Couverture du journal du 26/04/2024 Le nouveau magazine

La belle-iloise : rien n’«arête» la conserverie bretonne

63 millions de chiffre d’affaires et jusqu’à 650 employés en été, la belle-iloise fait partie des belles histoires entrepreneuriales et familiales bretonnes. Rencontre avec Caroline Hilliet Le Branchu la PDG de cette Entreprise de taille intermédiaire (ETI). 

Caroline Hilliet Le Branchu, PDG de la belle-iloise ©Sylvain Mainguy Photographe

Créée à Quiberon en 1932, la belle-iloise est aujourd’hui l’un des fleurons de l’économie bretonne. Avec 89 magasins détenus en propre en France, et 2 en Belgique, la conserverie tire son épingle du jeu en proposant en vente directe des produits de grande qualité, fabriqués majoritairement à partir de poissons frais et autres ingrédients de premier choix.  Un héritage familial, que Caroline Hilliet Le Branchu fait perdurer avec fierté. Rencontre avec la PDG de cette Entreprise de taille intermédiaire (ETI). 

Une enfance bordée par les vagues

Pour comprendre l’attachement de Caroline Hilliet Le Branchu à la mer, il faut remonter le littoral breton jusqu’au bout de la presqu’ile de Quiberon, dans les années 1980. Une enfance bordée par les vagues et agrémentée de poissons. « Je vivais au rythme de cette presqu’île : j’en garde des souvenirs de plage, de balades à cheval sur la côte sauvage, et beaucoup de bons moments en famille… » Et bien sûr, c’est aussi une enfance au rythme de l’entreprise « puisque la conserverie était pleinement ancrée dans notre quotidien ». Une activité saisonnière, qui nécessite une adaptation sans failles : « Nous vivions au rythme de la pêche et de ses aléas. Dès petite, j’étais au contact des pêcheurs. »  Après l’enfance à Quiberon, direction l’internat à Vannes, puis Rennes, Clermont-Ferrand pour les études, Lille et la région parisienne pour le travail… avant de revenir en Bretagne en 2005.

« La grande distribution demandait de fabriquer plus et moins cher, en travaillant du poisson congelé, impossible pour mon grand-père »

« Mon grand-père obstiné »

Si la belle-iloise est aujourd’hui celle que l’on connaît, avec ses 63 millions de chiffre d’affaires et jusqu’à 650 employés en été, elle s’est construite progressivement, sur 90 ans, de génération en génération. « L’entreprise a été créée en 1932 par mon grand-père, Georges Hilliet, à Port-Maria, le port de pêche de Quiberon, où il y avait déjà 14 conserveries. »

Atelier la belle-iloise à Quiberon ©Sylvain Mainguy Photography

« C’était alors un petit atelier de fabrication où l’on travaillait uniquement de la sardine. C’est aussi là qu’ouvrira, en 1967, le premier magasin de vente directe la belle-iloise, au sein même de l’usine. »
Fils d’une famille de mareyeurs douarnenistes et descendant de marins-pêcheurs, le grand-père connaissait bien l’univers des conserveries. Progressivement, l’offre de produits s’étend et les idées fusent : de nouvelles recettes de sardines, la première soupe de poisson, le premier tartinable… et de plus en plus de saisonniers sont embauchés.

Arrive l’émergence de la grande distribution dans les années 1960. « La grande distribution demandait de fabriquer plus et moins cher, de modifier les façons de faire, en mécanisant, en travaillant du poisson congelé, impossible pour mon grand-père : son moteur, c’était la qualité. » Le marché se contracte face aux premiers supermarchés, et de nombreuses conserveries disparaissent. La belle-iloise, elle, garde le cap. « Mon grand-père était très obstiné, et il a misé sur son côté créatif et visionnaire. Il s’est dit « Ici, à Quiberon, il y a plein de touristes, alors s’il le faut, j’irais vendre mes sardines sur la plage ». Il a transformé un petit local de l’usine en magasin et c’est ainsi qu’en juin 1967 est né le premier magasin la belle-iloise. »
Un pari gagnant, la vente directe devenant la force de la belle-iloise.

De génération en génération

En 1972, l’oncle et le père de Caroline, Georges fils et Bernard Hilliet, prennent la relève de leur père à la tête de l’entreprise. Ensemble, ils tirent la ficelle de la vente directe et ouvrent un deuxième magasin à Carnac, puis un troisième au Croisic… jusqu’à créer un réseau de 9 magasins implantés sur le littoral armoricain. Mais en dehors de la période estivale, les clients manquent. Georges fils a une idée, écrire aux clients domiciliés loin du bord de mer pour leur permettre de commander leurs conserves tout au long de l’année : les débuts de la vente à distance.
Seul à la tête de l’entreprise à partir de 1996, Bernard Hilliet étend le réseau de magasins de la Manche à la Méditerranée. En 2011, lorsque Caroline reprend les rênes, la belle-iloise est présente sur l’ensemble du littoral français, du Touquet à Menton, et ouvre son 50ème magasin à Hyères.
Poursuivant le cap donné par son père, Caroline ouvrira d’autres magasins sur le littoral, choisit d’en ouvrir de nouveaux dans les grandes villes françaises, et d’explorer un autre pays avec la Belgique. En 2022, pour ses 90 ans, la belle-iloise ouvre son 90ème magasin à Angers, et au printemps 2023, c’est le 91ème qui voit le jour à Morgat, sur la presqu’ile de Crozon (Finistère).

©Sylvain Mainguy Photography

Héritage familial

Entreprise familiale, c’est le moins que l’on puisse dire, mais la transmission ne s’est pas faite en un claquement de doigts. « Ce n’était pas une évidence. Plus jeune, je ne voulais pas travailler dans un bureau, ça me paraissait monotone, j’avais envie de bouger, et je ne me suis pas du tout projetée dans l’entreprise. Ce n’est que dans les années 2000 que je suis allée voir mon père pour lui parler de la reprise. Il n’avait pas de projet de transmission en tête, et mes frères et sœurs ne s’étaient pas manifestés non plus. Avec le temps, je me suis rendue compte qu’une entreprise, ça bouge énormément ! »
Caroline commence ainsi sa formation qui durera près de 5 ans. Une période nécessaire, car « il faut du temps pour une transmission d’entreprise familiale idéale. Je suis arrivée dans l’entreprise en janvier 2006 et nous nous sommes donnés 5 ans avec mon père pour que je monte en compétences, m’approprie les sujets, les métiers… »  Progressivement, elle intègre comité de direction, puis réfléchit à la stratégie de l’entreprise, à l’époque PME. « Nous avons travaillé ensemble en binôme, puis mon père m’a laissé la barre en 2011, en toute confiance. » Un grand saut dans le vide, l’adrénaline appréciée par la nouvelle PDG, « c’est comme le parapente, un challenge à surmonter ».

« 2500 tonnes de poissons à l’année sont nécessaires, le contact direct avec les pêcheurs et mareyeurs est primordial.  Nous travaillons entre 800 et 1000 tonnes de sardines par an, quand les leaders du marché vont en travailler 20 000. »

Savoir-faire et produits locaux

Dans une conserverie, la qualité se niche dans les détails. « Nous sommes toujours dans l’extrême attention à la fraîcheur. Si vous achetez un bon poisson, correctement pêché, travaillé et conservé frais, cela se ressent dans le goût. » La sardine provient directement de Quiberon, le maquereau d’Écosse et du nord de l’Irlande. Le thon, lui, est un poisson migrateur, pêché soit en Atlantique-nord, soit dans l’océan Indien, le long des côtes sud-africaines. Quant à l’huile, c’est une huile d’olive vierge extra, première pression à froid, sourcée de longue date auprès d’un producteur-partenaire en Espagne. « En fonction de ce que nous recherchons, nous étendons notre sourcing aux pays voisins européens. Mais nous privilégions le local, 93% de nos achats sont faits en France ».

« 2500 tonnes de poissons à l’année sont nécessaires, le contact direct avec les pêcheurs et mareyeurs est primordial.  Nous travaillons entre 800 et 1000 tonnes de sardines par an, quand les leaders du marché vont en travailler 20 000. »
Au niveau des processus de fabrication, l’anti-gaspi est privilégié, démarche déjà initiée par le grand-père. « Nous nous fournissons toujours en justes quantités, en fonction de nos capacités de production du moment. Nous ne jetons rien et ce qu’il reste du poisson est valorisé en co-produits. » En termes d’export, l’entreprise vend à l’international via un réseau de revendeurs : en Allemagne, en Suisse, en Suède, jusqu’au Japon, et même en Australie… « Nous traitons les demandes de revente au cas par cas. Ce qui compte pour nous, c’est travailler avec des revendeurs partageant nos valeurs ».
Labellisée « Enseigne responsable », la belle-iloise pratique une politique d’export privilégiant en premier lieu les pays européens les plus proches pour limiter l’impact écologique.

Le manque de saisonniers impacte la production

Aujourd’hui, avec le dérèglement climatique et l’évolution des modes de consommation, de nouveaux défis apparaissent, notamment sur le recrutement, dans les métiers de la production principalement. « Notre saison sardines court de mi-mai à mi-novembre. Pour cette période, il faut près de 200 saisonniers, que nous peinons à recruter depuis 2 ans. Cette année, il nous a manqué près de la moitié des effectifs, alors nous avons produit la moitié des volumes. » En cause, des problèmes de logement sur la presqu’ile quiberonnaise pour les saisonniers, et la concurrence à l’emploi. « Il y a un taux de chômage très bas en Morbihan, et à Quiberon, nous sommes en concurrence directe avec le milieu de la restauration pour recruter à la belle saison. »
Autre difficulté pour l’entreprise : les ruptures de stocks dus aux imprévus de la pêche et les aléas naturels. « Lorsque nos pêcheurs-partenaires ne trouvent pas assez de poisson, nous choisissons de ne pas produire certaines recettes, volontairement. »

Et après ?

Comment faire évoluer une entreprise déjà bien positionnée sur le marché ? « Nous entretenons au quotidien un esprit d’innovation. D’abord par de nouvelles recettes : des produits 100% végétaux, aux algues, des petits plats cuisinés, des salades prêtes à déguster, des préparations pour sandwich… pour faciliter le bien-manger au quotidien. »
« L’innovation se retrouve aussi dans la distribution, en améliorant l’expérience client, en boutique ou à distance. D’ailleurs, notre site internet fait peau neuve en cette rentrée. »
L’innovation aussi dans les process de fabrication : « Nous voulons nous appuyer sur les nouvelles technologies et l’intelligence artificielle qui peuvent apporter des solutions, par exemple pour répondre à la problématique du recrutement. »

Club ETI
Multi casquette, Caroline Hilliet Le Branchu est aussi la présidente du Club ETI Bretagne. Une Entreprise de taille intermédiaire réalise entre 50 millions d’euros et 1 milliard de chiffre d’affaires, et compte entre 250 et 5000 salariés. En Bretagne, près de 192 entreprises sont concernées et environ 45 sont adhérentes au Club créé en 2022. L’objectif est d’atteindre les 50 avant la fin de l’année 2023. « Ce sont des entreprises très ancrées sur le territoire breton et qui le défendent. Nous voulons promouvoir ce type d’entreprises, les faire connaître. En Bretagne, 70 % des ETI sont des entreprises familiales. »

BONUS
Quelle est votre groupe de musique du moment ?
Polo & Pan, un duo de musique électronique français.

Est-ce que vous aimez le poisson ?
J’adore ça, depuis toute petite ! C’est si simple et si bon pour la santé.

Une recette à partager ?
Je fais souvent des rillettes maison : il suffit d’une boîte de sardines à l’huile d’olive – les Saint-Georges de la belle-iloise par exemple – deux-trois cuillères à soupe de fromage frais, on mélange et on obtient des rillettes en 20 secondes pour l’apéritif !

Un endroit préféré ?
Quiberon, tout simplement. J’adore me balader le long de la Côte sauvage, respirer l’air iodé, et pique-niquer sur la plage…

Votre mantra ?
« L’impossible n’est que temporaire » : autrement dit, rien n’est impossible. Lorsqu’il y a des difficultés, des aléas, il ne faut pas abandonner, il faut s’adapter et saisir les nouvelles opportunités. C’est ainsi, qu’après s’être beaucoup donné, on réussit, et c’est très grisant !