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Au port de Saint-Malo, le cargo russe bloqué à quai depuis 18 mois

Gelé par les autorités françaises, le vraquier « Vladimir Latyshev » se trouve immobilisé dans le port de la cité corsaire depuis le déclenchement du conflit en Ukraine, en février 2022. Le vaisseau russe, sans horizon de retour à ce jour, abrite à son bord une douzaine de marins.

Le cargo russe est immobilisé depuis le 1er mars 2022 dans le port de Saint-Malo ©Laure Tallonneau

Le cargo russe est immobilisé depuis le 1er mars 2022 dans le port de Saint-Malo ©Laure Tallonneau

Un géant d’acier, long de plus de 140 mètres et battant pavillon russe, est amarré au quai du bassin Jacques-Cartier destiné au trafic commercial. Depuis près de 18 mois, en raison du gel des avoirs russes décidé par la France, le « Vladimir Latyshev » a interdiction de quitter le port de Saint-Malo en raison de son appartenance à la société publique de leasing russe JSC GTLK, dont l’actionnaire était le ministre des transports du Kremlin, Vitali Saveliev. Une propriété que réfuterait l’avocat français de l’armateur.
Venu livrer une cargaison de magnésie pour Timac Agro, entreprise de fabrication d’engrais et filiale du groupe Roullier, et alors qu’il s’apprêtait à repartir, le cargo a été immobilisé par les douanes le 1er mars 2022. Une présence qui pose parfois des difficultés d’organisation. « Nous devons régulièrement lui demander de se déplacer pour pouvoir laisser de la place aux navires qui chargent et déchargent des marchandises pour la Timac. Les relations sont parfois tendues, mais ça se fait », explique-t-on à la capitainerie de Saint-Malo.

Droits de port : 10 000 euros par mois

Tous les mois, l’armateur russe doit s’acquitter de 10 000 euros pour les droits de port, l’eau et l’électricité consommées. S’ajoute à la note : le carburant, les vivres pour l’équipage et également des frais annexes comme le déhalage ou le remorquage. « Ce ne sont pas des montants importants à l’échelle de la société », commente Laure Tallonneau, salariée de la CGT des marins et inspectrice de l’ITF, la fédération internationale des ouvriers du transport. La Région Bretagne, propriétaire du port, confirme que les sommes ont, jusque là, toujours été dûment payées. Les élus régionaux ont adressé une demande à la préfecture pour que le cargo soit déplacé dans un port d’État ou militaire.
« Le bateau fait aussi l’objet d’une saisie d’une entreprise algérienne qui devait réceptionner l’autre partie de la cargaison, mais qui, en raison du gel à Saint-Malo, a dû organiser à ses frais le chargement de la marchandise sur un autre cargo », précise la représentante de l’ITF.

©Laure Tallonneau

Des marins russes en autarcie

En attendant, les marins doivent s’accommoder de la situation. « Le gel ne concerne que le bateau, souligne Laure Tallonneau.L’équipage est libre de débarquer.Des relèves régulières ont lieu pour que les marins puissent rentrer chez eux, tous les 6 mois environ. » Elle rappelle également que « les salaires sont versés, 500 euros par mois pour les matelots. Mais leurs cartes bancaires sont bloquées, ils doivent avoir un peu d’espèces à bord. Ils occupent leur journée à entretenir le bateau, faire les peintures, ils vont un peu en ville ou à la plage. »

L’inspectrice syndicale sait que l’ambiance des relations à l’intérieur peut être fluctuante, « cela dépend beaucoup du commandant », faisant référence à un incident survenu à bord en début d’année. « Le commandant, qui était en poste depuis l’arrivée, a agressé un marin. Il est reparti depuis. »

« Les marins occupent leur journée à entretenir le bateau, faire les peintures, ils vont un peu en ville ou à la plage. »

« La France est le seul pays à bloquer les navires marchands »

« Cette sanction n’a pas d’intérêt. La France est le seul pays à avoir bloqué les navires de commerce. Le risque c’est l’abandon du cargo par le propriétaire, avec les marins à l’intérieur. Pour le moment, il continue d’assurer les frais car le bateau a une valeur marchande conséquente. Mais il faut le libérer, ce sont des humains qui sont à bord », souligne Laure Tallonneau, qui s’assure que les marins étrangers en Bretagne bénéficient de conditions de vie correctes. 

L’armateur russe a engagé une procédure en justice pour obtenir la levée de la sanction.

Pour l’heure, toutes les demandes adressées à l’État sont restées lettre morte. « S’agissant d’une mesure nationale », la préfecture de Bretagne renvoie vers les services de Bercy, « compétents sur ces questions ». Sollicitée, la Direction générale des douanes et droit indirects n’a pas répondu à nos questions « en raison de procédures juridictionnelles en cours devant les tribunaux. » L’armateur russe a, en effet, engagé une procédure en justice pour obtenir la levée de la sanction. Il en a fait de même pour le cargo Victor Andryukhin, immobilisé à Fos-sur-Mer (13).
Un autre navire avait été bloqué en Bretagne, au port de Lorient, le Pola Ariake, auquel il était également reproché d’avoir des liens avec le ministre russe des transports. La sanction avait été levée sur décision du tribunal judiciaire de Lorient, car le bateau appartiendrait en fait à une société d’Hong-Kong.