Jean-Jacques Aillagon, ancien ministre de la Culture est le directeur général de Pinault Collection et le commissaire général de cette exposition : « ce sont des œuvres au cœur de la sensibilité de François Pinault, qui apprécie la sobriété, où l’on dit beaucoup avec peu. Le choix du noir et du blanc se fait par des artistes qui répudient l’usage de la couleur. C’est un acte artistique fort, à des fins de sérénité, de sobriété totale, minimale, ou encore de radicalité, pour marquer la force des convictions ou comme un manifeste politique dans les oppositions ».
« La Bretagne est noire et blanche »
Peinture, sculpture, dessin, photographie, vidéo, cette sélection de 107 œuvres, créées par 56 artistes français et étrangers, s’ancre dans les symboliques du noir et du blanc. Ils forment un duo dans une relation dynamique et antagoniste, avec comme symbolique le yin et le yang. On les retrouve dans la bannière bretonne Gwenn-ha-Du qui flotte virtuellement sur un écran à l’entrée de l’exposition. Ce sont aussi les couleurs du blason de la Ville de Rennes, « et des armoiries de l’Ordre des Jacobins, qui ont habité ce lieu », précise Jean-Jaques Aillagon, « des jacobins portant robes blanches et manteaux noirs… tout est dans le tout ! »
Sérénité et angoisse
Au fil du parcours on découvre des œuvres de renommées internationales, de grandes signatures de la peinture, sculpture, photographie, des 60 dernières années. Richard Avedon, Jeff Koons, Cartier-Bresson, Dan Flavin, difficile de tous les citer. Mais il est rare de pouvoir vivre un tel regroupement d’œuvres. Nous sommes accueillis tout d’abord par un vautour dominant le visiteur, l’œuvre « waiting » de Sun Yuan et Pen Yu. Regard perçant, à la fois serein et inquisiteur. « Ici encore le lien peut-être fait avec l’histoire du lieu, et cette ambiance des dominicains que l’on retrouve tant dans le film « Au nom de la rose ». »
La Pureté du blanc, lumière intime
Passé le vautour nous tombons sur le « Bourgeois Bust » de Jeff Koons, « une sculpture représentant l’artiste lui-même avec son ex-épouse la Cicciolina, actrice de films porno… ce qui ne l’empêche pas également d’être élue au parlement ! »
Un blanc de lait choisit pour ce qu’il peut évoquer comme pureté et innocence.
Plus loin, l’œuvre de François Morellet « Néons » clignote perpétuellement dans cette pièce intitulée « Less is more » proposant de faire « plus avec moins », comme une répudiation de l’emphase et du bavardage, pour aller à l’essentiel.
Et quand Adel Abdessemed use de l’ivoire d’éléphant, c’est pour matérialiser cette célèbre photographie de la petite fille vietnamienne brûlée au napalm en 1972. Comment le beau peut être aussi tragique ? Dans une salle portant sur les écritures, Roman Opalka écrit en blanc sur du blanc la succession des dates et des jours nécessaires à la création de ce tableau infini, et infiniment blanc. Il égrène ainsi, comme une psalmodie hypnotique, l’écoulement inéluctable du temps.
Le tragique du noir, la force du drame
Le noir, se refusant à la lumière, a la capacité d’effacer la perception des détails, participant à l’abstraction de ce qui est représenté. Plusieurs artistes usent de ces monochromes obscurs, jouant des matières. On retrouve ainsi la tête de mort de Damien Hirst « Death’s Head » symbolisant la mortification.
Plus loin encore, du même artiste, ce panneau jonché de mouches et de résines « Cancer ». En face un tableau réalisé de sang de cheval « Blood Lacque » d’Édith Dekyndt. Dans le Jardin du Cloître, deux imposantes pièces de bois de l’artiste britannique David Nash, les Threshold Menhirs en chêne carbonisé, se font face tels des menhirs des temps modernes.
Richard Avedon, le photographe est aussi présenté. On est loin des couvertures de Vogue et autre brochure de mode, ici ses clichés de victimes du Napalm au Vietnam, là une série prise en asiles psychiatriques en Louisiane.
Plusieurs oeuvres d’Adel Abdessemed sont présentées, dont cette voiture BMW carbonisée « Pratique Zero Tolerance », ou bien sûr, clou de la visite en extérieur, le coup de tête du footballeur Zinedine Zidane à Matteo Materazzi, de plus de 5 mètres de haut et plusieurs tonnes… Un monument noir et démesuré, en écho à cet événement surmédiatisé et rappelant les vanités humaines.
Il y a aussi ce « Bear and Rabbit on a Rock » de Paul McCarthy, qui prête à sourire, donnant à voir un lapin et un ours qui s’étreignent. « C’est une rencontre improbable d’un point de vue zoologique, et le lapin semble en extase », indique Jean-Jacques Aillagon, « ils sont heureux ensemble malgré leurs différences, c’est une invitation à surmonter nos préjugés, à vivre ensemble ».
La Collection de François Pinault
François Pinault est né le 21 août 1936 aux Champs-Géraux, en Bretagne « né aux frontières des Côtes-d’Armor et élevé en Ille-et-Vilaine » précise Jean-Jacques Aillagon. Du négoce de bois dans les années 60, au rachat de Gucci en 2004, il a monté un empire économique, aujourd’hui nommé Kering et aux mains de son fils. François Pinault est l’un des plus importants collectionneurs d’art contemporain au monde. La collection qu’il réunit depuis plus de 50 ans constitue aujourd’hui un ensemble de plus de 10000 œuvres, représentant tout particulièrement l’art des années 1960 à nos jours. Il vient d’ouvrir un nouveau musée à Paris, à la Bourse du Commerce. De Paris, à Venise, Marseille, Moscou, Séoul, il a fait plus de 1300 prêts d’œuvres depuis 2013.
« La Couleur crue » au Musée des beaux-arts
En écho à cette proposition de noir et de blanc, on retrouve l’exposition « La Couleur crue », présentée par trois commissaires d’exposition de trois lieux d’art rennais : Jean-Roch Bouiller directeur du Musée des beaux-arts, Anne Langlois directrice artistique de 40mcube et Sophie Kaplan directrice de La Criée. L’exposition réunit 30 artistes auxquels s’ajoutent
16 autres dans le parcours permanent du musée. C’est ainsi une programmation culturelle estivale globale que promeut la Ville de Rennes et Rennes Métropole, sous le label Exporama.