Couverture du journal du 26/04/2024 Le nouveau magazine

Multiplast / Groupe Carboman : les orfèvres du composite

Créé en 1981, Multiplast s’est imposé comme un chantier naval incontournable quand il s’agit de pièces composites de grandes tailles, complexes et dont les délais de fabrication font frémir la plupart de ses concurrents. Une expertise vannetaise, à ce point respectée dans le monde nautique, qu’elle déborde aujourd’hui dans les autres secteurs de pointe comme la défense, l’immobilier ou encore le luxe. La success-story industrielle, ne cesse d’ouvrir de nouveaux chapitres. Entretien avec Yann Penfornis, l'un des trois associés du groupe Carboman, directeur général de Multiplast.

Yann Penfornis, directeur général de Multiplast ©Sylvain_Mainguy_photographe

« J’ai toujours, sur mon bureau, un courrier reçu en recommandé de Bruno Peyron qui écrivait, en 2004, au chantier Multiplast pour détailler l’ensemble des avaries rencontrées sur le Maxi catamaran Orange lors de sa traversée de l’Atlantique. La liste complète des avaries tenait en une seule ligne : « Casse du petit loquet plastique de fermeture intérieure de la porte des toilettes de la coque bâbord ». Le « Made By Multiplast » est probablement l’une des valeurs les plus sûres de la course au large. »

Le post de Jean-Denis Bargibant, dirigeant associé du Groupe Carboman/Multiplast, a été écrit au lendemain de la victoire de Charles Caudrelier dans la transatlantique Arkéa Ultim Challenge en février dernier. « Ce bateau, ajoutait-il fièrement, est né à Vannes, dans notre chantier, après plus de 100 000 heures de travail. » Le Gitana n’est pourtant qu’une pièce d’exception parmi d’autres dans l’écrin Multiplast.

« Nos clients nous choisissent pour répondre à des défis. »

Nouveau chapitre avec trois associés depuis 2022

Au fil des ans, la société a acquis une expertise et une expérience incontestables. Au point d’attirer les convoitises. En juin 2022, Damien Harlé et Jean-Denis Bargibant, les dirigeants de Ouest Composites Industrie à Auray (56), annonçaient la reprise du groupe vannetais Carboman, présidé par Dominique Dubois et réunissant les entreprises Multiplast, Plastinov et Plasteol.

Les deux repreneurs étaient accompagnés dans cette opération par les fonds d’investissement Breizh Invest PME et Sopromec, ainsi que quelques investisseurs privés. Yann Penfornis, directeur général de Multiplast, fait également partie des associés de ce nouvel ensemble. L’objectif de ce rapprochement étant de constituer « un acteur de référence dans le monde du composite, capable de proposer une offre élargie sur l’ensemble de ce marché ».

Le rapprochement faisait suite à la volonté de Dominique Dubois, président du groupe Carboman depuis treize ans, de céder l’entreprise en vue de son départ à la retraite. Yann Penfornis, directeur général de Multiplast, restait à la barre du chantier vannetais. « À titre personnel, après vingt années passées aux côtés de Gilles Ollier, le fondateur de Multiplast, et treize ans de complicité avec Dominique Dubois, je suis ravi d’aborder ce troisième chapitre de l’histoire de Multiplast… durant lequel nous ne devrions pas nous ennuyer », précisait-il lors du rachat.

Aujourd’hui, le groupe Carboman est leader européen du composite

Le groupe Carboman propose une offre répondant à une grande partie des besoins de pièces en composites : de la pièce unique à la série, du verre polyester au pré-imprégné carbone époxy, le groupe dispose d’un ensemble de savoir-faire réparti sur les différents sites de production, chacun disposant de sa propre spécialité.

Carboman compte cinq entreprises, réparties sur quatre sites de production (trois en France et un en Pologne), soit près de 250 salariés experts dans chacun des domaines du composite pour un chiffre d’affaires annuel de près de 30 millions d’euros.

« Nous visons une nette rupture technologique ! »

L’AC 75 en construction à Vannes

Au fond de l’impasse, face aux eaux calmes du golfe du Morbihan, le dernier bâtiment/atelier de 5 300 m2 entièrement climatisé est flambant neuf. Multiplast est une entreprise discrète qui fait grand bruit uniquement chez les spécialistes. Elle emploie aujourd’hui plus de 100 collaborateurs et annonce un chiffre d’affaires de 15 millions d’euros.

Le dernier hangar, parfaitement sécurisé et dont la visite est réservée à quelques très rares privilégiés, abrite l’AC 75 du Team France. Un des challengers de la Coupe de l’America qui devrait faire ses premiers essais en mer dès ce mois-ci (en ce printemps 2024). Il est d’ailleurs parti de Vannes pour Barcelone à l’heure et à la date prévues (mardi 2 avril).

Le respect des délais, toujours. « Nous avons une semaine d’avance sur le planning, se félicitait, en mars dernier, Yann Penfornis, directeur général associé de Multiplast. C’est là notre marque de fabrique. Nos clients nous choisissent pour répondre à des défis de ce type, des plannings ultra-serrés, des pièces complexes, des petites séries ou d’une précision extrême… Mais cette agilité à un coût, bien sûr. »

Jean-Denis Bargibant, Yann Penfornis et Damien Harlé, associés au sein du groupe Carboman posent dans les locaux vannerais de la société Multiplast ©Sylvain_Mainguy_photographe

Jean-Denis Bargibant, Yann Penfornis et Damien Harlé, associés au sein du groupe Carboman posent dans les locaux vannerais de la société Multiplast ©Sylvain_Mainguy_photographe

Une myriade de projets high-tech

Impossible de connaître le prix de la moindre pièce de l’AC 75 ! En revanche, quand un groupe de luxe français commande à Multiplast une soixantaine de tabourets en composites imitation métal qui nécessitent une semaine de polissage, il les propose à la vente à 18 500 euros pièce… Le luxe est à ce prix.

Les techniques de pointe également. Multiplast est notamment partenaire du programme de futur drone armé pour la défense. Le Vannetais construira la voilure pour l’industriel Turgis et Gaillard, qui espère rivaliser avec le Reaper américain à 28 millions de dollars. On pourrait aussi évoquer le rôle de Multiplast dans le consortium morbihannais (Multiplast, CDK Group, Avel Robotics, SMM, Lorima) qui œuvre, pour les Chantiers de l’Atlantique, sur le projet SolidSail, un mât destiné à équiper des cargos et des navires de croisière dans un objectif de décarbonation du transport maritime.

Ou encore la fabrication d’une coiffe pour un lanceur allemand, etc. Mais la liste ne saurait être exhaustive tellement les projets sont nombreux… toujours en pointe.

La R&D dans l’ADN de Multiplast

Un positionnement d’excellence technologique naturel, puisque la société est redroneconnue comme centre de recherche par son ministère de tutelle. Elle participe, entre autres, au programme « Optiflux » avec Thalès, qui ambitionne de comprendre et de modéliser l’extrême complexité de l’écoulement de l’eau autour des foils. « Un peu comme les petits bouts de laine, les penons, qui montrent l’écoulement de l’air dans les voiles, illustre Yann Penfornis. Nous voulons les remplacer, dans les six ou sept ans à venir, par des simulations parfaitement fiables. C’est un projet très complexe, mais nous visons une nette rupture technologique. » Encore un défi.

« Nous avons créé notre propre centre de formation. »

 

La maîtrise des procédés

Trouver des solutions, innover, bousculer les certitudes… c’est la nature même de Multiplast. Conséquences logiques : les premières mondiales sont légion. En 1983, le multicoque Jet Services fabriqué alors dans la première usine de Carquefou (44) est qualifié de « Multicoque de l’année ». Lors de sa première course transatlantique, il affiche des vitesses supérieures entre 20 et 25 % par rapport aux autres grands multicoques et de 15 % sur le vainqueur.

L’équipage de Jet Services Jean Le Cam/Patrick Morvan passe alors de la 29e à la 2e place… Le composite s’impose avec autorité ! Puis, c’est le premier catamaran tout carbone en 1987 (Crédit Agricole), le premier moule 100 % carbone en 1998 et le premier maxi trimaran en 1999 (Le Club Med).

Autant d’innovations rendues possibles par une parfaite maîtrise des procédés. Mais des prouesses inimaginables sans une solide expérience acquise au fil du temps. Ce fut le cas pour Yann Penforrnis qui, dès l’âge de 17 ans, avec deux copains, a fabriqué son premier catamaran en fibre de verre et résine époxy. L’architecture navale était, malgré tout, un choix par défaut pour celui qui devait être un marin de premier plan.

De la course à la voile à la course à l’innovation

Pour l’anecdote, l’avenir professionnel du dirigeant actuel s’est joué à un fanon de baleine. Étudiant en troisième année d’architecture navale à Southampton, Yann Penformis effectue un stage chez le célèbre navigateur Tony Bullimore. Partagé entre l’architecture navale et la navigation de course, il participe, en 1988, à la transat Québec – Saint-Malo. L’équipage est en tête de la course, quand une baleine heurte la machine à pleine vitesse.

L’avarie est trop importante pour continuer. La course s’arrête définitivement pour Yann Penfornis. Il retourne à ses chères études mais son profil et sa double compétence ne restent pas longtemps dans l’ombre. Il rejoint la naissante Multiplast, avec Marc Pajot, pour construire le F1 puis le Ville de Paris pour la Coupe de l’America. La vie de chantier devient alors sa routine. Une routine « jamais lassante », car faite de défis successifs et de perfectionnements sans limite des matériaux composites.

Un géant du composite est né et, avec lui, des spécialistes français fortement courtisés à travers le monde. « Comme c’est un métier d’expérience, nos collaborateurs possèdent un savoir-faire incomparable et il est parfois difficile de les empêcher de partir avec les bateaux, reconnaît avec humour Yann Penfornis. C’est la raison pour laquelle nous avons créé notre propre centre de formation. » Deux fois par an, huit nouveaux « orfèvres » du composite donnent encore un peu plus d’éclat à ce joyau européen.

 

Bonus :

La musique que vous avez en tête depuis ce matin ? S. S. in Uruguay de Serge Gainsbourg. Je précise que je pense à ce titre parce que je suis le point de partir en Uruguay pour affaires !

Votre paysage préféré ? La vue de mon bureau à Vannes, le parc du Golfe et la pointe des émigrés (à la presqu’île de Conleau).

Un hobby/loisir ? L’Histoire, particulièrement la période napoléonienne, entre 1804 et 1807, le début de l’empire.

Et la voile dans tout ça ? Je loue, tous les étés, un bateau pendant quinze jours et je profite de la mer en famille. La voile aujourd’hui, pour moi, ce n’est que du plaisir.

Votre destination préférée ? Les îles Canaries, ses eaux translucides et son vent chaud.