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Agrasc : « Le crime ne doit plus payer »

À Rennes, depuis avril 2022, une antenne de l'Agrasc - établissement public administratif - gère et vend les biens confisqués à des délinquants et criminels. Reportage.

Elisabeth Le Clerc, cheffe d'antenne ; André Tarrago, référent enquêteur (gendarme) ; Nathalie Ciret, greffière ; Aurélie , magistrat coordonnateur des antennes régionales Rennes-Lille-Nancy ©SB_7Jours

À Rennes, une équipe de cinq Robin des Bois des temps modernes opère au sein de l’antenne de l’Agrasc (Agence de gestion et de recouvrement des avoirs saisis et confisqués). Leur territoire s’étend de Rennes à Lille. Aurélie Poirier, magistrate à l’Agrasc de Rennes, décrit des « praticiens chevronnés, maîtrisant la matière pénale et le ressort et qui adoptent une approche offensive ».

Antenne de Rennes : 90 millions d’euros saisis

Tout bien lié, même indirectement, à une infraction passible d’une peine d’emprisonnement d’un an minimum peut être confisqué. « Nul ne doit tirer profit de son délit », telle est la devise.

Châteaux, bateaux, voitures, vêtements de luxe, cryptoactifs… en France et à l’étranger, le volume des avoirs criminels saisis par la justice atteint des records en 2023 : 1,4 milliard au niveau national et 90 millions par l’agence rennaise.

Cette tendance redessine la lutte contre la délinquance. Placé sous la tutelle des ministères de la Justice et du Budget, l’Agrasc est chargée de gérer et de vendre les biens saisis. Le gros du volume provient de la délinquance liée aux stupéfiants. Cependant, « en termes de gains, les dossiers financiers du type blanchiment ou escroquerie ont pris une place prépondérante », analyse la cheffe d’antenne, Élisabeth Le Clerc.

Les ventes des biens ont parfois lieu avant jugement, en raison de la dépréciation, ou après. 30 % des biens saisis sont des contrefaçons. Pour ce qui est authentique, les ventes exceptionnelles, comme celle organisée à Besançon fin 2023, où 166 montres de luxe étaient à vendre, dont la moitié était « apportée », par l’antenne rennaise, témoignent de l’importance des montants générés.

Le volume des avoirs criminels saisis par la justice atteint des records en 2023  : 1,4 milliard au niveau national ©SB_7Jours

Le volume des avoirs criminels saisis par la justice atteint des records en 2023  : 1,4 milliard au niveau national ©SB_7Jours

En l’occurrence, 1,5 million d’euros. « Vendre les biens est un cercle vertueux qui permet également de réduire les coûts de gardiennage des scellés. » Concernant l’argent directement saisi par l’Agrasc, en contact direct avec les banques, il est placé sur un compte à la Caisse des dépôts et consignations.

Quand ils ne retrouvent pas le magot en sortant de prison, cela désorganise des réseaux et leur logistique ; cela fait mal au portefeuille et à l’ego.

Les sommes récoltées sont réparties entre des affectations judiciaires, le budget général de l’État, la Mission interministérielle de lutte contre les drogues et les conduites addictives, le Fonds de lutte contre la traite des êtres humains ou des affectations sociales. « En ce moment, il y a un appel à association dans le Morbihan pour occuper une maison confisquée », illustre Aurélie Poirier. « Cela donne le sentiment que justice a été rendue et que l’on remet à la population ce qui lui a été volé », complète Élisabeth Le Clerc.

Une révolution culturelle

Pour la justice, il s’agit aussi de renforcer l’effet dissuasif de la sanction pénale. « Oui, nous pouvons éradiquer la criminalité, affirme la magistrate. Ils ne retrouvent pas le magot en sortant de prison et cela désorganise des réseaux et leur logistique. Cela fait mal au portefeuille et à l’ego. Certains contestent les saisies jusqu’en Cassation, mais pas les peines de prison. Nous commençons même à être connus par les délinquants. »

Et d’ajouter :  » Contrairement à l’Italie, avec ses lois anti-mafia, en France, la matière est jeune, en pleine évolution législative et jurisprudentielle. Il y a même peut-être encore une autocensure des magistrats pour saisir. C’est une révolution culturelle au sein de la justice« .

Pour fluidifier la collaboration avec les juridictions, l’Agrasc de Rennes signe des conventions. Comme avec le tribunal judiciaire de Rennes.  » Cela permet de venir récupérer directement les décisions de justice par exemple », illustre Nathalie Ciret, greffière.

Au-delà de ces aspects très pratiques, Aurélie Poirier éclaire l’assistance aux magistrats que propose l’Agrasc : « Sans jamais se substituer à eux, évidemment, nous pouvons travailler ensemble à des stratégies d’enquête patrimoniale et détecter les dossiers à forts enjeux. Toutes les juridictions ne sont pas au même stade de maturité, la formation de tous les maillons du circuit – enquêteurs, magistrats, greffiers – est cruciale. »

2023

National

1,4 milliard d’euros saisis, dont un gros dossier de 500 millions saisis par le Parquet national financier

175 millions d’euros confisqués

110 millions reversés au budget général de l’État

Rennes

12,4 millions reversés (hors immobilier)

Volume financier de toutes les affaires traitées par Rennes : 90 millions (hors international et hors immobilier). Le gros du portefeuille relève de la cour d’appel de Rennes et de la JIRS.
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