Couverture du journal du 26/04/2024 Le nouveau magazine

François Desprat, nouveau président du Conseil national 

Après avoir occupé la vice-présidence pendant deux ans, François-Charles Desprat succède à Frédéric Abitbol à la tête du Conseil national des administrateurs et mandataires judiciaires (CNAJMJ). Il a été élu en janvier 2024 pour deux ans. Le nouveau président présente les projets de sa mandature et l’année 2024. Entretien.

François Desprat, nouveau président du Conseil national des Administrateurs judiciaires et mandataires judiciaires (CNAJMJ) ©Sebastien Dolidon-CNAJMJ

Présentez votre profession.

François Desprat. Le mandataire judiciaire a un mandat de justice confié par les tribunaux de commerce pour toutes les entreprises à caractère commercial et par les tribunaux judiciaires pour toutes les entreprises à caractère civil, comme les agriculteurs, les sociétés civiles et professions libérales, les associations. Il est présent en cas de sauvegarde, de redressement judiciaire ou de liquidation judiciaire.

Nous sommes les représentants de l’intérêt collectif des créanciers et l’interlocuteur du tribunal et de ses magistrats pour les renseigner sur la détermination du passif et l’indemnisation des salariés. Lorsque, malheureusement, le dossier est converti en liquidation judiciaire, notre rôle est un peu plus large et comprend un volet social. Il s’agit de procéder au licenciement des salariés et de les faire indemniser par le fonds de garantie des salaires. Il faut réaliser les actifs de l’entreprise, immobilier ou mobilier, recouvrer toutes les créances dues à l’entreprise, engager les actions nécessaires pour reconstituer ou augmenter l’actif de la procédure. Tout cela dans l’objectif de désintéresser au mieux les créanciers qui se manifestent auprès de nous. Cette profession passionnante touche à toutes les activités, allie à la fois le droit et le chiffre, une particularité que nous partageons avec les administrateurs judiciaires.

Quel est le rôle du CNAJMJ ?

F. D. Le conseil national représente la profession en France, composée d’environ 150 administrateurs judiciaires et 300 mandataires judiciaires. À ces 450 professionnels s’ajoutent près de 2 800 salariés. La structure, basée à Paris, assure la formation des professionnels et de leurs collaborateurs. Elle organise également les contrôles que nous subissons tous les trois ans et examine les rapports pour détecter d’éventuelles anomalies. Notre établissement, composé de seize membres, a également un rôle de représentation auprès des institutions, notamment des différents Ministères. Nous sommes notamment consultés sur les textes qui concernent notre profession. Un mandat au conseil dure quatre ans. Le bureau, composé de six personnes, est élu par le conseil tous les deux ans avec, à tour de rôle, un mandataire, puis un administrateur à sa tête.

 

« 55 000 procédures en 2023, concernant 220 000 emplois environ : nous sommes parvenus à en sauver près de 70 % »

 

Comment va la profession ?

F. D. Nous avons vécu une période difficile lors de la crise sanitaire. Au mois de mars 2020, le président de la République a décidé d’un quoi qu’il en coûte et le ministre de l’Économie a mis en place un certain nombre de mesures de soutien aux entreprises. Aussi, nous avons apporté beaucoup d’aide permettant à certaines sociétés de franchir ce cap. Si bien que pendant deux ans et demi, le nombre de défaillances d’entreprises a considérablement réduit. Sur un cycle normal, elles représentent entre 50 000 et 55 000 procédures annuelles. En 2020, le chiffre est tombé à 28 000 et en 2021 à 27 500. L’activité de nos cabinets en a été fortement impactée.

Les défaillances ont repris à la fin du premier semestre 2022. Fin 2023, nous avons finalement retrouvé un niveau comparable à celui de 2018, soit 55 000 procédures. Un niveau un peu élevé mais pas anormal, l’économie a toujours produit ce cycle entre les créations et les défaillances.

L’année 2024 s’annonce délicate. La conjoncture est difficile en raison de multiples facteurs et cela impacte la sécurité des entreprises. Aussi, nous nous attendons, de notre côté, à avoir un volume d’activité conséquent. Mais la profession fera face. Nous avons l’habitude de ces situations et nous sommes aptes à absorber ce volume.

 

«  Une plateforme dématérialisée de déclaration des créances sera opérationelle en 2025 »

 

Quelques précisions sur les défaillances d’entreprises ?

F. D. Nos chiffres au sein du Conseil national sont assez précis puisque nous avons monté un observatoire des données économiques. Tous les dix jours, nous les transmettons à un certain nombre d’interlocuteurs, dont l’ensemble des cabinets ministériels. Sur 55 000 procédures en 2023, 94 % ont concerné des sociétés de un à dix salariés. C’est le reflet du tissu des entreprises sur le plan national. Parmi les secteurs les plus touchés figurent le commerce, la construction, l’hôtellerie-restauration, mais également l’activité immobilière, les services à la personne, les industries manufacturières… Cela a concerné, l’an passé, 220 000 emplois environ, et nous sommes parvenus à en sauver près de 70 %.

En parallèle, le domaine de la prévention, via les mandats ad hoc ou les procédures de conciliation, permet d’obtenir des résultats positifs de préservation des sociétés à hauteur de 75 à 80 %. Ce type d’action a un peu augmenté, pour parvenir au nombre de 7 000 en 2023. Nous invitons les chefs d’entreprise à venir nous consulter ou à pousser la porte du tribunal tôt, pour voir quelles solutions sont possibles et ainsi éviter la case liquidation.

Quels sont les projets de votre mandat ?

F. D. Notre projet phare est la construction d’une nouvelle plateforme dématérialisée de déclaration des créances. Cette disposition a été insérée dans la loi de programmation de justice de novembre 2023 et le gouvernement nous a confié le soin de créer cet espace en ligne. Elle devrait être opérationnelle début 2025. Nous avons sélectionné un prestataire pour nous accompagner dans sa réalisation. Cela devrait être particulièrement structurant pour notre profession notamment grâce au gain de temps engendré. À l’égard de nos interlocuteurs, cette digitalisation montrera notre modernité et notre dynamisme. Par la suite, si tout fonctionne bien sur cette plateforme, nous pourrons imaginer des évolutions vers le traitement des revendications, le vote des créanciers dans le cadre des plans ou encore, peut-être, imaginer des paiements… Il y a énormément de possibilités ! La déclaration de créance est la porte d’entrée d’un certain nombre de développements futurs. Toujours dans ce domaine du numérique, quelques férus d’informatique au sein de l’équipe ont des idées pour utiliser, entre autres, l’intelligence artificielle.

Ensuite, depuis 2019, nous rencontrons des difficultés avec l’AGS, le régime de garantie des salaires. Ce conflit impacte le bon déroulement et traitement des procédures. Nous devons essayer de trouver une solution ! Le nouveau directeur, nommé également début janvier, semble prêt à ouvrir des discussions. Cela va être mon rôle d’entrer dans cette démarche pour pouvoir apaiser nos relations. Nous devons retrouver de la confiance et non plus de la défiance comme c’était le cas depuis cinq ans. Voilà deux sujets essentiels pour l’année à venir, voire pour les deux ans du mandat.

Parcours

Charles Desprat est diplomé d’un DESS de droit de la propriété industrielle, et mandataire judiciaire depuis 28 ans, installé à Bourg-en-Bresse depuis 1997 et comptant aujourd’hui une équipe de quinze personnes. Il a repris une étude en janvier 2022 de six personnes en Haute-Savoie, à Annecy et Thonon-les-Bains. Il est associé de la Selarl MJ Synergie, composée de sept mandataires judiciaires et 61 salariés sur huit sites, notamment sur le ressort de la cour d’appel de Lyon.