Docteur en pharmacie et en médecine, Emmanuel Pied-noir est également titulaire d’un master en épidémiologie. Il partage son temps entre le CHU d’Avranche Granville et le CHU de Rennes. Spécialiste des maladies infectieuses et tropicales et d’Hygiène Hospitalière, il a fait de l’antibiorésistance son cheval de bataille. Il est aux commandes du CPIAS Bretagne, le centre d’appui pour la prévention associée aux soins qui travaille notamment à l’action de surveillance et de prévention de la résistance aux antibiotiques.
« J’ai vu au fur et à mesure de mon exercice la résistance aux antibiotiques monter, monter, monter, avec des incidences non négligeables sur la mortalité, sur la complexité de traiter certaines affections qui sont pourtant aujourd’hui banales » explique Emmanuel Piednoir.
« La découverte des antibiotiques a constitué un formidable progrès. Les spécialistes estiment qu’ils ont fait gagner 10 ans d’espérance de vie à l’humanité. Mais la résistance croissante des bactéries devient progressivement un problème majeur de santé publique pour la France et dans le monde entier ».
C’est une utilisation massive et répétée chez l’homme et l’animal qui a conduit à l’apparition de ces bactéries résistantes aux antibiotiques. Elles se développent au sein des organismes des individus qui peuvent ensuite les transmettre par voie manuportée « Une bonne hygiène avec des lavages de mains fréquents est importante » souligne Emmanuel Piednoir. « Auparavant c’était enseigné dans les écoles, mais avec l’apparition des antibiotiques, la prévention par l’hygiène s’est peu à peu effacée. Aujourd’hui, on voit des comptines enseignant l’hygiène aux enfants refaire leur apparition dans les maternelles », et de préciser « Il y a une prise de conscience en France. La campagne de publicité, « les antibiotiques c’est pas automatique » a fait évoluer les comportements. Mais il y a encore un grand chemin à faire ».
Les antibiotiques pourraient devenir la première grande invention médicale à s’autodétruire
En France on compte 5 500 décès par an chez des patients atteints d’infections à Bactéries Résistantes alors que les accidents de la route en comparaison ne représentent « que » 3600 décès. À l’échelle mondiale, l’OMS estime que les résistances microbiennes seraient responsables de 700 000 morts par an. Si rien n’est fait, les maladies infectieuses d’origine bactériennes pourraient redevenir en 2050 une des premières causes de mortalité dans le monde, en provoquant jusqu’à 10 millions de morts. « Tout un pan de la médecine est basé sur les antibiotiques : la chirurgie lourde, les greffes, la médecine néonatale, la chimiothérapie… Si nous ne trouvons pas de solutions, les antibiotiques pourraient devenir la première grande invention médicale à s’autodétruire ! » alerte Emmanuel Piednoir.
L’antibiorésistance concerne les humains, mais également les animaux et l’environnement. En 2006, une loi européenne interdisant « les antibiotiques comme facteurs de croissance » dans les aliments pour les animaux a été votée. Mais « Le tourisme de masse notamment vers les pays du Sud avec un moindre niveau d’hygiène, favorise la propagation de bactéries résistantes aux antibiotiques » explique Emmanuel Piednoir. « La revue Clinical Infectious Diseases a publié une étude. Des chercheurs ont analysé les selles de 574 touristes, avant et après leur départ dans une région tropicale. De ce nombre, 292 (50,9 %) sont revenus porteurs de bactéries autorésistantes. Les voyages dans ces régions doivent être considérés comme un facteur de risque au cours des 3 premiers mois après le retour. Après la flore habituelle se reforme, et prend le dessus ».
À travers son engagement au CPIAS Bretagne, Emmanuel Piednoir travaille à la prévention des maladies infectieuses et contribue à la maitrise de l’antibiorésistance bactérienne. Avec son équipe, il apporte son expertise et son appui auprès des professionnels de santé dans les 3 secteurs de soins : établissements sanitaires, établissements médico-sociaux (EHPAD, Maison d’accueil spécialisée…) et secteur libéral en ville. Ses missions : évaluation des pratiques de soins, information et prévention, formation, documentation, assistance et conseil en lien avec l’ARS.
Afin de sensibiliser le plus grand nombre, le spécialiste confie également vouloir écrire un ouvrage sur le sujet « mais le temps me manque », confie-t-il. En attendant, Emmanuel Piednoir pourra porter son message sur la scène du TEDxRennes le 3 avril prochain.