Le Premier ministre Jean Castex annonçait en 2021, « nous mettons en œuvre cinq mesures pour renforcer le développement des tiers-lieux et leur structuration, pour un budget total de 130 millions d’euros, dont la moitié proviennent de France relance. »
Le processus est lancé, un signe fort montrant que l’émergence des tiers-lieux s’institutionnalise.
Développer le « faire ensemble »
« Cette notion de « tiers-lieu », est une invention d’une sociologue américain, fin XXe siècle, pour désigner un lieu qui ne relève ni du domicile, ni du travail », contextualise Jérémie David, président de La Cordée, espace de coworking à Rennes, co-président de Bretagne Tiers-Lieux.
Des lieux se situant ainsi entre l’espace public et l’espace privé, « ce sont des lieux hybrides à plusieurs égards » détaille Arnaud Bonnet coordinateur de Bretagne Tiers-Lieux
- « D’abord il y a cette notion de projet citoyen ou de collectif citoyen, à l’origine d’un tel lieu. Il y a aussi un facteur important d’ancrage sur le territoire où il est situé, en lien avec les élus et les institutionnels. C’est un lieu où l’on amène l’usager à s’engager autant que possible dans la gouvernance, qui interroge sur cette gouvernance.
- Ensuite, il y a une hybridation des revenus, de par la mixité des activités. On peut y voir des activités rémunératrices : cafés, événementiel, coworking, fablabs pour des entreprises, ateliers, etc.
- Il y a une logique d’expérimentation également, c’est le lieu pour tenter des projets « hors cadre »
- C’est aussi et simplement un espace ouvert, où l’on se réunit, que ce soit pour travailler, pour se former, acquérir des savoirs, des compétences, ou juste se rencontrer de façon informelle. »
Les collectivités au cœur du projet
Ces espaces qui étaient des lieux marginaux il y a encore 10 ans, théâtre d’émancipation et d’initiatives collectives, sont aujourd’hui intégrés aux collectivités. Ce nouveau cadre leur permet de développer ou d’activer les ressources locales, de proposer – notamment en zones rurales ou péri-urbaines – des lieux mixtes et attractifs pour les jeunes et les familles qui s’éloignent des métropoles. Accueil des indépendants et de télétravailleurs, lieu de formation, y sont parfois réunit des initiatives de distribution de productions locales ou d‘expression de la vie culturelle locale.
« Ce sont autant de laboratoires de re-dynamisation d’un territoire. On dénombre 200 tiers-lieux en Bretagne, mais il pourrait y en avoir dix fois plus ! On ne peut pas déterminer un « modèle type » de tiers-lieux, car ces espaces se construisent selon les besoins des citoyens, des entreprises, des élus. C’est très ouvert et c’est là leurs forces. »
Une activité transitoire ou pérenne ?
La Maison Glaz à Gâvres, sise sur une langue de sable à l’entrée de la rade de Lorient-repaire de kite-surfer- est un lieu acquis au fil des ans par la collectivité. Ce domaine militaire jalonné de Blockhaus a été mis à la disposition d’un collectif pour en faire un tiers-lieu.
À Lamballe le DIX7 situé dans l’ancienne maison du Haras national, est né d’une initiative collective d’acteurs économiques. Il existe aussi des tiers-lieux autonomes, qui s’autofinancent par leur activité, de coworking, de restauration, d’hébergement… « Ce sont parfois des lieux qui bénéficient de mises à disposition de lieux par la collectivité, pour 2, 5, 10 ans. Cela peut se faire par Délégation de service public (DSP), et c’est vraiment une acculturation mutuelle : la collectivité possède le lieu, y fait souvent beaucoup d’investissements pour réhabiliter cette friche et permettre l’accueil de public. Mais in fine la collectivité n’aura pas la main sur ce lieu, elle se met en marge du projet pour qu’y vive un projet citoyen. »
Ces projets peuvent être développés et financés par un appel à manifestation d’intérêt (AMI) et le soutien de fonds européens. Les Chambres Régionales de l’ESS (CRESS) et le centre de ressources Résovilles interviennent aussi en soutien au développement de projet. « Au fil du temps ces espaces éphémères peuvent se transformer et devenir pérennes. Même si on voit aujourd’hui que certains lieux avec un modèle marchand ont souffert des deux ans de Covid. Il est donc nécessaire d’ouvrir et d’échanger sur la diversité des ressources ».
Il existe des lieux très anciens, qui se reconnaissent aujourd’hui dans cette dynamique, auprès de la filière coworking qui, elle, n’a que 10 ans d’expérience, et ensemble cela se structure. Cela fait également émerger le nouveau métier de « facilitateur de lieu ». Bretagne Tiers-Lieux en lien avec son homologue la Coopérative de Nouvelle Aquitaine déploient une formation dédiée.
Les « fabriques de territoire »
L’État a lancé un appel à manifestation d’intérêt (AMI) permanent, doté de 45 millions d’euros, identifiant 300 fabriques de territoires, dont 19 en Bretagne. Ces lieux recevront une subvention de 150 000 euros sur trois ans, afin de soutenir l’amorçage de leur projet, leur rayonnement, la constitution de leur équipe, et la recherche d’un équilibre économique.
« Nous avons aussi 3 Manufactures de proximité, des espaces de travail mutualisés à destination d’une communauté professionnelle : Comme un Établi (Rennes) est un atelier partagé d’artisans ; MADY & Co (Hennebont) orienté vers les questions alimentaires et agricoles ; et les ateliers Jean-Moulin (Plouhinec) spécialisés dans les métiers du bois. »
Espaces de coworking, fablabs, friches culturelles… ils étaient 1 800 en 2018 en France et l’on devrait atteindre 3 500 tiers lieux fin 2022.
Selon les derniers chiffres connus en 2019 : 2,2 millions de personnes ont réalisé des projets ou ont travaillé dans un tiers-lieu cette année-là ; 4 millions de Français y ont assisté à un événement culturel ; et au quotidien, ils y accueillaient déjà près de 150 000 travailleurs.
Un collectif des tiers-lieux
« France tiers-lieux » a été créée par besoin d’une structuration nationale, devenant l’interlocuteur des ministères afin de construire la politique publique autour des tiers-lieux. Bretagne Tiers-Lieux, association de préfiguration créée en février 2021, a vocation à fédérer et représenter l’ensemble des tiers-lieux bretons, dans leur diversité. L’association s’appuie sur une trentaine de représentants en Bretagne, et ouvre son fonctionnement aux élus, aux citoyens, aux universitaires, aux entreprises intéressées par la démarche…
Et à tout espace qui aurait cet ADN de gouvernance ouverte et de lieux hybrides. Une campagne d’adhésions vient d’être ouverte début mai 2022.
« Il faut partager et développer nos ressources et nos expériences » indique Arnaud. « C’est une mise en commun qui doit permettre d’accompagner les initiatives et les porteurs de projets de nouveaux lieux, au service des collectivités également qui souhaitent aussi voir émerger un projet sur leur territoire. Que des projets sur un même secteur se coordonnent au lieu de s’entrechoquer par exemple. Et faire reconnaitre les formations qui y sont dispensées. »
« Nous sommes aussi des laboratoires d’idées, on y imagine de nouveaux services : je pense au système de « carte sortir » à Rennes qui pourrait être élargi ou dupliqué, pour permettre un accès à quelques heures de coworking ou d’ateliers partagés… il y a toujours à imaginer, à inventer, pour qu’il y ait interaction et innovation sociale », souligne Jérémie.
Rendez-vous du 30 juin au 2 juillet
Un festival des tiers-lieux en Bretagne est organisé du 30 juin au 2 juillet à Maison Glaz (Gâvres, 56). Ce sera le temps de l’AG constitutive de Bretagne Tiers lieux, également un temps d’échange pour faire connaître la diversité des activités des tiers lieux de Bretagne. S’y tiendra également la 12e étape de la tournée en France de la Convention Citoyenne pour le Climat. Une étape “océanique” puisqu’y seront abordées les transitions liées à la mer et au littoral.