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[Droit & environnement] La justice négociée au tribunal judiciaire de Rennes

Contrairement aux procès qui peuvent prendre des années, la justice négociée propose un moyen plus rapide de traiter certaines affaires, dont celles portant sur des délits environnementaux : les personnes mises en cause reconnaissent leur responsabilité et acceptent les peines ou les mesures proposées par le parquet. Quels sont les mécanismes juridiques qui rendent possible les négociations ? Quelle utilisation en est faite au tribunal judiciaire de Rennes ? Entretien avec Matthieu-Jean Thomas, magistrat en charge du pôle contentieux spécialisés.

Matthieu-Jean Thomas, magistrat en charge du pôle contentieux spécialisés. ©Studio Carlito

Matthieu-Jean Thomas, magistrat en charge du pôle contentieux spécialisés. ©Studio Carlito

7J. Quels sont le volume et la nature des délits environnementaux que vous traitez ?

Matthieu-Jean Thomas. Le nombre d’affaires nouvelles enregistrées chaque année au parquet de Rennes, portant sur des problématiques environnementales, oscille entre 400 et 500, dont 165 procès-verbaux adressés, sur 2022, par le service départemental de l’Office français de la biodiversité. Le panel des infractions et des personnes mises en cause est très large : les enquêtes ou les signalements peuvent, par exemple, impliquer un groupe agro-alimentaire important soupçonné de pollution de cours d’eau, une enseigne nationale d’habillement apposant des dispositifs publicitaires sur des monuments historiques, tout comme un exploitant agricole individuel appliquant des herbicides sans respecter la zone de non-traitement à un mètre des fossés ou à cinq mètres des cours d’eau.

Initialement applicable aux infractions économiques, financières, la convention judiciaire d’intérêt public (CJIP) a connu un élargissement en 2021 aux infractions prévues par le code de l’environnement. Cet outil permet aux procureurs de la République de négocier, avec les entreprises, une amende et des mesures correctives en échange de l’abandon des poursuites pénales. Pouvez-vous nous en dire davantage ?

MJT. La CJIP en matière environnementale permet au parquet de proposer à une personne morale de se soumettre à trois obligations : le versement d’une amende d’intérêt public dont le montant ne peut excéder 30% du chiffre d’affaires moyen annuel, la mise en conformité et la réparation du préjudice écologique dans un délai maximal de 3 ans. Cette procédure encore nouvelle, créée en décembre 2020, est une déclinaison de la CJIP habituellement pratiquée par le Parquet national financier (PNF) dans des affaires de très grande complexité. La validation d’une CJIP ne vaut pas reconnaissance de la culpabilité et il n’y a pas d’inscription au casier judiciaire de la personne morale. Les CJIP font l’objet d’un communiqué de presse.
Le parquet de Rennes n’a pas encore déclenché de CJIP sur des atteintes à l’environnement, aucune des affaires traitées depuis l’entrée en vigueur de ce texte n’ayant, heureusement, généré un préjudice écologique nécessitant plusieurs années pour sa réparation.

À quel mécanisme juridique avez-vous plutôt recours ?

MJT. Quand les conditions sont réunies, la réponse réservée aux infractions environnementales d’une certaine gravité est la Comparution sur reconnaissance préalable de culpabilité (CRPC), proposée aux sociétés et aux dirigeants qui les représentent. La CRPC est un outil très utile dans des affaires économiques et financières ou pour des infractions techniques prévues par des codifications spéciales (travail, commerce, environnement, consommation, santé publique…). Lorsqu’il a clôturé son enquête, le parquet communique le dossier aux avocats de la société et/ou du dirigeant, pour leur préciser les infractions qu’il entend poursuivre puis les peines qu’il envisage de proposer.
La composition pénale est un autre outil maniable, qui suppose aussi que la personne physique ou morale reconnaisse les faits et accepte de verser, dans un délai d’un an maximum, une amende proportionnée à ses revenus ou à son chiffre d’affaires; à titre d’exemple, 135 procédures traitées par le pôle contentieux spécialisés du parquet de Rennes depuis le 1er janvier 2023 (notamment en matière environnementale) ont permis de proposer aux personnes impliquées un montant global d’amendes de 310 000 €, dont près de 70 % a déjà été versé au Trésor Public.
Les peines acceptées dans le cadre des CRPC et les mesures exécutées en composition pénale sont inscrites au casier judiciaire des personnes physiques et morales (pour une durée limitée à 3 ans s’agissant des compositions pénales, sauf nouvelle infraction).

Pourquoi choisir de négocier ?

MJT. Les capacités de jugement, à Rennes comme ailleurs, sont limitées et les délais d’audiencement s’allongent. Nous disposons, en moyenne, d’une audience par mois pour faire juger les dossiers poursuivis par le pôle (dans lesquels ont été prononcées, cette année, des amendes pénales représentant un montant total de plus de 1 500 000 €). Un dossier d’infractions environnementales représente des heures de débats à l’audience, sur des points souvent très techniques. Négocier, ce n’est pas brader une peine. Que ce soit la CJIP, la CRPC ou la composition pénale, ce n’est pas une négociation clandestine entre le parquet et les avocats des sociétés impliquées. À chaque fois, un magistrat du siège intervient pour valider la CJIP (ou la composition pénale) et homologuer la CRPC.

Négocier, ce n’est pas brader une peine.

Qu’est ce qui fait qu’un dossier doit aller jusqu’au procès ?

MJT. Certains dossiers où les faits sont totalement contestés par la société mise en cause ou pour lesquels les parties civiles (particuliers ou associations) attendent absolument une audience publique. Une société d’envergure nationale sur le secteur des produits et solutions bois pour l’habitat et la construction a été condamnée au mois de septembre 2023 par le tribunal correctionnel de Rennes dans une affaire de commerce illégal de bois importé d’Amérique du Sud (ayant fait appel, elle est présumée innocente) : la position de ses représentants durant l’enquête, contestant toute responsabilité, comme celle de l’association à l’origine des investigations, ensuite menées par les services de la PJ et de l’OFB, ont exigé que les débats se déroulent à une audience publique.

Quid de la place des victimes dans cette justice négociée ?

MJT. Les associations sont représentées et associées. S’agissant des affaires de gravité moyenne, certaines victimes préfèrent attendre quelques mois seulement, voire parfois quelques semaines, pour pouvoir intervenir en CRPC ou en composition pénale, qu’attendre parfois plus d’une année pour une audience publique. La justice négociée est tout sauf un moyen de tenir les victimes à l’écart du dossier.