Couverture du journal du 26/04/2024 Le nouveau magazine

Vivement Lundi! (c)rêve l’écran

« Meilleur film international », « meilleur film d’animation », « meilleur film documentaire »… pour le studio d’animation rennais Vivement Lundi! le palmarès est beau : cinq nominations aux César, et quatre aux Oscar, en 25 années d’existence. Derrière ces paillettes, se cachent des années de travail. Pour la partie créative de l’animation, mais aussi et surtout pour les montages financiers complexes, les budgets à plusieurs millions d’euros, les collaborations à l’international. La société de production participe par ailleurs à la structuration d’une filière de l’animation « à la Bretonne », avec ses besoins en infrastructures et en formations. Rencontre avec Jean-François Le Corre, co-fondateur et producteur de Vivement Lundi!

Jean-François Le Corre, co-fondateur et producteur; Valérie Amour Malavieille, co-fondatrice et directrice administrative et financière; Aurélie Angebault, productrice déléguée; Mathieu Courtois, producteur et directeur du studio Personne n'est parfait! ©Studio Carlito

Jean-François Le Corre, co-fondateur et producteur; Valérie Amour Malavieille, co-fondatrice et directrice administrative et financière; Aurélie Angebault, productrice déléguée; Mathieu Courtois, producteur et directeur du studio Personne n'est parfait! ©Studio Carlito

Si jamais vous déambulez dans les bureaux de Vivement Lundi!, ouvrez grand les yeux. Au sous-sol, la marionnette d’une grand-mère, assise paisiblement dans un décor elfique, attend son heure de gloire. Un coffret des César cale la porte de l’escalier. Au premier étage, derrière un ordinateur, le réalisateur Bruno Collet lève une tête distraite, casque aux oreilles. Sur les murs, le visage de Suzanne saisit le regard du visiteur. La future héroïne d’un grand format animé pour Arte dont Jean-François Le Corre parle avec grâce et passion.

Business model : l’hydre à deux têtes

©Studio Carlito

Le réalisateur Bruno Collet ©Studio Carlito

Le producteur a davantage d’un artiste que d’un financier. « Je n’estime pas être un financier, notre industrie est une économie de prototype, comme toutes les industries de contenus, caractérisée par le risque. » Impossible de garantir à l’avance le succès de l’une ou l’autre de ses productions. Mais Vivement Lundi! tire son épingle du jeu et enregistre un volume d’activité à 1,4 million d’euros, et compte neuf collaborateurs permanents. À plein, 50 à 60 personnes, des intermittents du spectacle, peuvent travailler sur les différentes productions.

De l’autre côté, le studio Personne n’est parfait! propose des prestations audiovisuelles en animation. Le chiffre d’affaires atteint les 2,670 millions d’euros, majoritairement avec des clients extérieurs. Le studio a récemment travaillé pour le long-métrage d’animation de Claude Barras, Sauvages, prévu pour octobre 2024. « Le CNC* nous a poussés à séparer activités de production et de prestation. Ce modèle économique nous a permis de développer les prestations au-delà de celles dédiées à Vivement Lundi ! et d’attirer des projets qui n’étaient pas initialement appelés à passer en Bretagne. »

*centre national du cinéma et de l’image animée

Une industrie rennaise bouillonnante et un nouveau studio

©Studio Carlito

Parler d’animation « à la Rennaise » prend tout son sens, grâce au dynamisme de Vivement Lundi mais aussi de JPL Films. « Alors que le cinéma de fiction en prise de vue réelle (« en viande » selon le jargon) avait du mal à se développer hors d’Ile-de-France, l’animation a permis de sédentariser des équipes dès les années 1990. » Les processus de travail sont si longs que des liens se tissent. Des techniciens et des cadres peuvent être formés. « Il faut reconnaître que la Région a montrer un volontarisme pour soutenir la filière. L’école des beaux arts a fait émerger une première génération de techniciens. Il y avait aussi un vivier à Rennes 2. Aujourd’hui, des écoles privées se sont implantées et Génération Start Motion porté par l’École européenne supérieure d’art de Bretagne et Films en Bretagne verra le jour en 2024. »
Un nouveau studio de 1500 m2 devrait voir le jour. La société Personne n’est parfait!, dirigée par Mathieu Courtois, fait partie des 4 lauréats bretons de l’appel à projets France 2030 « La grande fabrique de l’image », sur les 68 projets retenus. Dotation de 500 000 euros à la clef pour les Rennais, pour un nouveau local, plus grand, et qui pourrait accueillir deux productions simultanément. L’ensemble du projet, hors immobilier, représente 1,5 million d’euros.

Combien de temps faut-il pour achever un court-métrage d’animation ?

1 an de développement et de montage financier
5 à 6 mois de fabrication (décors, personnages, etc)
4 à 5 mois de tournage (versus un long métrage avec des acteurs : 5 à 8 semaines)

Oscar 2022 : one, two, Flee

Récemment, le studio a achevé de faire ses preuves avec le succès de Flee (2022), triplement nommé aux Oscar : meilleurs film étranger, documentaire et film d’animation. Alliant animation et documentaire, le film retrace le parcours d’Amin, un jeune réfugié afghan homosexuel, qui se bat pour la liberté. « Une amie et ancienne stagiaire, Charlotte de la Gournerie, travaillait pour le studio danois Sun Creature. Lorsqu’elle me présente le teaser, je sais que c’est une bombe. » Vivement Lundi! s’embarque dans l’aventure. « J’ai découvert un écosystème scandinave et une façon de travailler particulière, notamment dans les relations commerciales. » Budget de l’opération : 3,2 millions d’euros.
« Après la première mondiale à Los Angeles, en février 2021, nous recevons une offre à 7 chiffres , plus d’un million de dollars, d’un distributeur américain, Neon, le même qui a distribué Parasite de Bong Joon Ho ou Portrait de la jeune fille en feu de Céline Sciamma. Ils veulent aller aux Oscar donc il faut geler le film ». La diffusion déjà prévue sur une dizaine de chaînes est suspendue. Pari gagnant.
Ce n’est pas la première fois que Vivement Lundi! se retrouve dans la sélection américaine. Bruno Collet et son Mémorable avait fait partie des finalistes pour l’Oscar du court-métrage d’animation en 2020. « Les Oscar, c’est un énorme kiffe ! Cela change tout. Nous étions bons, mais on atteint un panthéon. » Et financièrement ? « Pour que Flee dégage des revenus il a fallu un an. Mais les Oscars apportent un label international qui rend votre film plus désirable et vous permet d’élargir sa zone de diffusion. Les nominations ont permis de vendre FLEE dans des territoires qui hésitaient encore. »

Les marchés aux films

Jean-François Le Corre ©Studio Carlito

Jean-François Le Corre ©Studio Carlito

Avant Flee, il y a eu bien d’autres réussites. En 2004, la série La Tête dans le guidon, de Bruno Collet, est un carton au Japon. « Nous avons le niveau international et nous sommes repérés sur les marchés internationaux ». Les grands raouts de la profession sont le Mip Cannes, le Mina d’Annecy, le Cartoon forum ou encore le Cartoon Movie, qui réunissent un millier de professionnels. « Les producteurs européens viennent pitcher leurs projets devant les investisseurs (les chaines de télévision, les distributeurs, les fonds d’aides…). Vingt minutes pour convaincre que le projet est mature. » Les co-productions voient souvent le jour à l’issue de ces rendez-vous. Ce fut le cas pour Compost Man, le projet qui signera, en 2024, « le retour dans la très grosse série d’animation » de Vivement Lundi!, en coproduction avec la société Superprod et France Télévision.

Incontournables co-productions internationales

« J’aime travailler à l’international. Les Régions ont mis en place des fonds d’aide, en particulier la Bretagne, dans l’idée aussi de nourrir le soft power breton. Pour nous, c’est un vrai choix de rester à Rennes. À mes débuts, j’ai eu des propositions en Belgique mais je voulais faire de la production en Bretagne. Pour ce faire, nous allons chercher des partenaires étrangers qui sont dans la même situation que nous. Dans notre secteur, c’est très difficile de parler de concurrence. Le marché est très étriqué. C’est une activité de « besogneux » avec des temps de production très longs. Nous avons des partenaires de longue date avec lesquels il y a autre chose que des intérêts économiques, c’est du compagnonnage, parfois de l’amitié. »

La naissance d’un producteur

Cinéphile depuis toujours, l’épiphanie survient à son arrivée à Rennes, à la fin des années 1980. Saisi par l’effervescence de la naissance du festival Travelling, il le sait, il veut devenir producteur. D’abord attaché de presse pour le milieu du cinéma, il rejoint officiellement l’équipe de Michel Guilloux de la société Lazennec Bretagne en 1992. Cinq ans plus tard, il produit son premier court métrage, L’homme aux bras ballants, réalisé par Laurent Gorgiad. Coup du sort s’il en est, la société dépose le bilan. Décidé à ne pas rester sur le carreau, il crée sa propre entreprise, 48 heures plus tard, un lundi. Vivement Lundi! est née. Il bascule des contrats et rachète des droits. À ses côtés dans l’aventure, Valérie Amour Malavieille, toujours co-gérante de Vivement Lundi!

Bonus

Un mantra ? «  « La leçon a été profitable, Monsieur ». Cette phrase, extraite d’un film que j’aime beaucoup, Les Contrebandiers de Moonfleet, m’accompagne tout le temps. »
Une personne inspirante ? « Laurent Gorgiad » (réalisateur rennais avec lequel Jean-François Le Corre a beaucoup travaillé, ndlr)
Une musique ? « J’ai une culture jazz que j’ai laissée derrière moi ces derniers temps. Miles Davis, Jimmy Hendrix…L’album qui n’a jamais vu le jour. Ou alors l’album hommage au batteur Guy Evans. »
Le réalisateur que vous aimeriez produire ? « Le réalisateur estonien Sander Joon. Son film Sierra est le plus drôle et le plus émouvant de l’année dernière. C’est l’histoire d’un père à l’ancienne qui veut apprendre à conduire à son fils, mais ce dernier a les jambes trop courtes pour atteindre les pédales. C’est un film exceptionnel, un grand court-métrage. » (Le film est disponible sur Arte.tv en cliquant ici)
Un film d’animation à conseiller ? « Un film que je n’ai pas produit alors ! Je dirais Creature Comfort, du réalisateur britannique Nick Park, un prodige qui lui vaudra son premier Oscar. Avec une dimension documentaire, il questionne ce qu’est le confort domestique. C’est génial ! »
Un film « en viande » ? « La très grosse claque récente, c’est le film de Justine Triet, Anatomie d’une chute. »