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Droit de l’énergie : Réduire la facture énergétique de son entreprise avec l’autoconsommation

Dans un contexte de hausse du prix de l’électricité, consommer l’énergie produite sur place permet de réduire et de sécuriser sa facture d’électricité. A cet égard, l’immobilier d’entreprise est un domaine particulièrement propice à l’essor de solutions de productions d’énergies renouvelables en circuit court (ou « autoconsommation »).

Maître Brice Héritier, Avocat au barreau de Rennes

Maître Brice Héritier, Avocat au barreau de Rennes ©DR

Comme le souligne l’ADEME, les entreprises du secteur tertiaire, agricole et industriel sont avantagées par rapport à l’immobilier d’habitation dans la faisabilité technico-économique de leurs projets d’autoconsommation (avis de 2008 sur l’autoconsommation collective). En effet, la plupart des projets d’autoconsommation reposent sur des solutions de production par intermittence comme les cellules photovoltaïques en toiture. Or, contrairement aux immeubles du secteur résidentiel, dont les occupants consomment de l’énergie tôt le matin et en soirée, c’est-à-dire lorsque l’installation photovoltaïque ne produit pas, les besoins en consommation énergétique de l’immobilier d’entreprise sont synchronisés avec le temps solaire.

Sur le plan juridique, le régime de l’autoconsommation s’inscrit dans la droite ligne des tendances actuelles du droit de l’énergie, qui visent à promouvoir la transition énergétique au travers d’une production laissant une part de plus en plus significative aux énergies renouvelables. Figure centrale du dispositif, le consommateur est appelé à prendre une part active de ce mouvement en devenant un « client actif » qui a le droit de produire sa propre énergie et « d’agir sans être soumis à des exigences techniques disproportionnées ou discriminatoires » (notion consacrée en 2019 en droit de l’Union Européenne, dans la Directive 2019/944 relative au marché intérieur de l’électricité).

Il en résulte que l’objectif général recherché par le législateur depuis 2015 est d’offrir un cadre incitatif à la mise en place de solutions d’autoconsommation, en évitant les contraintes réglementaires ou tarifaires trop lourdes (l’entrée de l’autoconsommation en droit français résulte de la loi n° 2015-992 relative à la transition énergétique pour la croissance verte du 17 août 2015). Pour autant, l’élaboration d’un projet d’autoconsommation nécessite de maîtriser quelques concepts juridiques de base, chaque formule correspondant à un projet d’ingénierie fondamentalement différente. L’autoconsommation peut, en effet, être individuelle ou collective.

L’autoconsommation individuelle

Aux termes de l’article L. 315-1 alinéa 1 du code de l’énergie :

« Une opération d’autoconsommation individuelle est le fait pour un producteur, dit autoproducteur, de consommer lui-même et sur un même site tout ou partie de l’électricité produite par son installation. La part de l’électricité produite qui est consommée l’est soit instantanément, soit après une période de stockage. ». Par application de cette définition, plusieurs options s’offrent à l’entreprise disposant sur site d’une installation de production d’électricité :

  • Elle peut vendre la totalité de sa production électrique et l’injecter au réseau de distribution d’électricité (on ne parlera pas ici d’autoconsommation mais de « vente totale ») ;
  • Elle peut consommer sur place une partie de l’électricité produite et vendre le surplus de production injectée sur le réseau (on parle alors d’ « autoconsommation partielle ») ;
  • Elle peut enfin consommer sur place la totalité de l’électricité produite (par comparaison avec la formule précédente, on parle d’« autoconsommation totale »).

L’autoconsommation individuelle, qu’elle soit partielle ou totale, présente un intérêt financier immédiat pour l’autoproducteur. En effet, outre le fait de limiter les dépenses en électricité achetée aux fournisseurs, l’énergie autoconsommée dans le cadre d’une installation individuelle ne passe pas par les réseaux publics de distribution d’électricité, ce qui justifie une diminution des tarifs d’utilisation de ces réseaux (article L. 315-3 du code de l’énergie). En outre, elle n’est pas soumise au paiement de la TVA.

Au titre des facilités administratives dont bénéficie la formule, le législateur a prévu un encadrement minimum des activités d’autoconsommation en prévoyant un régime reposant sur un mécanisme déclaratif auprès du gestionnaire de réseau compétent (il peut s’agir d’Enedis ou d’une entreprise locale de distribution, selon le secteur géographique). En pratique, il s’agira de communiquer au gestionnaire de réseau un contrat rempli par l’autoproducteur sous la forme d’un formulaire type disponible sur internet, différent selon que l’autoconsommation est totale ou partielle.

Si la formule peut sembler séduisante, bon nombre d’entreprises ne s’estimeront pas compétentes pour exploiter une unité de production d’énergies renouvelables, ou n’auront pas les liquidités suffisantes pour financer le coût d’installation d’une centrale. C’est ici qu’intervient une formule hybride : l’autoconsommation individuelle avec tiers investisseur. Cette formule est décrite à l’alinéa 2 de l’article L. 315-1 du code de l’énergie : « l’installation de l’autoproducteur peut être détenue ou gérée par un tiers. Le tiers peut se voir confier l’installation et la gestion, notamment l’entretien, de l’installation de production, pour autant qu’il demeure soumis aux instructions de l’autoproducteur. Le tiers lui-même n’est pas considéré comme un autoproducteur ».

Dans cette formule particulière, un tiers intervient pour financer et/ou pour exploiter la centrale au nom et pour le compte de l’autoproducteur. Cette formule est assez souple dans son principe et permet d’élaborer une myriade de montages de valorisation immobilière, du simple contrat de location au bail emphytéotique en passant par le bail à construction. L’essentiel à garder à l’esprit dans cette configuration est qu’au sens strict, le tiers ne vend pas d’énergie à l’autoproducteur, qui reste maître de « sa » centrale. Il sera ainsi possible de rémunérer un service rendu par l’installateur ou de lui louer la centrale, mais en aucun cas de refacturer de l’énergie à l’autoproducteur.

L’autoconsommation collective

L’opération d’autoconsommation collective est définie à l’article L. 315-2 du code de l’énergie : « L’opération d’autoconsommation est collective lorsque la fourniture d’électricité est effectuée entre un ou plusieurs producteurs et un ou plusieurs consommateurs finals liés entre eux au sein d’une personne morale et dont les points de soutirage et d’injection sont situés dans le même bâtiment, y compris des immeubles résidentiels. […] ».

L’autoconsommation collective correspond à l’hypothèse dans laquelle une entreprise productrice entend faire bénéficier de sa production à ses voisins, au sein d’un même bâtiment. Ce type d’opération trouve particulièrement à s’appliquer dans les ensembles immobiliers dans lesquels cohabitent plusieurs entreprises, qu’elles soient copropriétaires de l’ouvrage ou pas. L’essentiel étant que les entreprises productrices et les entreprises consommatrices soient regroupées collectivement au sein d’une même personne morale, appelée « personne morale organisatrice ». Cette personne morale servira d’interface entre le gestionnaire de réseau et les participants à l’opération d’auto-consommation.

Si le texte exige la création d’une personne morale dédiée, celui-ci ne cite aucune forme juridique en particulier. Les parties pourront ainsi utiliser comme support d’une opération d’auto-consommation collective toute personne morale, existante ou à créer, dès lors qu’elle permet de regrouper en son sein les producteurs et les consommateurs : association de copropriétaires, SCI, AFUL, ASL, coopératives, etc. Le champ des possibles est énorme et, en raison du caractère très récent de cette règlementation, assez largement inexploré. Il y a là un vaste champ d’expérimentation qui peut donner des résultats très intéressants pour les participants.

Il en va de même des clefs de répartition des flux (énergétiques et financiers) entre les participants à une opération d’auto- consommation. Ceux-ci sont libres de disposer de la formule qui leur convient le mieux, à charge pour eux de trouver un équilibre contractuel qui les satisfasse. Le code de l’énergie reste supplétif et ne prévoit à cet effet qu’une clef de répartition par défaut.

Le champ des possibles est d’autant plus immense que le périmètre de l’autoconsommation collective peut désormais s’affranchir assez largement de ses contraintes géographiques. L’article L. 315-2 du code de l’énergie précise en effet qu’ « une opération d’autoconsommation collective peut être qualifiée d’étendue lorsque la fourniture d’électricité est effectuée entre un ou plusieurs producteurs et un ou plusieurs consommateurs finals liés entre eux au sein d’une personne morale dont les points de soutirage et d’injection sont situés sur le réseau basse tension et respectent les critères, notamment de proximité géographique, fixés par arrêté du ministre chargé de l’énergie ». Cette ouverture du périmètre de l’autoconsommation collective permet d’envisager un changement d’échelle progressif pour cette formule, passant peu à peu d’une boucle locale concernant un simple immeuble individuel à une zone d’autoproduction regroupant tout un quartier.

Ainsi, à l’heure actuelle, la distance maximum séparant deux participants à une opération d’autoconsommation collective est fixée à deux kilomètres à condition d’être raccordé au réseau basse tension du même distributeur (arrêté du 21 novembre 2019 NOR : TRER1932009A). Bon nombre de collectivités publiques ont saisi cette opportunité pour élaborer leurs projets d’éco-quartiers, comme le projet Smart Lorette à Saint-Malo. Mais l’immobilier d’entreprise n’est pas en reste, avec de beaux projets d’autoconsommation collective tels que celui de Partagélec, dans le Morbihan, qui démontrent peu à peu qu’un nouveau modèle est sérieusement envisageable.

 

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