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Entretien avec Abdellatif Miraoui de l’INSA de Rennes : « Former des ingénieurs à impact »

Abdellatif Miraoui est le nouveau directeur de l'INSA de Rennes, l’Institut National des Sciences Appliquées, depuis décembre 2020. Il succède à M'Hamed Drissi qui a occupé ce poste durant deux mandats, soit 10 ans. Son projet stratégique d’établissement annonce une métamorphose, car sa vision de l’ingénieur est celle d’un scientifique conjuguant savoir et engagement sociétal et environnemental.

Abdellatif Miraoui

Abdellatif Miraoui, directeur INSA Rennes ©FranckBoisselier

Il est l’auteur de plus de 300 publications scientifiques. Il a dirigé près de 30 thèses, a été membre ou président du jury d’une bonne dizaine d’autres, et bien sûr en a présenté une lui-même. Et un thème revient dans tous ses travaux approchés de près ou de loin : l’énergie. « Ma thèse, soutenue en 1992 à Belfort, était sur la machine à aimant permanent. C’est la technologie aujourd’hui réputée pour ses applications dans les moteurs de vélos et autres véhicules électriques. » C’était il y a 30 ans, c’est ce qui s’appelle avoir un coup d’avance. Ou bien, juste être un enseignant chercheur, en France.

« La formation des chercheurs en France est reconnue internationalement, notamment sur ce que l’on appelle la recherche sur des sujets de rupture. L’innovation classique, incrémentale, n’est pas suffisante dans ce monde évoluant si rapidement. C’est l’innovation de rupture qui est une force, et c’est là que l’on note l’excellence académique française. »

L’innovation de rupture est une force

Un institut à impact

Abdellatif Miraoui porte ses convictions en étendard dans son projet d’établissement pour l’INSA Rennes. « Lorsque l’on voit les richesses pétrolières se tasser, la pollution, on ne peut nier le lien considérable entre le développement humain et l’énergie. » C’est pourquoi il lui semble impossible de ne pas considérer la formation d’un ingénieur, qu’il soit chimiste ou informaticien, sans implication sociale et liée au développement durable.

« Quand on fait de la programmation informatique, que l’on fait des lignes de code, il faut bien sûr que le logiciel fonctionne, mais aussi que cela ne consomme pas plus d’énergie et ne pollue pas plus. C’est aussi important. » Et c’est pourquoi il souhaite faire de l’INSA Rennes un Institut à impact. « Les ingénieurs façonnent le monde, il leur faut ce sens humain, la responsabilité sociale et environnementale de leurs actes. »

L’INSA, l’excellence.

« Le Groupe INSA, c’est le plus gros contingent d’ingénieurs en France, avec 15 000 étudiants. Physique, chimie, Intelligence artificielle, Génie civil… C’est une école d’excellence. On compte ici sur ce campus de Rennes près de 2 200 étudiants, dont 13 % étrangers (et l’on souhaite atteindre 20 %). Auxquels il faut ajouter près de 550 encadrants, entre les enseignants-chercheurs, personnels de laboratoire, techniciens et l’administratif. À Rennes, pour cette rentrée, nous avons comptabilisé environ 12000 candidatures pour près de 300 places en première année. Le modèle de formation de l’INSA est reconnu et incontesté, il faudrait nous donner les moyens de recruter plus de jeunes, car les industriels recrutent, même en cours de formation. Dépôt de brevet, doctorats, l’INSA c’est un lieu d’excellence académique. Car il y a de la porosité entre la recherche et l’enseignement, cela se nourrit mutuellement. Le savoir issu des travaux des chercheurs se transmet immédiatement aux étudiants. Et ceux-ci étant accueillis dans les entreprises, ils nourrissent aussi le monde socio-économique. »

Abdellatif Miraoui

©FranckBoisselier

Power Skills et agilité de l’enseignement

« Nous souhaitons faire évoluer la pédagogie et la formation à l’INSA Rennes, pour plus de travail de groupe et de transversalité de sujets. Avec la période Covid, les étudiants ont dû travailler seuls, sur des cours classiques. Et l’on voit bien que les temps de regroupement doivent servir à autre chose qu’à emmagasiner le savoir. Cela doit nourrir les réflexions communes, des initiatives collectives. Nous devons créer cette dynamique d’ouverture, faire grandir l’esprit d’initiative, former non seulement des experts, mais également des personnes autonomes. C’est là que seront la créativité et l’innovation.

L’INSA a aussi déjà beaucoup développé les formations hybrides, avec Science Po, l’école de chimie, Rennes School of Business par exemple. Nous avons maintenant des doubles ou triples compétences. Le tissu rennais nous permet cette richesse, le tissu de l’enseignement supérieur et socio-économique est favorable, c’est une chance.

L’INSA, c’est aussi l’engagement associatif, le développement personnel, ce que l’on nomme Soft Skills et que j’appelle moi Power Skills car cela est essentiel, c’est ce qui forge les talents. »

Un parcours et une vision internationale

Abdellatif Miraoui, 59 ans, est originaire du Maroc, et se forme dans l’Est de la France. Son premier poste est pour l’Université de Dijon, au sein de laquelle il monte un département de maintenance industrielle en IUT. Puis il devient enseignant-chercheur, professeur des universités à l’UTBM (Université de technologie de Belfort-Montbéliard) dès 2000, directeur de la formation d’ingénieur en génie électrique, vice-président chargé de la recherche, directeur du pôle « énergie et informatique ». Direction ensuite Marrakech au Maroc, où il devient président de l’Université Cadi Ayyad de Marrakech « comptant 14 établissements. En 2011 quand je suis arrivé il y avait 29 000 étudiants, et 115 000 quand j’en suis parti en 2019. C’était l’époque de la démocratisation de l’enseignement supérieur, comme nous l’avons vécu en France dans les années 80-90. »

En parallèle il préside entre 2013 et 2017 à Sao Paolo l’Agence Universitaire de la Francophonie (AUF), une association regroupant alors plus de 700 établissements d’enseignement supérieur et de recherche francophones des 5 continents. « Une ouverture exceptionnelle sur le plan international, avec des projets de coopérations multilatérales entre les universités à travers le monde. Et l’on a beaucoup à apprendre des universités des pays du Sud. Il faut remettre en cause cette approche très descendante du savoir des pays du nord vers le sud. C’est au sud que se passe la croissance aujourd’hui, et la francophonie ne se développe d’ailleurs pas en France, en Suisse ou au Québec, mais bien en Afrique et en Asie. »

Les ingénieurs façonnent le monde

Une terre bretonne à découvrir

Abdellatif Miraoui est arrivé mi-décembre 2020 à Rennes. « La période n’a pas été propice aux rencontres et aux découvertes. » Parmi ses premières escapades, il y a eu Saint-Malo bien sûr, « mais je n’ai pas pu profiter des restaurants, je vais y remédier à présent ! ». Les rencontres avec le monde politique et économique se sont aussi fait attendre et devraient à présent pouvoir s’organiser. Côté passion il avoue un vif intérêt pour le football. « J’ai fait mes études grâce au foot, j’étais milieu de terrain. Côté club j’ai toujours eu un faible pour Marseille, je pense aussi à Sochaux, à Madrid quand il y avait Zidane… J’aime cette ambiance en fait, si spéciale dans le football. Et à Rennes maintenant je n’attends que de découvrir ! »