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La France en passe de se réconcilier avec les activités industrielles ?

Les impôts qui frappent les biens immobiliers, dont disposent les entreprises et leur valeur ajoutée, étaient réputés irréformables, bien qu’ils apparaissent comme de plus en plus inadaptés et particulièrement élevés en France par rapport à d’autres pays. Éclairage sur ce sujet par Maître Maud Bondiguel-Schindler, avocate spécialiste en droit fiscal et douanier au Barreau de Rennes

Maître Maud Bondiguel (crédit photo Klervïa Buan - Suzette)

Au fil du temps, le cercle des personnes convaincues de la nécessité de les réformer s’est élargi. L’attention a en particulier été attirée sur le sort des entreprises qui, pour l’application de la taxe foncière et de la cotisation foncière des entreprises (CFE), sont qualifiées d’établissements industriels et dont l’assiette d’imposition n’est pas calculée de la même manière que les locaux qualifiés de professionnels ou de commerciaux.

Un mode de calcul des impôts fonciers désavantageux pour les industriels

En créant cette disparité de traitement dans les années 1970, le législateur avait pourtant pensé avantager les établissements industriels en calculant la valeur locative des immeubles d’exploitation par référence à leur prix d’achat, plutôt qu’à un tarif de location. Au fil du temps, ce mode de calcul des impôts fonciers des entreprises s’est retourné contre l’industrie, générant une imposition jusqu’à 4 à 5 fois plus lourde que pour les établissements qualifiés de commerciaux ou de professionnels.

Alors que, dans les statistiques, la part de l’industrie régressait en France, de plus en plus d’entreprises étaient fiscalisées en tant qu’établissements industriels.

Jusqu’en 2018, la loi ne définissait pas l’établissement industriel. Le juge administratif a hésité sur le critère pertinent, pour finalement opter en juillet 2005 pour une définition large qui s’appuie sur la comptabilité des entreprises et plus précisément sur les « installations techniques, matériels et outillages industriels » relevant des comptes 215.
Sont qualifiées d’établissements industriels, les entreprises exerçant soit une activité de fabrication / transformation nécessitant d’importants moyens techniques, soit toute autre activité lorsque le rôle de ces outillages est prépondérant.
Le choix de la référence au compte 215 apparait rétrospectivement étonnant : en 2010, la taxe professionnelle a été supprimée ou plus exactement remplacée par la contribution économique territoriale qui recouvre la CFE et la cotisation sur la valeur ajoutée des entreprises. Le législateur a alors restreint l’assiette d’imposition aux éléments fonciers, à l’exclusion des matériels et outillages dans le but de lutter contre les délocalisations et de dynamiser les investissements des entreprises.
Or, ce qu’on pouvait craindre est arrivé, sur la base de la définition large des établissements industriels fixée par le Conseil d’État, des contrôles fiscaux ont été diligentés pour analyser la part relative du compte 215 par rapport aux autres immobilisations (brevets, marques, constructions, matériel informatique…).
De nombreuses entreprises ont été requalifiées en établissements industriels : les entrepôts logistiques d’abord, puis des ateliers de menuiserie, des silos de proximité…
Alors que, dans les statistiques, la part de l’industrie régressait en France, de plus en plus d’entreprises étaient ainsi fiscalisées en tant qu’établissements industriels. Ces redressements ont achevé de déstabiliser certaines entreprises déjà affaiblies par la concurrence des pays à bas coûts de production. Des imprimeries ont disparu, puis tout leur environnement (fournisseurs, sous-traitants…).

Le législateur est intervenu à la fin de l’année 2018 pour dire que, jusqu’à un prix d’achat de 500 000 € pour les biens d’équipement relevant du compte 215, les entreprises ne devaient pas être qualifiées d’établissements industriels. Pour mesurer la faiblesse de ce chiffre, il faut savoir que la plupart des machines de base utilisées y compris par de petites entreprises valent à l’unité 150 000 €. Avec ce texte, on a toutefois mis un coup d’arrêt au vent de folie qui soufflait et qui attribuait la qualité d’établissement industriel à des artisans dont le savoir-faire est manuel. L’analyse des débats parlementaires de l’époque est éclairante : le débat s’est focalisé non pas sur les conditions permettant aux entreprises de se développer sereinement et de contribuer à la richesse de leur territoire d’implantation, mais sur la volonté de ne pas moins imposer de « gros » opérateurs, comme les plates-formes logistiques.

La loi de finances 2021 révise le régime d’imposition des établissements industriels

La prise de conscience de l’importance de maintenir dans les territoires des savoir-faire (du geste précis du métallier à l’amélioration des techniques de production de pièces pour l’aérospatiale) a conduit le Parlement à reprendre le sujet.
À la fin de l’année dernière, la réduction de moitié des bases d’imposition à la taxe foncière et à la CFE des établissements industriels a été votée et produira ses effets dès juin prochain sur les acomptes de CFE.
De son côté, le juge est revenu à une lecture plus conforme des exonérations devant bénéficier aux établissements industriels sur le fondement de l’article 1382-11° du Code général des impôts.
Les agencements et installations qui sont spécifiquement adaptés aux activités susceptibles d’être exercées dans l’établissement ne doivent pas être inclus dans la base de la taxe foncière et de la CFE, sauf s’il s’agit de véritables constructions, de voies de communication… C’est l’occasion pour les entreprises de se plonger dans le détail du calcul de leurs bases d’imposition.
L’image qu’a en France l’industrie est souvent datée. La rencontre des femmes et des hommes qui animent les établissements industriels révèle au contraire des gens dynamiques, fiers de créer et parfois d’exporter leurs savoir-faire.

Maître Maud Bondiguel-Schindler, avocate spécialiste en droit fiscal et douanier au Barreau de Rennes.

7Jours N°5062 du 26 février 2021