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[ Dossier Eaux ] Littoral breton « Il faudra 5 à 10 ans avant de retrouver une bonne qualité de l’eau »

Interview de Julien Chevé, responsable de station de l’Institut français de recherche pour l’exploitation de la mer (Ifremer) à Dinard.

qualité eaux, Ille-et-Vilaine

© Ifremer

Quel est, aujourd’hui, l’état de la qualité de l’eau du milieu marin en Bretagne Nord ?

Du point de vue écologique, l’état de la baie du Mont Saint-Michel est bon tout comme la grande zone, qui couvre la baie de Saint-Malo. Enfin, l’estuaire de la Rance est classé en état « médiocre », conséquence d’une abondance moindre des poissons.

Pour autant, la contamination chimique du littoral est faible dans la région ?

Oui, effectivement. Nous suivons les contaminants métalliques (plomb, mercure, cadmium…), les produits issus de l’industrie (dioxines et PCB), les hydrocarbures ainsi que certains pesticides. Nous observons une légère décroissance en Bretagne et particulièrement en Ille-et-Vilaine. Nous pouvons affirmer que la contamination chimique est plutôt faible en Bretagne Nord. Le fait est que nous n’avons pas de gros bassins industriels sur nos bassins versants. L’Ille-et-Vilaine est donc plutôt préservée de ce point de vue. En parallèle, la recherche continue sur la question des micro polluants émergents (produit pharmaceutique, nouvelles molécules phytosanitaires et industrielles). Une partie de ces contaminants devrait passer prochainement en surveillance régulière.

Comment expliquer cette décroissance lente ?

Pour le plomb – l’exemple le plus caractéristique -, l’interdiction d’utilisation dans les essences a été le point marquant du début de cette décroissance. On a observé le même schéma de décroissance d’une autre molécule, le lindane, après qu’elle fut interdite au niveau international à partir de 2009. Pour cet exemple, il faut également prendre en compte la résilience des molécules et leur temps de dégradation. Pour information, ce pesticide, utilisé dans le traitement des bois et des graines de maïs, était le seul cas marquant historique où nous avions une pollution très supérieure au reste du territoire national.

D’autres molécules, non toxiques, mais nutritives, peuvent également porter préjudice à l’environnement du littoral breton ?

Les nutriments (dont les nitrates et les phosphates) peuvent porter préjudice à l’environnement en le rendant trop riche. C’est ce que nous appelons l’eutrophisation. Dans certains bassins versants bretons, les eaux sont riches et ont conduit à des phénomènes d’algues vertes. Ce n’est pas le cas de l’Ille-et-Vilaine. La baie du Mont-Saint-Michel, elle, est probablement préservée de ce phénomène grâce notamment à une eau turbide [teneur en particules suspendues qui la troublent, ndlr]. La lumière ne pénètre donc pas bien dans la colonne d’eau, ce qui empêche les algues de se développer. Dans l’estuaire de la Rance, comme dans beaucoup d’estuaires bretons, nous observons un développement d’algues filamenteuses. Cela n’a toutefois rien à voir avec l’ampleur des marées vertes tristement connues. Dans une autre mesure, ces déséquilibres nutritifs peuvent aussi influencer le développement du phytoplancton (les algues microscopiques) dont certaines espèces peuvent être toxiques ou représenter un risque d’asphyxie du milieu marin.

En 2020, la Bretagne a été marquée par des épisodes pluvieux, dont certains très importants (tempête Miguel et Alex). Cela peut également nuire au littoral ?

Oui, ils ont des conséquences pour nos réseaux d’observation sanitaire. Plus la quantité d’eau et le ruissellement sont importants et plus cela peut créer des apports en contaminants. C’est particulièrement vrai concernant la contamination microbiologique.

Julien Chevé, IFREMER

Julien Chevé, responsable de station de l’Institut français de recherche pour l’exploitation de la mer (IFREMER) à Dinard © Ifremer

D’où proviennent ces contaminations microbiologiques ?

Des bactéries, des virus et des parasites peuvent se retrouver dans l’eau et être concentrés par les coquillages qui peuvent, à leur tour, nous être infectieux. Et cette contamination est très sensible à la pluviométrie, provenant de l’assainissement humain, comme la saturation des égouts et des stations d’épuration ou encore de l’agriculture. Ces contaminations épisodiques sont rares en baie du Mont-Saint-Michel qui est en grande partie classée en « bonne » qualité sanitaire microbiologique. Cette baie présente une des meilleures qualités sanitaires microbiologiques en France. Mais ces contaminations sont plus régulières dans l’estuaire de la Rance, qui lui, est classé en qualité « moyenne » ce qui est le cas le plus fréquent rencontré sur les autres zones de France.

La reconquête de la qualité de l’eau est donc un objectif ?

C’est un travail de longue haleine portée par des gestionnaires de l’environnement. La DCE (Directive européenne Cadre sur l’Eau) vise à atteindre le bon état écologique de toutes les masses d’eau d’Europe. Des Schémas d’aménagement et de gestion des eaux (SAGE) ont été créés à l’occasion de cette directive du niveau de chaque bassin versant. Ces dispositifs portés par des structures locales et soutenues par l’Agence de l’Eau Loire-Bretagne travaillent à la reconquête de la qualité de l’eau.

La contamination chimique est plutôt faible, car nous n’avons pas de gros bassins industriels sur nos bassins versants

Et dans le concret ?

Sur la contamination microbiologique, un des grands axes est de s’assurer que les réseaux d’assainissement soient en bon état. Cela passe par des actions de renouvellements des canalisations, à leur bon raccordement, à l’intérêt de pousser les traitements des stations d’épuration. En outre, il est important de travailler sur le volet de l’agriculture en s’assurant des bonnes pratiques agricoles.

Après avoir balayé l’ensemble de ces indicateurs, que pouvons-nous dire de la qualité de l’eau du milieu marin littoral breton ?

Si nous résumons d’un point de vue sanitaire, nous sommes « moyens à bons ». Si nous parlons du chimique, nous sommes plutôt bons.

Il est certain que sur le chimique, nous avons un littoral privilégié et les produits en sont que plus valorisés économiquement.

D’autres usages comme la baignade sont également directement marqués par la contamination microbiologique. Si, dans la baie du Mont-Saint-Michel, la pêche à pied est pratiquée sans risques, dans l’estuaire de la Rance, elle est, pour certains secteurs, encore déconseillée. Un gros travail reste donc encore à réaliser sur plusieurs années, mais la Bretagne Nord est en bonne voie pour obtenir une meilleure qualité de l’eau en milieu marin. C’est un réel investissement du territoire pour son littoral avec des travaux estimés à plusieurs millions sur quelques années. Par exemple, le schéma directeur de réhabilitation d’un réseau d’assainissement peut porter sur 5, 10 voire 20 ans en fonction de la taille de l’agglomération et de la qualité sanitaire initiale.

 

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