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IMMOBILIER : La saga judiciaire du délai de l’action en garantie des vices cachés

Le vendeur, qu’il soit professionnel ou non-professionnel, doit à l’acquéreur la garantie des vices cachés.

Me Camille Guilbert, avocat au Barreau de Rennes

Me Camille Guilbert, avocat au Barreau de Rennes ©DR

Cette garantie est prévue par l’article 1641 du Code Civil, lequel prévoit que «  le vendeur est tenu de la garantie à raison des défauts cachés de la chose vendue qui la rendent impropre à l’usage auquel on la destine, ou qui en diminuent tellement cet usage que l’acheteur ne l’aurait pas acquise ou n’en aurait donné qu’un prix moindre s’il les avait connus. »

Ainsi, l’action en garantie des vices cachés constitue un instrument juridique utilisé quotidiennement par les praticiens. Encore faut-il en connaitre les conditions ainsi que son régime juridique, lequel a été récemment précisé par la jurisprudence de la Cour de cassation.

L’évolution la plus prégnante concerne l’encadrement dans le temps de l’action : en effet alors que la jurisprudence antérieure estimait que l’action était encadrée dans un délai de cinq ans, il est désormais jugé que l’action est enfermée dans un délai butoir de 20 ans à compter de la vente.

Retour sur une saga judiciaire passionnante et importante.

  • La garantie des vices cachés : une protection de l’acquéreur :

Le débiteur de la garantie est en premier lieu le vendeur immédiat de l’immeuble. Il convient de rappeler que son ignorance du vice ne l’exonère pas de son obligation de garantie ( article 1643 du Code Civil).

En outre, l’acquéreur peut tout à fait invoquer cette garantie à l’encontre des vendeurs antérieurs.

Néanmoins, et comme chaque action juridique l’impose, l’acquéreur ne peut faire valoir cette garantie que s’il démontre le vice caché, lequel se prouve par tous moyens.

Le vice doit répondre à certaines caractéristiques :

  1. Le vice doit porter atteinte à la destination ou à l’usage de l’immeuble :Ainsi, il a été jugé qu’une erreur de conception dans un immeuble récemment rénové peut constituer un vice caché au sens de l’article 1641 du Code Civil(3e Chambre Civile de la Cour de cassation 25 octobre 2006 n° 05-17.115).
  2. Le vice doit à l’évidence être caché, sachant que même visible un vice peut être invoqué par l’acquéreur s’il démontre qu’il ne pouvait en mesurer l’ampleur et les conséquences ;
  3. Le vice doit exister antérieurement à la vente ;
  4. Et enfin, le vice doit être inhérent au bien vendu, c’est-à-dire qu’il ne doit pas trouver son origine dans des éléments extérieurs au bien vendu.
  • Le délai d’action de la garantie des vices cachés : retour sur la jurisprudence de la troisième Chambre Civile de la Cour de cassation :

L’article 1648 alinéa 1 du Code Civil prévoit que l’action en garantie des vices cachés doit être engagée dans un délai de deux ans à compter de la découverte du vice.

Le point de départ de ce délai biennal peut être dit glissant, dans la mesure où il va commencer à courir uniquement à partir du moment où le demandeur va prendre connaissance de l’existence du vice (art. 1648 C. civ.)

Afin de procurer aux vendeurs une plus grande sécurité juridique, la Cour de cassation avait, avant la réforme de la prescription opérée par la loi du 17 juin 2008, décidé d’articuler le délai de l’article 1648 avec les délais de prescription de droit commun.

Néanmoins, la Loi de 2008 a généralisé le mécanisme du délai butoir fixé à 20 ans par l’article 2232, alinéa 1er, du code civil.

Se posait la question de savoir dans quel délai est enfermé l’action en garantie des vices cachés : dans le délai de 5 ans à compter de la vente ( prescription de droit commun article 2224 du Code Civil) ou bien dans le délai de 20 ans à compter de la vente ( article 2232 du Code Civil) ?

La 3e Chambre civile ( chambre spécialisée pour les litiges immobiliers) est venue préciser ce régime juridique aux termes de nombreux arrêts, lesquels constituent une réelle saga judiciaire.

La détermination du délai de prescription de l’action en garantie des vices cachés revêt une importance cruciale tant en matière immobilière que mobilière.

Rappelons notamment en matière de droit de la construction que le délai d’action conditionne l’action récursoire des constructeurs contre les fabricants…

  1. Suivant un premier arrêt daté du 1er octobre 2020 ( n°19-16.986), la 3e Chambre civile de la Cour de cassation a précisé pour la première fois que l’action en garantie des vices cachés est enfermée dans un délai butoir de 20 ans :En l’espèce, des acquéreurs se plaignaient de vices cachés affectant une charpente ainsi que les tuiles de leur maison, l’action en justice avait été entreprise plus de 5 ans après la vente de la maison, mais bien dans les deux ans suivant la découverte du vice.
    Se posait la question de savoir si l’action en garantie des vices cachés initiée au visa de l’article 1648 du Code Civil était prescrite ou bien recevable.La 3e Chambre Civile de la Cour de cassation estime sans aucune ambiguïté que le point de départ de la prescription extinctive du droit à garantie est fixé au moment de la vente et que seul le délai butoir de 20 ans prévu par l’article 2232 du Code Civil s’applique.L’article 2232 du Code Civil prévoit que « Le report du point de départ, la suspension ou l’interruption de la prescription ne peut avoir pour effet de porter le délai de la prescription extinctive au-delà de vingt ans à compter du jour de la naissance du droit.
    Le premier alinéa n’est pas applicable dans les cas mentionnés aux articles 2226, 2226-1, 2227, 2233 et 2236, au premier alinéa de l’article 2241 et à l’article 2244. Il ne s’applique pas non plus aux actions relatives à l’état des personnes ».Ainsi, la 3e Chambre Civile refuse d’encadrer l’action en garantie des vices cachés dans un délai de 5 ans suivant la vente.Pourtant telle était l’analyse de la 1re Chambre Civile dans un arrêt rendu le 6 Juin 2018 (n° 17-17438) confirmé par un arrêt du 8 avril 2021 (n° 20-13493), ainsi que de la Chambre Commerciale de la Cour de cassation suivant un arrêt du 16 janvier 2019 (n° 17-21477).
  2. Un arrêt important rendu par la troisième Chambre Civile le 8 décembre 2021 ( n° 20-24.349 ) confirme cette analyse :La troisième Chambre Civile confirmait en 2021 que l’encadrement dans le temps de l’action en garantie des vices cachés ne peut être assuré que par l’article 2232 du Code Civil soit un délai de 20 ans !
  3. Le 5 janvier 2022 ( n° 20-22.670) la 3e Chambre civile précise sa jurisprudence et affirme que le délai de deux ans prévu par l’article 1648 du Code Civil est un délai de forclusion
  4. Enfin, une récente décision du 25 mai 2022 ( n° 21-18.218) rendue par la 3e Chambre civile parachève sa jurisprudence

Elle rappelle que même lorsqu’une vente intervient entre commerçants , ou entre un non-commerçant et un non-professionnel, les dispositions de l’article L 110-4 du Code de commerce ( délai de 5 ans ) ne peuvent constituer le délai butoir de l’action en garantie des vices cachés lesquels demeurent régis par l’article 2232 du Code civil.

Dans cet arrêt, une EURL fait construire un bâtiment agricole en ayant recours à une entreprise ayant acheté des plaques de couverture en fibrociment auprès d’un fournisseur qui s’est adressé à un fabricant.

Se plaignant d’infiltration dans la toiture, le maître de l’ouvrage a assigné l’entreprise et son assureur et obtenu la désignation d’un expert. L’assureur de l’entreprise a assigné en ordonnance commune le fournisseur et le fabricant.

Le fabricant considérait que l’action de l’assureur de l’entreprise était prescrite puisqu’intentée plus de 5 ans à compter de la vente et ce au visa de l’article L 110-4 du Code Commerce.

La Cour d’appel ayant considéré que l’action n’était pas prescrite, le fabricant demandait la cassation de l’arrêt d’appel pour violation des articles 1648 du Code Civil et L. 110-4 du code de commerce.

Pour les ventes conclues après la loi du 17 juin 2008, il a été jugé que l’encadrement dans le temps de l’action en garantie des vices cachés ne peut être assuré que par l’article 2232 du Code Civil, édictant un délai butoir de vingt ans à compter de la naissance du droit.

  • Que retenir de ces décisions en pratique ?

Il est à noter que la 1re Chambre civile et la Chambre commerciale continuent de faire jouer au délai de prescription de droit commun le rôle d’un délai butoir, du moins en matière commerciale.

Il existe donc une divergence d’interprétation, mais il semble que la jurisprudence de la Troisième chambre civile soit dominante.

Il convient également de faire attention notamment afin de savoir si les faits sont antérieurs à la loi du 17 juin 2008…

Pour les situations postérieures, l’action en garantie des vices cachés doit être engagée dans un délai de deux ans à compter de la découverte du vice ( par exemple à l’occasion du dépôt d’un rapport d’expertise judiciaire) sans pouvoir dépasser un délai de 20 ans à compter de la vente.

L’avant-projet de réforme du droit des contrats spéciaux a pris position en faveur de la 3e Chambre Civile puisqu’il est prévu une nouvelle rédaction de l’article 1648 comme suit :

« L’action résultant des vices se prescrit par deux ans.
Ce délai commence à courir à compter du moment où l’acheteur a découvert ou aurait dû découvrir le vice, sans que l’action puisse être exercée au-delà du délai fixé à l’article 2232.Toute clause contraire est réputée non écrite. »

L’avant-projet suggère tout de même une variante selon laquelle elle ne pourrait être exercée « plus de dix ans après la délivrance ».

En définitive, il convient d’approuver que les auteurs de l’avant-projet se soient ralliés à la position de la 3e Chambre Civile.

Expertise par Me Camille Guilbert, avocat au barreau de Rennes.