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Le Forfait jour est-il vraiment avantageux ?

L’obligation de sécurité prévue par le code de travail n’a jamais été si souvent débattue devant les conseils de prud’hommes. Les statistiques du conseil de prud’hommes confirment l’augmentation du contentieux relatif au licenciement pour inaptitude suite à un manquement de l’employeur à cette obligation.

Lara Bakhos, avocat au barreau de Rennes, forfait

Lara Bakhos, avocat au barreau de Rennes ©DR

L’obligation de sécurité est aujourd’hui présente quotidiennement dans la vie des entreprises qui ont l’obligation de s’assurer de son respect à tous les niveaux. Les salariés estimant que leur épuisement professionnel trouve leur cause dans une surcharge de travail, jamais pris en compte par l’employeur, demanderont des dédommagements. Les salariés soumis au forfait jour empruntent régulièrement cette voie d’où l’intérêt de sécuriser son formalisme et de s’assurer de son effectivité.

Le forfait jour permet de décompter le temps de travail du salarié en jours sur une année, et non en heure, en contrepartie d’une rémunération couvrant la totalité des heures travaillées y compris au-delà de 35h puisque le temps de travail se décompte en jour.

Il comporte des avantages et des inconvénients pour chaque partie au contrat de travail. Il permet à l’entreprise de ne pas contrôler les heures travaillées du salarié et à ce dernier de bénéficier d’une autonomie dans l’organisation de son emploi du temps.

Sa mise en place est toutefois très stricte, y compris dans l’objectif de rappeler aux parties dès l’origine leurs devoirs et leurs obligations. Le forfait jour ne peut être prévu au contrat de travail que s’il est mis en place par accord d’entreprise ou à défaut par accord de branche (article L.3121-63 du code du travail). De nombreuses mentions doivent y figurer telles que l’amplitude de travail (13h), qui doit être respecté par le salarié. La rédaction du forfait jour doit se faire de manière rigoureuse pour éviter les risques, mais cela ne suffit pas. Le formalisme du forfait jour a longtemps été remis en cause. Les conventions collectives ont été revues et surtout désormais des accords d’entreprise peuvent combler des oublis de la convention collective.

Mais au-delà de sa rédaction, il convient de s’assurer de son effectivité, cela signifie que l’employeur doit prendre un certain nombre de précautions s’il ne veut pas subir des réclamations onéreuses.

Que faut-il mettre en place au sein de l’entreprise ?

  • Le suivi des jours travaillés et non travaillés : notamment par le biais d’un document de contrôle, conservé pendant 3 ans.
  • La déconnexion des outils de communication (charte du droit à la déconnexion, pas d’envoi de mail le week-end..)
  • Un entretien périodique individuel portant sur l’organisation et la charge de travail :

– Périodicité : annuel

– Contenu : équilibre vie privée, vie personnelle, charge de travail, rémunération, effectivité du droit à la déconnexion

La Cour d’appel de Rennes sanctionne systématiquement l’absence d’entretien annuel ne correspondant pas à ces critères. Les entreprises qui ne respectent pas ces obligations encourent différents risques.

Quels risques ?

Le risque principal est une absence d’effectivité de la convention de forfait jours, ce qui entraine un décompte de la durée du travail sur 35h. La rémunération prévue au contrat sera considérée comme valant pour 35h hebdomadaires et le salarié pourra faire diverses demandes sur cette base :

  • Des heures supplémentaires :

La preuve des heures doit être faite par les deux parties, employeur et salarié (Cass. soc. 2-6-2021 no 19-16.067 F-D).

Le salarié devra chiffrer les heures demandées, mais les juges pourront évaluer forfaitairement le montant des heures.

L’employeur en cas de condamnation pourra solliciter le remboursement des RTT.

  • Travail dissimulé :

En cas d’heures supplémentaires, une demande de travail dissimulé peut être faite. La condamnation n’est pas automatique même en cas de reconnaissance d’heures supplémentaires. Attention toutefois en cas de condamnation, la sanction minimum est de 6 mois de salaire.

  • Des dommages et intérêts pour manquement pour repos compensateur non pris :

Il existe dans la loi un nombre d’heures supplémentaires maximum fixé à 220h, les conventions collectives fixent un plafond parfois beaucoup plus bas. Si le contingent annuel d’heures supplémentaires est dépassé, alors une demande de dommages et intérêts peut être faite à ce titre. S’il est fait droit à la demande d’heures supplémentaires, il est fait droit à la demande de dommages et intérêts pour manquement au repos compensateur.

  • Des dommages et intérêts pour manquement à l’obligation de sécurité :

Les juges allouent parfois des dommages et intérêts plutôt que des heures supplémentaires s’il existe bien une absence de suivi de la charge de travail (et donc de l’obligation de sécurité). Le salarié doit toutefois, par principe, prouver le préjudice subi (CA RENNES 11/06/2021 n°18/02761).

  • Un licenciement :

Le risque financier pèse sur les employeurs dans le cadre du forfait jour. Toutefois, les salariés doivent aussi bien comprendre que l’existence d’un forfait jour ne permet pas une totale autonomie. Le salarié est bien soumis à un lien de subordination. Une vétérinaire cadre au forfait, estimait qu’elle pouvait faire ce qu’elle souhaitait de son temps en raison du forfait jour, la Cour a rappelé que la nécessité de respecter les contraintes de la clinique (heures des rdv,..) et a confirmé le licenciement. L’autonomie n’est pas totale.

Expertise par Me Lara Bakhos, avocat au barreau de Rennes.