Couverture du journal du 03/05/2024 Le nouveau magazine

Saint-Malo : bientôt le cap des 100 avocats inscrits au barreau

Me Isabelle Gérard-Réhel, bâtonnier de Saint-Malo Dinan pour la mandature 2023-2024, représente les 98 avocats de cette juridiction. Dématérialisation des procédures au tribunal judiciaire de Saint-Malo, développement exponentiel de la médiation, indignation sur l’état de la prison de Saint-Malo, retour d’une chambre détachée à Dinan, elle revient sur divers points … et parmi eux celui de l’IA, qui suscite une réelle inquiétude. Entretien.

Me Isabelle Gérard-Réhel bâtonnier de Saint-Malo ©LM_7jours

L’ombre de l’IA sur les jugements

« Je vais engager une réflexion de l’usage de l’IA dans nos métiers d’avocat, c’est un sujet préoccupant à plusieurs égards. La crainte est que cet outil soit utilisé pour pallier le manque de magistrats, par exemple pour la rédaction des jugements. Les juges ont une si lourde charge de travail, et les prévisions de recrutement ne sont pas à la hauteur des besoins. Le plan quinquennal pour la justice prévoit la création de près de 10 000 emplois d’ici 2027, certes, mais seulement 1 500 postes de magistrats et 1 500 postes de greffiers; le reste, c’est pour la pénitentiaire.

Avec l’IA, comment faire jurisprudence ?

L’inquiétude est aussi sur l’usage de l’IA dans la résolution des conflits juridiques, en matière familiale comme commerciale. C’est entrer dans cette notion de « justice prédictive », mêlant les décisions de justice passées à un algorithme… un non-sens : l’analyse, la contextualisation, l’interprétation, le travail conjoint des 70 000 avocats de France ancrés dans la société fait évoluer la lecture des textes de loi par la jurisprudence. Avec l’IA, comment faire jurisprudence ? Ou encore, est-ce que demain, la résolution de conflit de moins de 5000 euros se fera par le biais d’une plateforme de traitement automatique des dossiers, comme cela fut déjà évoqué il y a quelques années ? Rien ne remplace la compréhension globale d’un dossier, une vision élargie. L’enjeu est de taille, sans être contre le progrès, il faut se saisir de ce sujet.

La maison d’arrêt de Saint-Malo

« Depuis 2022, le bâtonnier est investi d’une nouvelle mission : s’assurer que les lieux de privation de liberté respectent la dignité et les droits des personnes.
Je dois aller bientôt visiter les lieux de garde à vue en gendarmerie, par exemple. Avec un sénateur bretillien, fin mars, nous sommes allés à la prison de Saint-Malo, où la situation est effarante. Il y a 92 places théoriques et actuellement 127 lits (38% de plus que prévu), sans compter les personnes en semi-liberté qui ne sont là que le soir. La Cour européenne dit 9m2 par personne pour être dans des conditions d’accueil admissibles, là c’est parfois 3 lits pour une cellule de 11 m2, en comptant les toilettes. Nous alertons, la direction des affaires pénitentiaires, le contrôleur général des lieux de privation de liberté.

Mais il n’y a pas de moyens financiers pour rénover ces prisons d’État. On peut pointer du doigt le coût des nouvelles prisons, construites sous l’ère Sarkozy, qui ne sont pas propriétés de l’État, mais de Bouygues, Eiffage, ou autre constructeur-gérant, des établissements de gestion déléguée ou en PPP (Partenariat Public Privé) avec des loyers prohibitifs. Il ne reste plus de budget pour rénover nos prisons d’État. Or, nous voulons garder ces prisons de proximité.

Il n’y a pas de moyens financiers pour rénover les prisons d’État

Quid de la simplification de la justice ?

« Il y a deux avant-projets au Conseil national des barreaux, sur la loi de programmation à venir, mais je ne vois pas où il y a simplification … Tous les 2 ans, les termes des assignations changent, mais on aura toujours besoin que le juge fixe une audience, que le jugement soit rendu. Par ailleurs, ces avant-projets sont très axés sur le pénal. Le civil et le commercial sont le parent pauvre de la justice. Or, s’il l’on traitait le civil, on ne retrouverait pas certains dossiers au pénal.

Le retour de jugements à Dinan

« Il y a à peu près 320 000 justiciables sur ce bassin Dinan – Saint-Malo, et des services juridictionnels ont été réouverts à Dinan. Le nombre d’affaires augmente, affaires familiales et civiles, et l’on ne peut pas faire se déplacer les gens. Il y a 2 ans, il a fallu ouvrir une chambre détachée, notamment au JAF – juge aux affaires familiales (autorité parentale, droit de visite, pension alimentaire…), mais aussi pour la petite correctionnelle, l’instance (juge des contentieux de la protection), la police.

Barreau de Saint-Malo, un des plus petits de l’Ouest ?

« Ha non ! Dans l’Ouest il y a Saumur où ils sont 22 avocats, 69 à Laval…il est vrai que Saint-Nazaire et Vannes sont eux à environ 120 avocats.
Lorsque les barreaux de Dinan et Saint-Malo ont fusionné en 2011, on était un 60e (40e au barreau de Saint-Malo et une 20e sur Dinan), et aujourd’hui nous sommes 98. Lorsque nous atteindrons les 100, notre conseil de l’ordre ne sera plus de 12, mais de 15 membres.

Autre spécificité, nous avons notre propre caisse de la Carpa à Saint Malo – la caisse autonome des règlements pécuniaires des avocats. Nous sommes les derniers à ne pas avoir rejoint la Carpa Bretagne, cela nous laisse plus d’agilité en proximité.
Le barreau est actif, une association d’avocats médiateurs intervient très fréquemment pour répondre aux demandes croissantes de médiation de la présidente du TJ de Saint-Malo. Des 3 avocats de permanences au tribunal (pour les gardes à vue, les auditions), nous passerons bientôt à 4 car le rythme est soutenu. Fort heureusement, on est à la pointe sur la dématérialisation des procédures à Saint-Malo, policier-greffier-avocat-juge, tout est consigné et consultable sur tablette.