Couverture du journal du 10/05/2024 Le nouveau magazine

Quels leviers pour améliorer le pouvoir d’achat des salariés (sans charges sociales) ?

Au vu de la situation économique actuelle, le thème du pouvoir d'achat est devenu central. La campagne présidentielle que nous venons de vivre en a été l’illustration, et la campagne des législatives à venir le confirmera sans doute.

Nolwenn Quiguer, avocat au barreau de Rennes, pouvoir d'achat

Nolwenn Quiguer, avocat au barreau de Rennes ©DR

Impactées par les hausses des matières premières et de l’énergie, les entreprises font face aux attentes fortes des salariés qui subissent également l’inflation et en particulier l’augmentation du coût du carburant. Les entreprises doivent, qui plus est, être attentives aux éventuelles négociations au niveau des conventions collectives de branche dont elles dépendent. En effet, suite aux revalorisations successives du SMIC (octobre 2021, janvier 2022 et celle à venir en mai 2022), qui ont eu pour effet un tassement des grilles salariales conventionnelles, les partenaires sociaux sont susceptibles d’engager des négociations à ce titre.

Au-delà des augmentations de salaire, d’autres leviers peuvent éventuellement être actionnés pour répondre aux demandes liées à l’amélioration du pouvoir d’achat, tout en étant exonérés de charges sociales, sous conditions. Certaines mesures peuvent concerner les trajets domicile – lieu de travail (I), mais d’autres peuvent améliorer plus généralement le pouvoir d’achat des salariés (II).

Les leviers en lien avec les trajets domicile – lieu de travail

Selon l’INSEE, le coût moyen d’un mois de carburant pour les trajets domicile-travail est passé d’une soixantaine d’euros en janvier 2021 à près de 100 euros en mars 2022. Face à ce constat, les entreprises peuvent envisager la prise en charge des frais de transport domicile – lieu de travail ou encore des aménagements du travail limitant les déplacements.

La prise en charge des frais de transport domicile – lieu de travail

Les entreprises, quel que soit leur effectif, sont tenues de prendre en charge les frais d’abonnement aux transports collectifs ou de services publics de location de vélos à hauteur de 50 % du prix des titres d’abonnements (C. trav., art. L. 3261-2).

Mais elles ont également la possibilité de prendre en charge tout ou partie des frais de carburant ou d’alimentation liés à l’utilisation par un salarié de son véhicule pour se rendre sur son lieu de travail (cela peut d’ailleurs faire partie de la négociation sur l’égalité entre les femmes et les hommes et la qualité de vie au travail qui doit porter sur les mesures visant à améliorer la mobilité des salariés entre leur lieu de résidence habituelle et leur lieu de travail).

Sous certaines conditions, cette prise en charge peut être assimilée à des remboursements de frais professionnels, et donc être exonérée de cotisations de sécurité sociale. L’Urssaf admet plusieurs modalités de prise en charge exonérées (dont certaines peuvent se cumuler).

L’employeur peut verser une prime mensuelle de transport de 4 euros, exonérée sans justificatif. Le montant peut paraître dérisoire au vu du coût de l’essence, mais il a le mérite d’exister… L’employeur peut verser, par accord d’entreprise ou décision unilatérale aux salariés contraints de prendre leur véhicule personnel, une prime de transport dans la limite de 200 euros par salarié par an pour les frais de carburant, limite portée à 500 euros par salarié par an pour les frais d’alimentation des véhicules électriques, hybrides rechargeables ou hydrogène.

L’employeur peut choisir de verser des indemnités kilométriques aux salariés contraints d’utiliser leur véhicule personnel. Ces indemnités sont réputées utilisées conformément à leur objet dans la limite du barème fiscal.

Enfin, l’employeur peut mettre en place par accord d’entreprise ou à défaut par décision unilatérale après consultation du Comité Social et économique (CSE), le forfait mobilité durable, réservé aux salariés utilisant les modes de transport dits « à mobilité douce » (plafonné à 500 euros par an et par salarié).

Au-delà de la prise en charge des frais, les entreprises peuvent inciter les salariés à utiliser des modes de déplacements alternatifs (éventuellement en prenant l’attache de leurs communes).

À titre d’exemples, pour favoriser le covoiturage, les entreprises peuvent réserver des places de parking les plus proches de l’entrée aux covoitureurs, ou encore mettre en place un service de mise en relation en interne ou avec des entreprises voisines… Les entreprises peuvent également promouvoir le vélo par la mise en place d’un stationnement sécurisé, proposer des outils voire des services à destination des salariés venant à vélo…

À noter : l’Urssaf considère que, pour l’année 2022, la mise à disposition d’un vélo électrique que le salarié peut utiliser à titre professionnel et personnel n’est pas considérée comme un avantage en nature (et n’est donc pas soumis à cotisations sociales).

L’aménagement des conditions de travail

Les entreprises peuvent limiter les déplacements de leurs salariés, via différentes organisations du travail.

Le télétravail

À ce titre, le télétravail est la première mesure d’organisation du travail que les entreprises peuvent envisager pour réduire les trajets des salariés.

Après avoir mis en place « à marche forcée » le télétravail pendant la crise sanitaire, les entreprises peuvent tirer les leçons de cette période pour pérenniser le recours au télétravail via un accord collectif, ou à défaut, une charte ou encore par un accord individuel.

Les horaires individualisés

Les horaires individualisés peuvent également être envisagés pour certaines entreprises (notamment dans le secteur tertiaire) à la demande de certains salariés et après avis conforme du CSE.

Ces horaires permettent d’organiser des plages mobiles d’arrivée et de départ des salariés. Par exemple, les salariés doivent obligatoirement être présents entre 9h et 12h et entre 13h30 et 16h30, mais ils peuvent prendre leur poste entre 7 heures 30 et 9 heures, et le quitter entre 16 heures 30 et 18 heures 30. Cela leur permet alors d’éviter les heures de pointe (et donc d’éviter la surconsommation de carburant).

L’aménagement sur 4 jours

Enfin, sujet d’actualité, les entreprises pourraient être tentées de passer à une organisation du temps de travail sur 4 jours.

À ce titre, elles doivent tout d’abord s’assurer qu’elles peuvent effectivement envisager un tel aménagement. En effet, la répartition et l’aménagement des horaires de travail sont en principe prévus par des décrets pris pour l’ensemble des branches d’activité ou pour des branches ou des professions particulières (décrets datant de 1936…). Des dérogations sont possibles, par convention ou accord collectif étendu ou par convention ou accord d’entreprise ou d’établissement. Mais au-delà de la possibilité technique, il faut conserver à l’esprit qu’un aménagement du temps de travail sur 4 jours (sans réduction du temps de travail) engendrera une augmentation de la durée journalière du travail, une diminution du temps de repos et aura donc des conséquences en matière de santé et de sécurité (et potentiellement de pénibilité) pour les salariés.

Les autres leviers favorisant le pouvoir d’achat des salariés

Au-delà des actions sur les trajets, des dispositifs exonérés de cotisations sociales sont accessibles.

Les suppléments de participation et d’intéressement

Les entreprises ayant mis en place un accord de participation et/ou d’intéressement peuvent décider de verser un supplément, dès lors que la formule de calcul de l’accord en vigueur a permis de dégager le versement d’une prime.

Dans le contexte actuel, de tels suppléments peuvent être décidés, après consultation du CSE, pour redonner du pouvoir d’achat aux salariés.

Le supplément bénéficie des exonérations sociales et fiscales dans les limites des plafonds applicables et sous réserve de respecter les conditions fixées par le Code de la sécurité sociale.

La répartition du supplément devra soit être conforme aux règles posées par l’accord de participation ou d’intéressement soit être fixée dans le cadre d’un accord spécifique.

Les prestations liées aux activités sociales et culturelles (ASC)

Dans la mesure où, face à la baisse du pouvoir d’achat, les ménages diminuent en premier lieu les dépenses liées aux loisirs et à la culture, une réflexion peut être menée à ce titre au sein de l’entreprise.

À titre de rappel, dans les entreprises de 50 salariés et plus, les ASC relèvent de la compétence exclusive du CSE ; dans les entreprises de moins de 50 salariés ou dans les entreprises de 50 salariés en l’absence de CSE (procès-verbal de carence aux dernières élections professionnelles), l’employeur peut prendre en charge des ASC.

L’Urssaf admet, par tolérances ministérielles, que sous certaines conditions, ces avantages versés par le CSE ou, par l’employeur selon l’effectif de l’entreprise, soient exonérés du paiement des cotisations et contributions de Sécurité sociale. Il peut ainsi s’agir, dans certaines limites, de bons d’achat, de chèques-vacances, de cartes donnant accès à des réductions tarifaires, de chèques culture…

Dans les entreprises de 50 salariés et plus, la question peut se poser de l’augmentation du budget des ASC. Pour l’augmenter, le CSE peut, dans une certaine mesure, transférer une partie (10%) du montant de l’excédent annuel du budget de fonctionnement (généralement peu utilisé) vers le budget ASC.

Quant à l’employeur, il peut décider d’augmenter sa participation au budget des ASC, mais il convient d’être prudent : le budget des ASC étant basé sur celui des années précédentes, l’augmentation du budget sur une année pourra avoir un impact sur celui des années suivantes.

Enfin, suite à la réélection de M. Macron, nous sommes dans l’attente de la publication de la loi prévoyant, comme annoncé, le renouvellement de la prime exceptionnelle de pouvoir d’achat (dont le montant exonéré de cotisations et d’impôt serait triplé et qui pourrait être rendue obligatoire dans les entreprises versant des dividendes).

Expertise par Me Nolwenn Quiguer, avocat au barreau de Rennes.