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Du mégot au canapé, les dépôts sauvages de déchets sont sanctionnables

Alors que sous l’effet de lois récentes et d’une évolution des mentalités, le recyclage et la valorisation des déchets montent en puissance, le fléau des dépôts sauvages persiste. Contre ces agissements, plus ou moins discrets, il est difficile de lutter. Cependant, outre l’information et la pédagogie, l’État et les collectivités disposent de moyens coercitifs. Les administrés savent-ils que ces comportements sont prohibés et que des sanctions sont susceptibles d’être prononcées à l’encontre de leurs auteurs ? Ont-ils conscience que selon leur nature et leur quantité, les dépôts sauvages de déchets oscillent entre incivilités contraventionnelles et délits ?

Maîtres Jean-Franck Chatel et Victoria Robert, avocats au barreau de Rennes

Maîtres Jean-Franck Chatel et Victoria Robert, avocats au barreau de Rennes © Pauline Pasquette

Qu’entend-on par déchet ?

Sous couvert d’une définition légale très générale, le déchet est constitué par tout objet, matériau ou substance, pollué ou non, dont le producteur souhaite se défaire ou est dans l’obligation de s’en séparer. S’en suit l’acte d’abandon, traduit également par une myriade de comportements, ayant pour point commun de laisser un déchet dans un endroit inadapté.

Quand y a-t-il abandon sauvage ?

Le dépôt sauvage de déchets se distingue du non-respect du règlement de collecte qui recouvre des faits tels que des sacs poubelles ou les bouteilles vides laissés au pied des points d’apport volontaires (PAV), des erreurs de tri…

Le dépôt sauvage de déchets vise des faits comme :

  • l’abandon de gravats de chantiers en dehors des déchetteries,
  • le jet de mouchoirs, mégots, emballages sur les trottoirs ou les bords de route,
  • le déversement de déchets verts sur les trottoirs,
  • le dépôt d’encombrant sur des lieux inadaptés ou en dehors des jours et horaires de collecte,
  • l’amoncellement de détritus divers…

 

Le dépôt sauvage s’apprécie sans considération de la nature publique ou privée du lieu d’abandon. Il peut même survenir sur des propriétés privées. Les auteurs sont des particuliers comme des professionnels. Il peut s’agir de dépôts comportant de faibles ou importants impacts environnementaux.

Le dépôt sauvage de déchets est ainsi caractérisé par des faits et des circonstances très variés.

À noter : le dépôt sauvage de déchets doit être distingué de la décharge illégale. Celle-ci est exploitée ou détenue par une entreprise, un particulier voire une collectivité, sans autorisation délivrée au titre de la règlementation des installations classées pour la protection de l’environnement. Les décharges illégales se caractérisent par des quantités de déchets très importantes ou par la présence de substances exigeant des modalités précises de traitement, issues essentiellement d’activités professionnelles. Elles relèvent de la compétence du préfet et font l’objet d’un régime juridique spécifique.

Quelles sanctions ?

L’auteur d’un dépôt sauvage de déchets s’expose à des sanctions pénales ainsi qu’administratives, prononcées chacune de manière indépendante.

Les sanctions pénales

Cinq infractions doivent retenir l’attention :

  • Les dépôts contraires au règlement de collecte sont passibles d’une contravention de 2e classe (amende forfaitaire de 35 € pour les personnes physiques). Comme évoqué supra cette infraction sanctionne notamment les incivilités récurrentes observées sur les points d’apport volontaire lorsque les sacs poubelles sont déposés à côté des bornes, pleines ou non. Elle trouve également à s’appliquer aux dépôts de déchets sur les lieux de collecte effectués en dehors des jours et des horaires prévus par le règlement, lorsque les consignes de tri sélectif ne sont pas respectées, ou encore quand des déchets sont laissés dans un contenant inadapté.
  • Les déchets abandonnés en petite quantité en dehors des points d’apport volontaire ou inapproprié à l’emplacement font également l’objet d’une contravention de 4e classe (amende forfaitaire de 135 € pour les personnes physiques) : mégots, emballages de sandwich, masques, uriner sur la voie publique…
    En pratique, il est tout à fait malaisé d’identifier les auteurs de ces pollutions quotidiennes sauf s’ils sont pris sur le fait.
  • Les dépôts de déchets qui ont pour effet d’entraver la voie publique font l’objet d’une amende plus élevée, prévue pour les contraventions d’une contravention de 4e classe (amende forfaitaire de 135 € pour les personnes physiques) : meubles divers sur le trottoir…
    Dans cette hypothèse, l’encombrement doit être tel qu’il est de nature à porter atteinte à la sécurité des piétons et des véhicules.
  • Lorsque le dépôt illégal est réalisé avec un véhicule ou porte sur l’abandon d’une épave, le code pénal prévoit une contravention de 5e classe (amende de 1 500,00 € au plus pour les personnes physiques).
  • Enfin, lorsqu’ils présentent un risque important pour la santé humaine et pour l’environnement, des dépôts sauvages réalisés en grande quantité sont constitutifs d’un délit puni, pour les personnes physiques, au maximum de deux ans d’emprisonnement et de 75 000 euros d’amende. Cette infraction concerne particulièrement l’abandon de déchets professionnels qui auraient dû être remis à des installations de traitement spécialisées.

Afin de permettre une sanction rapide de l’auteur des dépôts, le code pénal et le code de procédure pénal prévoient pour certaines des infractions évoquées, la mise en œuvre de l’amende forfaitaire. La décision est prise par un agent public habilité sans procès. Bien adaptée aux dépôts sauvages, l’amende forfaitaire se traduit par la remise au contrevenant, au moment de la constatation de l’infraction ou l’envoi à son domicile, d’un avis de contravention et une carte de paiement.

Le code de l’environnement a d’ailleurs prévu le même dispositif pour le délit d’abandon de déchets lorsque l’auteur est clairement identifié sans que des investigations supplémentaires ne s’avèrent nécessaires. L’action publique est alors éteinte par le versement d’une amende forfaitaire de 1500 € pour les personnes physiques (minoration à 1000,00€ si paiement immédiat ou sous 15 jours).

 

Les sanctions administratives

Parallèlement au traitement pénal des faits de dépôt sauvages de déchets, il appartient aux maires (ou le cas échéant, aux présidents des communautés de communes, urbaines, d’agglomération ou métropoles) de faire usage de leur pouvoir de police administrative lorsque d’importants dépôts sont commis sur le territoire de leur commune et qu’il convient d’y remédier. Dans cette hypothèse, il ne s’agit pas de réprimer les faits, mais de faire cesser le trouble et conduire l’auteur à respecter les règles.

Lorsque l’autorité compétente met en œuvre ce pouvoir de police administrative « déchets », elle est tenue au respect de plusieurs formalités administratives souvent jugées lourdes et peu adaptées aux faits reprochés.

Après constat du dépôt, l’auteur dudit dépôt doit d’abord être informé des faits qui lui sont reprochés et des sanctions encourues. Il dispose alors de 10 jours pour adresser ses observations ou retirer les déchets. Si ce rappel à la loi s’avère vain, l’autorité compétente doit ensuite le mettre en demeure de procéder au retrait des déchets dans un délai déterminé. Elle ne peut procéder à la mise en œuvre de sanctions pécuniaires (15 000,00 € max) ou à l’exécution d’office des mesures prescrites qu’après constat du non-respect de la mise en demeure et édiction d’un arrêté de sanctions administratives.

Ainsi, si l’autorité qui dispose de la police « déchets » peut déployer des mesures de coercition fortes, la technicité de la procédure ne les rend mobilisables que dans des cas très spécifiques comme, par exemple, le déversement récurrent de déchets accomplis par un auteur connu.

Les freins à la poursuite des auteurs de dépôts sauvages

Au-delà du caractère contraignant de la procédure requise en matière de sanctions administratives, de la fréquence des incivilités que les démarches de sensibilisation peinent à endiguer, l’identification des contrevenants constitue l’un des obstacles majeurs rencontrés par les autorités publiques. Des initiatives locales se développent progressivement pour y pallier, telles que les brigades vertes, la mise en place de dispositifs de vidéo-surveillance et de pièges photographiques dans les lieux stratégiques ou le développement d’applications citoyennes permettant de signaler les dépôts.

Les poursuites pénales peuvent également être fragilisées par les difficultés de qualification rencontrées lors des constats de dépôt sauvage. Il appartient en effet aux agents de définir le régime juridique des faits constatés ce qui implique des compétences techniques et juridiques solides et actualisées.

 

Expertise par Me Jean-Franck Chatel et Me Victoria Robert.