’ils contenaient… des cadavres. D’un coup, ces visages prennent toute leur force expressive d’autant plus que les bouches sont tordues et les yeux souvent manquants.

La photographie dans l’art urbain

La fragilité des matériaux employés confrontés aux intempéries et à l’effacement, l’absence d’études préparatoires et la part d’improvisation font des dessins de Zlotykamien des œuvres éphémères. D’où la nécessité d’en garder une trace dont témoignent les milliers de photographies prises par sa femme, ses amis. Dans cette exposition en cinq étapes (« improvisation programmée », « de la rue aux cimaises », « les œuvres urbaines », « l’atelier », « sculptures, destructions et matières pauvres »), on comprend comme s’est élaborée l’identité artistique de Zlotykamien et comment ses œuvres dans le contexte de l’architecture, du chaos des villes et surtout de son histoire personnelle prennent tout leur sens.

Musée des Beaux-Arts, 20 quai Emile Zola à Rennes.
Du 21 octobre 2023 au 7 janvier 2024.
Tous les jours sauf le lundi et jours fériés, de 10 h à 18 h.

Exposition réalisée avec le commissariat de Jean Faucheur, grâce au partenariat de la galerie Mathgoth à Paris, spécialisée dans l’art urbain.