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Fermeture de la pêche en golfe de Gascogne : les ports bretons en berne

Près de 500 bateaux français de plus de 8 mètres, sont interdits de pêche jusqu’au 20 février dans une zone maritime s’étendant du sud-Finistère à la frontière espagnole. Un mois d’interdiction pour protéger les cétacés des captures accidentelles. Environ 10 000 d’’entre eux seraient piégés chaque année par les engins de pêche ou échoués sur nos côtes. Sur le port de Lorient Keroman, premier port de pêche en Bretagne, une quarantaine de navires sont concernés, dont 5 des 6 bateaux de l’armement Apak.

La fermeture pour un mois des eaux poissonneuses du golfe de Gascogne entraîne inquiétude et manque à gagner pour les pêcheurs bretons ©7J-DB

La fermeture pour un mois des eaux poissonneuses du golfe de Gascogne entraîne inquiétude et manque à gagner pour les pêcheurs bretons ©7J-DB

« La décision du Conseil d’État est tombée juste avant les fêtes, rappelle Éric Guygniec, armateur de l’Apak à Lorient  (Armement de la pêche artisanale de Keroman). C’est un véritable coup de couteau dans le dos ! Voir des dauphins échoués, c’est tout à fait inacceptable et nous souhaitons remédier aussi à cette situation, mais cinq bateaux sur six qui restent à quai, c’est 240 tonnes de merlus en moins pour la criée, un manque à gagner de 600 000 €. » Les professionnels estiment à environ 450 entreprises et 1500 marins, impactés par cette interdiction sur l’ensemble de la Bretagne.

Les scientifiques ne parlent pas d’état d’urgence

28% en moins de merlu et maquereau

L’Union du mareyage français a également fait ses comptes : sur les 180 000 tonnes de poissons débarquées chaque année dans les criées françaises, 8 000 tonnes ne seront pas pêchées. Une perte de chiffre d’affaires de 60 millions d’euros environ pour la pêche. Les apports de merlus et de maquereaux devraient baisser de 28 % chacun. Et leurs prix augmenter.

Des solutions existent, pourquoi ne sont-elles pas déployées ?

Les dispositifs pingers repoussent environ 65% des cétacés

Eric Guygniec, armateur de l'Apak à Lorient ©7J-DB

Éric Guygniec, armateur de l’Apak à Lorient ©7J-DB

« Des solutions existent, pourquoi ne sont-elles pas déployées ? s’interroge Daniel Cueff, vice-président mer et littoral de la Région. La Région Bretagne continuera à poser sur la table les solutions écologiques effectives en lieu et place de mesures coercitives et inefficaces. »  Un soutien de poids aux pêcheurs mais « les promesses des politiques, ça suffit, on veut des actes concrets, disent les professionnels échaudés ». « On participe au groupe de travail sur la capture accidentelle des dauphins depuis 2018, continue Eric Guygniec. On essaie de trouver des solutions en bonne intelligence, on est par exemple équipés de pinger qui repoussent environ 65% des cétacés. On peut faire encore mieux, c’est sûr. On embarque aussi des observateurs à bord de nos bateaux pour les comptages… mais ce n’est jamais suffisant. » Brexit, Covid, prix du gasoil… la profession a l’impression d’un acharnement.

On peut faire encore mieux, c’est sûr.

« Une interprétation à l’extrême »

Yves Foëzon, directeur de l'Organisation professionnelle Les Pêcheurs de Bretagne (3000 marins, 800 navires) ©DR

Yves Foëzon, directeur de l’Organisation professionnelle Les Pêcheurs de Bretagne (3000 marins, 800 navires) ©DR

« La décision était attendue par tous les professionnels mais c’est un coup de massue quand même, explique Yves Foëzon, directeur de l’organisation professionnelle Les Pêcheurs de Bretagne. Un arrêt de trente jours est totalement incompréhensible car les constats scientifiques ne parlent pas d’état d’urgence. C’est une interprétation à l’extrême ! » Les arrêts seront néanmoins compensés par des indemnisations à hauteur de 80% du chiffre d’affaires du premier trimestre 2023 ou du meilleur mois de février. Du moins si la Commission européenne donne son accord. Un flou qui ajoute à l’angoisse et au découragement.

Importations en hausse

« La pêche sert avant tout à nourrir la population et il ne faut pas oublier qu’il y a toute une filière derrière, rappelle Yves Foëzon. Les criées et les mareyeurs seront aussi fortement impactés. Quand on voit des entreprises de mareyage centenaires mettre leur gars au chômage, c’est terrible. On détruit des emplois sur la base de dogmes. On perd aussi du savoir-faire ! » Même si la pêche est stoppée durant un mois dans le golfe de Gascogne, les Français continueront de manger du poisson. Mécaniquement, les importations vont augmenter. « Une fois que le marché sera parti ailleurs, avec des productions aux prix sacrifiés et aux pratiques peu regardantes sur la durabilité, pourra-t-on revenir à la situation actuelle ? s’interroge Éric Guygniec.  Si on ne veut plus de nous, qu’on nous le dise et on arrête tout. »

La pêche en chiffres :

La filière pêche française représente 40 000 emplois en France dont 13 000 pêcheurs (pour 4 200 navires dont 3 000 opèrent dans le golfe de Gascogne).

Chiffre d’affaires estimé à 1,2 Mds €

La France importe 80% du poisson consommé (en progression de 18% par an)

En 2021, le déficit commercial de la France atteint 4,6 Mds €