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Exercer une activité commerciale sur le domaine public : un univers impitoyable

« Ton univers impitoyable »… Ça y est, vous l’avez dans la tête ? Eh bien, la communauté commerçante traitant avec des collectivités publiques aussi !
Car exercer une activité commerciale sur le domaine public a son lot de particularités. Installer un kiosque ou autre camions ambulant, aux abords d’une plage ou sur le trottoir d’une ville, pour de la restauration, de la location ou tout autres services : les cas sont légions et les activités multiples. Alors, dans quelle mesure les droits commerciaux sont susceptibles de différer de celles et ceux traitant avec un bailleur privé ?

Domaine public : malheur à celui qui n’a pas compris

Trottoir, place, plage, forêt, aérodrome, port, un espace donné peut être naturellement de la propriété[2] de collectivités publiques, notamment des communes ou de leurs groupements[3]. Ces propriétés ne sont pas toutes logées à la même enseigne.

En premier lieu, certaines relèvent de leur domaine public. Elles bénéficient ainsi d’une protection particulière, soit qu’elles soient affectées à l’usage direct du public, soit qu’elles soient affectées à un service public doublé d’un aménagement indispensable à son exécution[4]. Il peut aussi s’agir du domaine public ferroviaire[5] ou fluvial[6], ainsi déterminé par la loi, par exemple. Dans tous les cas, le domaine public est insaisissable[7], incessible et imprescriptible[8]. Au reste, le titre permettant son occupation est nécessairement précaire et révocable[9]. On y conclut des conventions d’occupation domaniales contre le paiement d’une redevance. Depuis 2014, on y autorise la constitution de fonds de commerce, sous conditions.

En second lieu, certaines propriétés relèvent de leur domaine privé. Sa définition est résiduelle : tout ce qui ne relève pas du domaine public[10]. Le domaine privé ne bénéficie pas, quant à lui, de protection particulière. Les collectivités publiques le gèrent selon les règles de droit commun et peuvent notamment conclure des contrats de droit privé tels qu’un bail commercial[11], ou encore un bail professionnel, voire le céder.

Enfin, précision doit être faite qu’un bien relevant du domaine public peut faire l’objet d’un déclassement[12]. Il sera alors versé dans le domaine privé de la collectivité publique. C’est notamment possible lorsque cette dernière constate, puis décide que le bien n’est plus affecté à un service public ou à l’usage direct du public.

Problème : distinguer ce qui relève du domaine public et du domaine privé n’est parfois pas chose aisée (même pour un juriste aguerri). Une étude sur l’antériorité du bien peut s’avérer nécessaire, un risque de confusion existe et des erreurs sont commises, tel ce « bail commercial » conclut pour la gestion d’un village-vacances incluant notamment des missions de préparation de repas scolaires[13]. Le juge administratif refusera en pareil cas l’application du régime protecteur des baux commerciaux en cas d’éviction.

Convention d’occupation domaniale et fonds de commerce : sous ton soleil implacable

Commençons par étudier le cas de la personne se sachant occuper le domaine public, mais doutant de pouvoir valoriser un fonds.

On le sait, « un fonds de commerce peut être exploité sur le domaine public sous réserve de l’existence d’une clientèle propre » [14]. Mais ces dispositions ne sont applicables qu’aux contrats d’occupation qui sont postérieurs à ce texte adopté en 2014[15].

A titre d’illustration, à Cannes, une commerçante ayant édifié un kiosque à glaces en 1979 en a fait les frais[16]. Plus localement, il en est allé de même s’agissant d’une société exploitant un atelier de matériaux d’isolation et de calorifugeage pour la pêche, sur le port de Lorient[17]. Seule consolation, interprétant la portée du verbe « pouvoir » mentionné au texte, le juge précise que depuis 2014, il n’est, pour autant, pas possible d’écarter la

possibilité de constituer un fonds de commerce dans un contrat d’occupation domaniale[18].

Vigilance néanmoins : cela ne signifie pas pour autant qu’une indemnité d’éviction puisse être allouée à l’issue du contrat[19] : la collectivité publique s’en trouve déchargée au titre des dispositions du Code de commerce[20]. Les droits attachés à la propriété du fonds ne s’exercent ainsi qu’à l’égard d’un éventuel repreneur de l’activité.

La prudence doit alors conduire à vérifier la date de conclusion de la convention. Puis, pourquoi pas, négocier avec la collectivité publique un avenant à la convention initiale en vue de convenir de l’établissement d’un fonds et, par suite, sécuriser, un peu, le patrimoine commercial.

Bail commercial sur le domaine public : tu ne connais pas la pitié

Autre cas de figure : les parties au contrat ignorent occuper le domaine public, ou pire, concluent au droit de celui-ci un bail commercial en connaissance de cause.

Or, le principe est clair : un bail commercial ne peut pas être conclu sur le domaine public. La sanction l’est tout autant : un tel contrat est soit requalifié en convention précaire par le juge administratif[21], soit annulé par le juge judiciaire[22]. Et la déconvenue peut être sévère, à l’image d’un contrat intitulé « bail commercial » portant sur l’exploitation du bar-restaurant d’un aérodrome, domaine public s’il en est. La résiliation du « bail » n’ouvre pas particulièrement droit à indemnité[23] et surtout, à indemnité d’éviction au titre de la perte du fonds de commerce[24]. Plus proche de chez nous, au Pouliguen, une société a amèrement dû renoncer à un bail commercial pour une activité de location de cabines et de tentes sur la plage du Nau, pour se faire entendre qu’il disposait en réalité d’un titre précaire[25].

Aussi, quelques précautions s’imposent avant de signer un bail commercial avec une collectivité publique. Tout d’abord, il conviendra de confirmer la qualité du domaine et de s’assurer d’un éventuel déclassement du domaine public, voire l’anticiper avant la conclusion du contrat. Ensuite, il peut être utile de préciser explicitement dans le corps du contrat les raisons pour lesquelles le régime de la convention précaire est écarté. Au reste, les situations à risque peuvent se régulariser amiablement en prévoyant la résiliation du titre douteux, un déclassement, puis la conclusion d’un bail commercial new look. Et ce sera .. le Texas !

 

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[1] Claude J. Bobin, Dallas, L’odyssée des Ewing du Texas, Éditions Le Manuscrit, août 2007.
[2] Art. L1 et L. 21111-1 du Code général de la propriété des personnes publiques (CG3P)
[3] Art. L1 et L. 21111-1 du Code général de la propriété des personnes publiques (CG3P)
[4] Art. L. 2111-1 CG3P
[5] Art. 2211-15 CG3P
[6] Art. L. 2211-7 CG3P
[7] Art. L. 2311-1 CG3P
[8] Art. L. 3111-1 CG3P
[9] Art. L. 2122-2 CG3P
[10] Hors les cas déterminés par les textes, tels que les bureaux (art. L. 2211-1 CG3P) ou les forêts domaniales (art. L. 2212-1 CG3P), par exemple.
[11] Art. 145-2 du Code de commerce
[12] Art. L. 2141-1 CG3P
[13] TA Grenoble, 12 mars 2014 : n° 1206529.
[14] Art. 2124-32-1 sqq CG3P. Attention, le texte ne s’applique pas sur le domaine public naturel.
[15] CE, 24 nov. 2014 : n° 352402, Lebon.
[16] TA Nice, 3 oct. 2023 : n° 2004897.
[17] CAA Nantes, 27 oct. 2015 : n° 13NT02462.
[18] CE, 11 mars 2022 : n° 453440
[19] TA Marseille, 16 févr. 2023 : n° 2010104.
[20] A contrario, une indemnité d’éviction est bien due par la collectivité lorsque le bail commercial est conclu sur le domaine privé (art. L. 145-26 Code de commerce).
[21] CE, 24 nov. 2014 : n°352402, Lebon.
[22] Cass., 13 nov. 2007, n°06-15.995, s’agissant de la concession du chantier naval de Calvi.
[23] Sauf dans le cas où le commerçant a été laissé dans la croyance de pouvoir bénéficier du régime des baux commerciaux, mais l’indemnité est souvent modique – TA Caen, 1ère, 23 juin 2023, n° 2101312 (3000 €).
[24] CAA Marseille, 21 avr. 2023 : n° 21MA03573.
[25] CAA Nantes, 17 déc. 2021 : n°19NT03664.