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Inclusion en entreprise : après l’exil, le chemin de l’emploi avec Kodiko

Réfugiés, ils sont juristes, banquiers, commerciaux ou médecins et se heurtent à de nombreuses difficultés d’insertion professionnelle. Un programme d’accompagnement mis en place par l’association Kodiko et son antenne rennaise les aide à retrouver un emploi. Rencontres

Kodiko, Mamadi Niane, Rassoulou Niane

Mamadi et Rassoulou Niane, issus de la première promotion de l'antenne rennaise de Kodiko © 7Jours

Rassoulou Niane arrive dans les locaux du Quadri, le bâtiment rennais de l’économie sociale et solidaire, avant d’entamer son troisième jour à l’agence Pôle emploi Rennes Sud. Recruté en tant que conseiller en gestion des droits, il accompagne les demandeurs d’emploi dans les questions liées à leur indemnisation. Il s’installe aux côtés de Mamadi. Les deux hommes échangent quelques mots, ils se sont déjà croisés. Rejoints un peu plus tard par Ali*, ils forment à eux trois un concentré de conflits régionaux et de rêves brisés dans leur pays d’origine.

Avant leur exil, Rassoulou était juriste fiscaliste au Sénégal, Mamadi venait d’obtenir une licence professionnelle en gestion des ressources naturelles en Guinée-Conakry, Ali exerçait la fonction de commercial dans le secteur bancaire et le duty free en Syrie. Mamadi avait un engagement politique, pas les deux autres. Il a fui son pays pour des raisons de sécurité, tout comme Ali. Pour Rassoulou les choses sont un peu différentes. L’absence de perspectives professionnelles est à l’origine de son départ. Les routes de leur exil sont hasardeuses, bien souvent dangereuses. « Cinq personnes sont mortes dans le zodiac dans lequel j’ai traversé la Méditerranée », confie Mamadi. Ce qu’ils ont en commun c’est une famille laissée derrière eux et l’envie de s’en sortir.
(*Le prénom a été modifié)

Kodiko, l’emploi sans frein

Arrivés en France, ils font face à des déconvenues. Petits boulots, refus de formation. Pourtant, tous ont des compétences. Mais leurs chances d’exercer leur métier d’origine sont minces. Un jour leur route croise celle de Kodiko, une association d’aide à l’insertion professionnelle des réfugiés née en 2016 à Paris et dont l’antenne rennaise a vu le jour en 2021.
La structure accompagne les personnes dans leur recherche d’emploi avec une particularité, la mise en relation avec des salariés d’entreprises. Le principe est simple : un binôme composé d’un salarié volontaire et d’un réfugié est formé pour une durée de six mois, à raison de deux rencontres par mois. Des ateliers collectifs complètent l’accompagnement individuel.

Au programme : définition du projet professionnel, rédaction de CV et lettres de motivation, enseignement des codes professionnels et culturels, conseils pour les entretiens de recrutement, cours de français, développement du réseau et aide dans des démarches administratives. « Il y a encore une méconnaissance des employeurs concernant ce public et notamment le statut de réfugié qui autorise les personnes à travailler, concernant également ce qu’ils peuvent apporter en entreprise, ce qu’ils ont pu faire avant et les compétences à la clé qu’ils peuvent proposer », constate Anna Kervoël, responsable territoriale de Kodiko

C’était un rêve de reprendre ce que je faisais avant

Rassoulou, Mamadi et Ali ne sont pas des exceptions. Les 25 personnes réfugiées de la première promotion lancée en septembre 2021 par l’association ont en moyenne 34 ans, sont majoritairement titulaires d’un bac +3 voire plus et sont confrontées à des difficultés d’insertion. « Il y a énormément de barrières à l’entrée du marché du travail », déplore Ali.
Si ce n’est pas l’obstacle de la langue, c’est la question de l’équivalence des diplômes qui pose problème.

Rassoulou Niane et son master de juriste d’affaires obtenu à l’université Gaston-Berger de Saint-Louis au Sénégal se sont vu fermer des portes : « J’ai voulu intégrer un master en droit à l’université Rennes 1 pour pouvoir m’inscrire à terme au concours d’avocat, mais je n’ai pas été admis ».

Les médecins aussi doivent montrer patte blanche. « Nous avons accueilli un gynécologue arrivé du Congo-Brazzaville et nous l’avons aidé à s’inscrire à un DU (diplôme d’université, NDLR) de gynécologie à la faculté de Rennes pour obtenir une équivalence avec son pays d’origine », explique Anna Kervoël

Quand le binôme en entreprise redonne confiance

Confrontés à ces écueils, les exilés trouvent du soutien auprès de leur accompagnateur référent. Mamadi et Samuel, salarié chez Harmonic à Cesson-Sévigné, ont formé un tandem pendant plusieurs mois. « Samuel m’a beaucoup aidé dans ma recherche. J’ai refait mon CV avec lui et j’en suis fan ! Je n’avais jamais eu autant d’appels pour des entretiens », s’enthousiasme Mamadi. Grâce à sa volonté et avec l’appui de Samuel et Kodiko, le trentenaire a décroché un CDI de préparateur de commandes chez Alliance Automotive group.
Ali a lui rencontré Sylvie Cadieu, accompagnatrice des pratiques managériales à la Société Générale. À 45 ans, il commencera une alternance à la rentrée prochaine et partagera son temps entre une des agences rennaises de la banque où il sera chargé de clientèle et le campus de l’école de commerce Ecofac à Cesson-Sévigné. « C’était un rêve de reprendre ce que je faisais avant ». Dans quelques semaines, une agence du Crédit Agricole de Rennes doit l’accueillir pour un stage.

De son côté, Rassoulou a candidaté avec succès à une offre chez Pôle emploi pour un CDD. Il a pu compter sur les encouragements de son binôme, Jean-François Moy, analyste financier chez Harmonic. « Jean-François me disait constamment que j’avais les compétences requises pour prétendre au poste. C’est grâce à lui et à Kodiko que je suis arrivé à ce stade et je sais que ce n’est que le début de l’aventure. » Engagé pour six mois, il espère pouvoir évoluer dans sa fonction de conseiller en gestion de droits pour un jour prétendre à des fonctions de responsable administratif et financier. « Kodiko m’a apporté un changement de vie. Une société avec des réfugiés qui avancent c’est un bénéfice pour la France », conclut Ali.

La deuxième promotion Kodiko en mars

Le lancement de la deuxième promotion de binômes « salariés en activité – réfugiés » aura lieu à partir du 10 mars 2022. La nouvelle édition bénéficiera du succès du premier programme : « La clôture de la première promotion a lieu début mars, nous enregistrons déjà 35% de sorties positives, c’est-à-dire l’intégration d’une formation ou d’un emploi », se félicite Anna Kervoël, responsable territoriale de Kodiko.

Cette année, 30 duos se lanceront dans l’aventure. Un engagement de cinq mois pour le salarié qui rencontre deux fois par mois sur son temps de travail la personne accompagnée. Pour le réfugié, il faut compter un mois de plus en raison d’une formation dispensée par l’association avant la rencontre avec son tandem.

Les salariés accompagnateurs sont issus des effectifs d’entreprises qui s’engagent aux côtés de Kodiko. Parmi les sociétés déjà partenaires, Suez, la Société Générale, la SNCF, Vinci via l’Aéroport Rennes Bretagne, mais aussi des entreprises locales comme Klaxoon, Dewan développement ou Pum. Kodiko est à la recherche d’autres partenaires, que ce soit pour du mécénat matériel, financier ou de compétences à travers les salariés volontaires, mais également la possibilité d’accueillir des stages de découverte. L’association s’appuie également sur un réseau de bénévoles pour animer des ateliers ou jouer le rôle de « connecteur », autrement dit un soutien supplémentaire en binôme.

Pour rentrer en relation avec l’association Kodiko, par mail à anna@kodiko.fr, par téléphone au 06 21 69 48 50