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Entretien avec Marie Eloy : « La parité économique est une des clés majeures de la relance »

Femme de réseaux, énergique, infatigable, toujours sur le terrain auprès des femmes qui osent, innovent, entreprennent, Marie Eloy est devenue en quelques années une voix qui compte dans le paysage économique. Elle défend avec force l’idée qu’une société qui fonctionne est une société paritaire.

Marie Eloy Présidente de Femmes des Territoires, Bouge ta Boite & Bouge ton Groupe

Bouge ta Boite © loeilduplafond

« La parité économique n’est pas secondaire dans la crise. Qu’elle soit salariale ou entrepreneuriale, elle est une des clés majeures de la relance. Toutes les études démontrent que la mixité est vitale pour la relance économique, un monde plus vert, de nouvelles solutions, un mieux vivre ensemble et une société plus juste.», peut-on lire dans une tribune publiée dans le JDD et signée par 120 responsables de réseaux féminins, dont Marie Eloy.

Et Marie Eloy connait son sujet. La jeune femme est devenue en quelques années une référence dans le paysage économique français. Fondatrice des réseaux Femmes de Bretagne et Femmes des Territoires, mais aussi des réseaux business Bouge ta Boite et Bouge ton groupe, sa voix porte. Il faut dire que depuis 2014, elle a su mobiliser et fédérer les femmes autour d’un intérêt collectif d’intérêt général : que le monde économique soit représentatif des membres qui le composent. Toujours sur le terrain, Marie Eloy et ses partenaires remontent également régulièrement les faits, les chiffres et publient des études. Elles ont l’oreille des politiques toujours avides de connaitre les données du réel. Son engagement lui vaut en 2020 d’être classée par Forbes parmi les 40 Françaises de l’année qui comptent et en parallèle d’être distinguée Chevalier de l’ordre national du Mérite.

« Force est de constater que la parité demande des actions volontaristes pour que cela fonctionne »

Marie Eloy

Marie Eloy © Gwenael Saliou

Cette parité réclamée pour un monde qui tournerait plus rond est un sujet auquel les politiques s’attaquent depuis des années, sur les salaires, la représentativité des femmes en politique, les quotas dans les conseils d’administration. Là où les textes frappent, les écarts de traitement trépassent. « Avec la loi Copé-Zimmermann adoptée en janvier 2011, la part de femmes dans les conseils d’administration du SBF 120 est passée de 8% à 43,6%. La loi imposait 40%. En revanche dans les COMEX (ndlr : comité exécutif de l’entreprise), où aucune loi n’impose de quota, nous sommes passés dans le même temps de 8% à 17% » déplore Marie Eloy. « Force est de constater que la parité demande des actions volontaristes pour que cela fonctionne ». CQFD.

Idem pour les femmes à la tête de startups qui ne captent que 2,6% des fonds d’investissement. « L’État doit montrer l’exemple en appliquant le principe de l’« éga-conditionnalité » des financements publics, par ses participations et prêts directs ainsi qu’à travers les fonds qu’il soutient », peut-on également lire dans la tribune soutenue par Marie Eloy. Une égalité qui devrait être encouragée par « un plan national d’accompagnement des TPE ».

La reconnaissance des femmes à leur juste place, Marie Eloy la revendique depuis de nombreuses années. Cette jeune femme brillante, titulaire d’une maitrise en droit et d’un diplôme de journaliste décroché au CELSA, a parcouru le monde pendant 7 ans alors qu’elle travaillait pour RFI. Et partout le constat est identique. La femme n’a pas encore la place qui lui revient de plein droit dans la société.

« Un réseau apporte une zone de confiance »

Alors qu’elle s’installe à Vannes à la naissance de sa fille, Marie Eloy veut monter une école Montessori pour y scolariser ses enfants. Ce modèle d’éducation, elle a pu l’apprécier lors de ses séjours dans les pays anglo-saxons et particulièrement en Nouvelle-Zélande où elle a vécu 9 mois. Le projet qui aboutira en 2011, éclaire la nouvelle entrepreneure sur la complexité d’une telle démarche, particulièrement en tant que femme « on se sent souvent peu légitime pour rejoindre un réseau ». Lui vient alors l’idée de créer un réseau purement féminin pour s’entraider, échanger. S’il ne s’agit au départ que d’une simple plateforme digitale, les premières adhérentes en demandent rapidement plus.

Elles veulent des rendez-vous physiques pour se rencontrer, se soutenir, échanger « Un réseau apporte une zone de confiance, où les entrepreneures peuvent s’identifier les unes aux autres, être comme elles sont avec leurs forces et leurs faiblesses aussi. ». Le réseau grandit, de façon exponentielle et l’implication de Marie Eloy dans la sororité aussi.

Nous avons besoin de « rôles modèles »

Alors que les hommes réseautent de façon beaucoup plus naturelle, les femmes y voient souvent une perte de temps. Pourtant, c’est dans les réseaux que se façonne une entreprise et qu’on y trouve des clients. Pourquoi est-ce moins évident pour les femmes ? Cela viendrait-il d’un inconscient collectif marqué par un monde économique traditionnellement très masculin d’une part, et le manque de figures féminines marquantes d’autre part ? C’est possible . « Le problème c’est que les femmes manquent de rôles modèles d’entrepreneures », confirme Marie Eloy. « Près d’une femme sur deux ne peut citer une créatrice d’entreprise inspirante, et les noms qui reviennent le plus souvent sont ceux de Michelle Obama et de la présentatrice de télévision américaine Oprah Winfrey ! » se désole la fondatrice de Femmes de Bretagne. « Alors qu’on a besoin de se rendre visible, de montrer l’audace et l’expertise des entrepreneures pour que les femmes s’identifient, se reconnaissent dans ces modèles, se sentent légitimes et se lancent dans l’entrepreneuriat à leur tour. C’est une spirale vertueuse. » En 2018, dans la catégorie patron, 1 % de femmes ont été médiatisées.

© D.R.

En 2018, dans la catégorie patron, 1% de femmes ont été médiatisées

Le succès de Femmes de Bretagne marque un réel besoin des femmes de s’entraider pour créer leur entreprise. La vague bretonne déferle alors sur l’hexagone et en 2019, Femmes des Territoires voit le jour co-fondé par la Fondation Entreprendre. Marie Eloy transmet fin 2020 les clés de Femmes de Bretagne à Elena Mañeru Izcue pour se concentrer sur le développement du réseau national.

Femmes de Bretagne rayonne dans 70 villes et organise 500 évènements par an. Dans les autres régions, Femmes des Territoires s’est implanté dans 40 villes en 1 an.

Entre-temps, celle qui sera bientôt distinguée Chevalier de l’ordre national du Mérite veut aller beaucoup plus loin en accompagnant les femmes ayant déjà franchi le pas de la création d’entreprise et qui souhaitent développer leur business. Elle a beaucoup appris toutes ces années et réussi à lever 1,3 million d’euros pour mettre en place son réseau business en 2016 destiné aux femmes. « Le meilleur conseil qu’on ait pu me donner lors des levées de fonds de Bouge ta Boite c’est de choisir des actionnaires bienveillants et exigeants, ultra-compétents, avec qui nous pouvons parler de tout, des réussites comme des difficultés en toute confiance », confie la fondatrice. Encore un succès avec 3000 entrepreneures accompagnées en 4 ans, 120 Cercles partout en régions et 400 réunions de travail par mois. « Les dirigeantes travaillent à gagner en chiffre d’affaires, en stratégie et en leadership les unes grâce aux autres sur leur territoire. » Des résultats efficaces quand on sait que, en France, 70% des femmes dirigeantes gagnent moins de 1500 euros par mois.

Mais avec Marie Eloy, les projets au bénéfice des femmes ne finissent pas de voir le jour. Début février 2021, elle lance avec Julie Bodin, directrice de Bouge ta Boite, un nouveau réseau, Bouge ton Groupe. Basé sur l’expérience avec les entrepreneures, le concept est conçu pour les femmes cadres et managers. L’objectif? Faciliter la mixité, la transversalité et promouvoir l’ensemble des forces vives d’une entreprise. À peine deux semaines après son lancement, deux grandes entreprises ont déjà signé pour intégrer cette solution en leur sein.

Pour Marie Eloy « L’égalité n’est pas l’apanage des femmes, c’est de la responsabilité de tous ! C’est prioritaire et clé à la fois pour la relance, mais aussi pour le monde de demain. »

 

5 questions à…

Une femme inspirante pour vous ?

Jacinda Ardern, Première ministre néo-zélandaise ! Sa loi sur l’égalité salariale en Nouvelle-Zélande garantit que les femmes qui travaillent dans les secteurs majoritairement féminins et historiquement sous-payés recevront la même rémunération que les hommes qui effectuent un travail différent, mais de valeur égale ( généralement mieux payés) !

Votre livre préféré ?

« Une farouche liberté » le livre de Gisèle Halimi avec Annick Cojean

Un pays que vous avez aimé découvrir ?

J’ai vécu neuf mois en Nouvelle-Zélande. La liberté !

Votre phrase fétiche ?

« Que ferais-tu si tu n’avais pas peur ? » Je me le dis tous les matins !

Votre meilleur souvenir dans les réseaux ?

Les rencontres avec les femmes un peu partout. Je sais pourquoi je me lève le matin. Et bien sûr, mes équipes dont Julie Bodin pour Bouge ta Boîte et Bouge ton Groupe et Céline André pour Femmes des Territoires. Sans elles ça ne fonctionnerait pas…