5 générations dans les pieds
Le cuir imprègne les murs chez Galllon Podo-Orthèse. Depuis les années 1930, le cabinet rennais n’a pas bougé d’un orteil. L’entreprise a été créée par un podo-orthésiste et orthoprothésiste. « Mon père était ouvrier qualifié, il a repris l’entreprise en 1969, et j’en ai repris les rênes à mon tour en 2006, après 9 ans sous sa houlette. » Les pieds, chez les Gallon, c’est une histoire de père en fils, sur 5 générations. « Mon père et moi sommes podo-orthésistes, mon grand-père était bottier-orthopédiste, son père et son grand-père étaient cordonniers à Vitré. » Les Gallon représentent d’ailleurs l’évolution de la profession : de la cordonnerie (botterie), en passant par la botterie-orthopédie, pour arriver à la podo-orthèse.
Revaloriser la prise en charge
Outre son métier à temps plein, Jean-Marc Gallon est aussi président de l’antenne bretonne de la Fédération française des podo-orthésistes (FFPO), qui défend le rôle essentiel de cette profession dans la prise en charge de personnes en situation de handicap et dans la prévention de la perte d’autonomie. Et le constat est alarmant, car la prise en charge n’est pas à la hauteur des coûts de production. Une prise en charge à 100% par l’assurance maladie, pour un patient souffrant d’Affection longue durée (ALD). « Aujourd’hui, nous avons deux références : la classe A (735 euros) pour les petites pathologies et la classe B (808 euros) pour les plus grosses ALD. La filière podo-orthèse n’a pas connu de revalorisation de ses prestations depuis 2013 ! Dans moins de 10 ans, notre métier n’existera plus si nous n’avons pas cette revalorisation. Nous ne pouvons pas suivre avec la conjoncture économique. Nous avons aujourd’hui, des patients tellement compliqués à appareiller, que cela prend beaucoup de temps, sans pouvoir facturer plus cher, nous travaillons à perte dans ces cas-là. Le risque est voir disparaître ce métier de niche purement français, et d’autres pays prendront la main. Et je ne veux pas envoyer en sous-traitance ailleurs, je veux garder mon savoir-faire. »
À l’échelle nationale, une dizaine d’entreprises du secteur ont déjà fermé, « dont une des plus grosses du secteur, Bourjat (une quarantaine de succursales en France, dont une à Vannes, ndlr) ».
« Nous voulons étaler notre travail en fonction de la pathologie et du temps passé. Au lieu des deux classes de prise en charge par l’Assurance maladie, nous estimons que cinq classes différentes sont nécessaires. » Un projet présenté à la Commission économique des prestations sanitaires (CEPS).
Ce manque de reconnaissance ne sera pas sans conséquences. Car la filière prend de plus en plus de patients en charge, et doit faire évoluer ses techniques, tout en investissant dans un modèle plus respectueux de l’environnement.
« Dans moins de 10 ans, s’il n’y a pas de revalorisation, notre métier n’existera plus en France »
La podo-orthese, ce sont 250 entreprises en France (800 podo-orthésistes exerçant dans près de 500 cabinets), dont une quinzaine en Bretagne. En 2022, la profession a réalisé 130 000 paires de chaussures orthopédiques destinées aux personnes en situation de handicap et aux personnes âgées, essentiellement des personnes diabétiques ou souffrant de pathologie neurologiques (AVC, Parkinson…), pour un budget de 90 millions d’euros. Un secteur qui représente seulement 0,0004 % des dépenses totales de l’Assurance maladie.
Remplaçables ?
Les nouvelles technologies pourraient remplacer ce métier ? Pour Jean-Marc Gallon cela ne serait pas adapté aux spécificités des patients. « C’est un métier particulier, qui n’est pas remplaçable par des machines. Bien sûr, nous pouvons nous servir de nouvelles technologies, qui permettent de scanner en 3D la morphologie du pied par exemple. Nous en utilisons déjà d’ailleurs, et nous aurions même envie de nous tourner un peu plus vers ces outils, mais pour cela, il faut les finances. »
En lien avec tous les spécialistes de la région
« Le cœur de mon métier, c’est de permettre à des gens souffrant d’un handicap de reprendre une marche la plus normale possible. » Pour cela, Gallon opère des consultations dans différents départements du territoire breton, à travers 7 succursales – Fougères, Vitré, Châteaubriant, Redon Vannes et Saint-Brieuc – , « en lien avec tous les spécialistes de la région, chirurgiens orthopédistes, rhumatologues, neurologues, médecins de rééducation… Mais aussi des médecins du sport ».
Cela inclut notamment des centres hospitaliers et cliniques privées, des centres de rééducation et réadaptation, des Maisons d’accueil spécialisées (MAS), Instituts médico-éducatifs (IME), EHPAD et foyer logement. « Et nous travaillons en équipes pluridisciplinaires, nous échangeons avec les kinésithérapeutes, les ergothérapeutes… C’est un travail d’équipe. » Les patients arrivent d’ailleurs de toute la France, voire d’outre-mer. « Nous avons des patients soignés au CHU Pontchaillou qui arrivent de Saint-Pierre-et-Miquelon, par exemple. » Jean-Marc et son équipe gèrent aussi des urgences. « Il arrive parfois que nous soyons appelés par un hôpital, car le patient ne peut pas sortir sans chaussures orthopédiques. »
800 chaussures à l’année
Aujourd’hui, Gallon Podo-orthèse traite des patients âgés de 5 à 100 ans, 50% ont plus de 50 ans et 10% est une patientèle de sportifs. 800 paires de chaussures orthopédiques sortent à l’année pour un chiffre d’affaires de 750 000 euros en 2023. Dix salariés se serrent les coudes dans les ateliers, épaulés par 2 sous-traitants cordonniers, un à Quintin (22) et un à Auray (56).
Pas de gaspillage chez Gallon, on garde les archives de pied pendant 8 ans. 3000 paires de pieds sont stockées dans « l’antre des pieds » de 340 m2, entendez le sous-sol du cabinet. L’entreprise possède aussi un autre espace – un double garage -, pour un archivage de 10 000 paires de pieds cumulées au total. À tout cela, il faut ajouter 1300 paires de semelles orthopédiques thermoformées par an.
« Nous sommes à l’écoute du patient pour le choix des formes et couleurs de la chaussure, en prenant bien sûr en compte sa pathologie et son besoin. » Une fois la discussion établie avec le patient, l’équipe Gallon se met en ordre de marche pour la création de la chaussure. Pour la réalisation d’un appareillage, il y a différents postes : d’abord le moulage, puis l’essayage (ou prototype, étape pendant laquelle l’avis du patient sur le confort est nécessaire), patronage, coupe, piquage, montage, finition, podologie et livraison de l’appareillage avec facturation, pour la prise en charge . « Nous avons cette fierté de pouvoir dire que ce sont des chaussures Made in Breizh et fabriquées sur mesure, à la main. Nous sommes donc toujours dans l’innovation. » C’est d’ailleurs pour une de ses innovations que Jean-Marc Gallon a reçu un prix Art et Métiers en 2018. « Nous avons créé des semelles thermoformées, à destination des sportifs, pour leur éviter des entorses et augmenter leurs performances sportives. »
BONUS :
Pourquoi ce domaine ?
Mes parents étaient dans cette activité, j’ai même habité au-dessus de l’atelier. J’ai baigné dans la colle néoprène, la poussière et l’odeur du cuir.
Quelles études pour faire ce métier ?
J’ai fait un BTS en 3 ans. Il y a seulement 3 ou 4 écoles en France qui forment au brevet de technicien supérieur en appareillage du pied.
Vos activités préférées ?
Je pratique la voile, le Windsurf, principalement en Morbihan, ou côte nord, du côté de Lancieux, pour évacuer le stress de nos semaines.
Quelle activité pour maintenir ses pieds en bonne santé ?
La marche à pied ! Tout le monde doit marcher, c’est important pour la santé, 2 heures de marche. Mine de rien, nous en faisons beaucoup des kilomètres rien qu’au travail. Et surtout, pratiquer un sport, c’est primordial.
Un mantra ?
« Mieux marcher, c’est mieux vivre », ou encore « faut y aller »… tout simplement.