L’homme est un tricoteur de chances. Il ne croit pas au hasard mais aux opportunités que l’on crée, avec une part de risque de préférence, sans cela, la vie serait dénuée de saveur. Et, qu’on se le dise, Hervé Coulombel est plutôt du genre réfractaire à la monotonie. Sa présence dégage une force intranquille, comme si son esprit était perpétuellement en ébullition. Les énigmes sans réponse chatouillent sa curiosité. C’est ce qui explique probablement son petit côté aventurier des causes perdues. Avec Royal Mer, le pari était grand. Mais il en fallait plus pour faire renoncer l’entrepreneur qui, comme tout gémeau qui se respecte, est un idéaliste.
La reprise de Royal Mer
Il signe le retour en grâce d’une marque oubliée. En 2016, à la barre du tribunal de commerce de Nantes, accompagné de son frère Roland, il reprend l’entreprise Royal Mer Bretagne et 45 des 55 salariés. « Il fallait dépoussiérer la marque. Ce qui a retenu notre attention, c’est le savoir-faire de l’équipe. » Ce savoir-faire, hérité du tricotage de pulls de marins, remonte à 1946 avec Madame Soulard, une passionnée du tricot produisant, à l’époque, 15 pulls par semaine. Rejointe par son fils en 1957, Robert Morinière, ils fondent ensemble Royal Mer Bretagne.
Se diversifier pour se démarquer
Contrats de sous-traitance : 1/4 d’activité
La diversification est essentielle pour alimenter les deux ateliers, dotés de 30 machines à tricoter et 50 machines à coudre. Celui de La Regrippière (44) et ses 62 techniciens sont dédiés à Royal Mer. À Saint-Pierre-de-Plesguen (35), les 18 salariés travaillent sur d’autres marques. Un quart de l’activité de Real Stamm (royal tricot en breton) provient de contrats de sous-traitance avec des marques premium et luxe telles qu’agnès b., Sézane, et une grande maison de luxe parisienne qui a commandé 1 300 plaids. Le patron y voit un levier de développement. « L’aménagement d’intérieur ou faire des packagings pour des maisons de luxe, des trousses, des emballages tricotés. »
Toujours dans cette optique de diversification, les équipes ont planché sur un modèle de chaussures Royal Mer. « Fausse bonne idée. Le marché est très concurrentiel. Mais cela met en avant notre savoir-faire. »
L’exosquelette de tous les espoirs
Mais Hervé et Roland Coulombel tiennent peut-être leur poule aux œufs d’or avec leur exosquelette en textile. Corfor, c’est son petit nom, est entièrement tricoté sur les machines de Royal Mer et assiste la manutention lors du port de charges. « Il permet de soulager les lombaires des opérateurs d’environ 12 kg, afin de lutter contre les TMS (troubles musculosquelettiques). Et il est 4 fois moins cher que ce qui se trouve sur le marché actuellement. » Il faut compter 249 euros hors taxe pour l’innovation, qui a nécessité 3 ans de recherche et développement. « Un vrai défi technique. Nous sommes partis du brevet d’un maçon marseillais. Cela nous permettrait d’automatiser un peu plus la production et faire un peu plus de marge. »
À ce stade, la cible est exclusivement professionnelle. « L’industrie, la logistique, le bâtiment… Nous avons des commandes test en cours avec Naval Group, Eiffage, la coopérative agricole Cavac et d’autres. » Grâce à ces développements, Hervé Coulombel table sur une croissance de chiffre d’affaires de 10 % en 2024.
La concurrence avec Saint James
L’ombre de la marque normande, aux 55 millions d’euros de chiffre d’affaires, plane inévitablement sur Royal Mer. Il n’y a qu’à regarder par la fenêtre du showroom dinardais d’Hervé Coulombel. Saint James s’est installé en 2018 juste en face.
« Il y a 30 ans, Saint James et Royal Mer se partageaient le marché du pull marin. Il y a de la place pour tout le monde, et nous nous distinguons par une large palette de couleurs et un univers de marque moins classique. »
Une industrie gourmande
Pour se démarquer, « nous jouons sur la qualité. Nous venons de lancer notre pull garanti à vie. » Mais le prêt à porter est une industrie très gourmande en trésorerie, en particulier dans le premium. Le cycle d’exploitation est de 14 mois. « Il faut un an de trésorerie. Nous sommes enfin à l’équilibre. Les points morts sont très élevés. » Et les marges très faibles. « Le coût de production représente 65 %. » D’autant plus que 80 % de l’activité est réalisée en wholesale, c’est-à-dire par des revendeurs qui eux-mêmes appliquent une marge ; le reste est généré à la boutique de Dinard, au magasin d’usine en Loire-Atlantique et par l’e-commerce.
« Nous sommes enfin à l’équilibre. »
Et les difficultés ne se limitent pas à cela : « Dans le textile, nous sommes soumis aux aléas climatiques, et nous vendons des pulls donc quand il fait 30° degrés en septembre, c’est difficile et ce n’est pas près de s’améliorer, constate le chef d’entreprise. Nous sommes à la croisée des chemins, il faut passer la seconde pour passer un cran dans le développement de la marque. Aujourd’hui, j’ai l’équivalent d’un million d’euros de stock. Si j’avais ce million en cash, je pourrais entamer des projets : du marketing, du développement à l’international (qui représente aujourd’hui 10 % du chiffre d’affaires, ndlr), aux États-Unis et au Canada par exemple. »
« Aujourd’hui, j’ai l’équivalent d’un million d’euros de stock. Si j’avais ce million en cash, je pourrais entamer des projets. »
Le miracle ou le mirage du « made in France » ?
Pour lui, le « made in France » n’est pas qu’une idée. Selon les estimations de la Fédération indépendante du made in France (FIMIF), fondées sur les chiffres fournis par les différentes fédérations sectorielles, la part de produits « made in France » pèse pour 3 % des vêtements et des bijoux vendus en France. « Les consommateurs adhèrent au concept du « made in France » mais ne sont pas réellement prêts à mettre le prix nécessaire. »
Il faut donc tenir la distance. Cela n’est pas sans fatigue. « J’aime bien les challenges mais c’est quand même difficile. Il est temps de respirer un peu. » À vaincre sans péril, on triomphe sans gloire ?
Parcours
Hervé Coulombel est né en Charente, au hasard des mutations d’un père gendarme. « Mes deux frères sont nés à Guingamp et à Brest. » Il s’installe à Rennes en 1975 et suit des études de gestion à l’IGR. Après avoir travaillé dans diverses entreprises, dont les chaussures Noël (Vitré) pendant dix ans, il crée au début des années 1990 avec son frère sa propre société pour accompagner les entreprises bretonnes à exporter. Une activité qui perdure sept ans, jusqu’à ce que les frères décident de commercialiser leurs propres produits en 2004, en reprenant l’entreprise rennaise Lambert Créations, spécialisée dans les robes de mariée. « J’étais convaincu qu’il y avait un marché. Nous avons hypothéqué nos maisons. Si c’était à refaire, je ne le referai pas. » Lambert Création est aujourd’hui dirigé par l’épouse d’Hervé Coulombel, Manuela.
Plus tard, de 2006 à 2012, il dirige une SCOP près de Laval, spécialisée dans la maille pour des marques de luxe, puis il prend les commandes pendant 4 ans d’une marque de prêt-à-porter de luxe tout juste créée par une Belge. C’est fin 2015, qu’un ami l’informe de la situation difficile de l’entreprise Royal Mer Bretagne, située près de Nantes.
Bonus
Que faites-vous quand vous ne travaillez pas ? « Je lis. J’aime bien ce qui est philosophie et ésotérique. Le sujet de la mort m’intéresse beaucoup par exemple, ce qu’il se passe après. Tout ce qui a trait au fonctionnement du cerveau, à la psychologie, me passionne. J’aime les gens, la matière humaine. »
Musique ? « Je joue de la guitare depuis 45 ans. »
Un lieu ? « Dinard : j’aime l’ambiance, l’art de vivre, c’est beau, reposant, chic sans être ostentatoire. »
Quel métier auriez-vous fait si vous n’étiez pas devenu chef d’entreprise ? « Musicien ou mathématicien. L’abstraction quoi ! »
Une personne inspirante ? « Xavier Noël, un de mes premiers patrons. C’était un homme brillant, humaniste et qui m’a fait confiance. »
La politique un jour ? « Il faut avoir du temps pour cela. L’échelon régional ou européen aurait pu m’intéresser. À une époque, j’avais mis le bout du petit doigt dedans, avec Christian Blanc, ancien P.-D.G. d’Air France qui avait fondé le think tank « l’Ami public » et en 2002, le mouvement politique Énergies démocrates. Je me suis retrouvé sur une liste pour les élections européennes, mais en 20e position ce qui ne m’intéressait pas car si je me lançais, c’était pour faire. J’aime faire, je ne suis pas dans le discours. »
Un mantra ? « Je ne crois pas au hasard. Il ne faut pas dire « j’ai de la chance, mais j’aide la chance ».