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Bases de données : un droit à favoriser !

Une base de données est un recueil d’œuvres, de données ou d’autres éléments indépendants, disposés de manière systématique ou méthodique. Les bases de données sont des actifs peu voire pas valorisés par les sociétés. Par méconnaissance des protections applicables, ces actifs restent « en sommeil » au sein des sociétés.
Décryptage par Maître Aurélie Bourgault, avocate au barreau de Rennes.

Nombreuses sont les sociétés qui disposent de fichiers comportant des informations relatives par exemple :

• aux fournisseurs ;
• aux annonces publiées (telles que Leboncoin dans l’affaire citée en exemple ci-dessous) ;
• aux fiches produits présentées sur les sites de e-commerce .

La décision de la Cour d’appel de Paris1 du 2 février 2021 est l’occasion de revenir sur la protection des bases de données.

Comment les protéger ?

Par le droit d’auteur. Le droit d’auteur2 protège la structure de la base de don- nées, « le contenant ». Pour bénéficier de cette protection, l’auteur de la base doit être en mesure de rapporter la preuve de l’originalité du contenant, c’est-à-dire le reflet de sa personnalité dans l’agencement des données. La tendance actuelle des juridictions révèle que cette protection s’avère de plus en plus compliquée à obtenir, les juges faisant désormais preuve d’une appréciation stricte des textes.

Aujourd’hui, les aspirateurs à données – web scrapping ou autre crawler – sont les principaux dangers des sites internet.

La protection semble devoir se porter sur la donnée elle-même.

Par le droit des producteurs de base de données. Les bases de données bénéficient d’une protection spécifique (dite « sui generis »). Cette protection a pour objet de protéger, non plus le conte- nant, mais le contenu.

Ce droit spécifique est reconnu à celui qui prend l’initiative et le risque des investissements à condition que celui-ci prouve un investissement :

• Financier, matériel ou humain ;
• Substantiel ;
• Portant sur la constitution, la vérification ou la présentation de la base. L’investissement doit être distinct de celui dédié à la création des éléments incorporés à la base. Il faut un investissement « détachable ».

Dans la décision du 2 février, les juges ont précisé les contours des investissements requis pour bénéficier de cette protection.

Ainsi, selon la cour d’appel de Paris, les investissements réalisés afin d’optimiser le tri et le stockage des données (recours à des logiciels et/ou à des SGBD – système de gestion de base de données, achat de serveurs et de baies de bras- sage, etc.) sont assimilables à des investissements relatifs à la constitution du contenu de la base de données.

Les juges admettent également que l’usage d’un moteur d’intelligence artificielle pour vérifier les données est un investissement recevable.

S’agissant des investissements relatifs à la présentation du contenu de la base de données, les classements et arborescences des bases de données ont pour objectif de faciliter leur accessibilité et leur appréhension par les internautes.

Tout éditeur de site justifiant d’investissement sur des bases de données en ligne, peut interdire les extractions et les réutilisations par des tiers.

Les investissements humains réalisés à ce titre constituent des investissements substantiels.

Ainsi, les bases de données constituent des investissements réalisés par les entreprises. Cependant, pour bénéficier d’une protection, le plus compliqué reste de documenter et de justifier ces investissements.

Pourquoi les protéger ?

Les défendre contre les aspirateurs. Aujourd’hui, les aspirateurs à données, les web scrapping ou autre crawler sont les principaux dangers des sites internet. Ces logiciels permettent d’aspirer tout ou partie des valeurs d’un site internet en un temps record. Un droit de propriété est donc un outil indispensable pour se protéger en cas d’atteinte.

L’intérêt d’être qualifié de producteur de base de données se trouve dans les outils de défense dont le producteur peut bénéficier pour protéger ses droits. Cette protection, d’une durée de 15 ans à compter des derniers investissements réalisés, est indispensable notamment à l’heure d’internet.

Ainsi, tout éditeur de site qui peut justifier d’investissement sur des bases mises en ligne (gratuitement ou via des abonnements payants) peut interdire les extractions et les réutilisations par des tiers. L’éditeur peut, dès en amont, informer les tiers de l’existence d’un droit protégeant ses actifs (dans ses CGV/ CGU) et protéger sa base avec des moyens techniques de protection.

En cas d’atteinte, être producteur de base de données permet notamment de recourir à des « armes » juridiques offensives et particulièrement efficaces comme les saisies-contrefaçons, équivalentes à des perquisitions privées et autorisées par un juge.

« Piéger sa base de données s’avère efficace, pour apporter une preuve en cas d’atteinte. »

Les valoriser. La protection de la base de données permet également de les valoriser, ce qui est essentiel pour une entreprise. En cas de cession ou d’opé- rations sur les données ou sur l’entre- prise elle-même, cela permet d’accroître la valeur de la société.

La valorisation est également essentielle en cas de contentieux. S’agissant des valorisations judiciaires, le principe est que pour fixer les dommages et intérêts en cas de contrefaçon, la juridiction prend en compte :

• Les conséquences économiques négatives (manque à gagner et perte subie par la victime) ;
• Le préjudice moral ;
• Et les bénéfices réalisés par le contre-facteur.

À cet effet, pour rapporter la preuve de l’atteinte, piéger sa base de données s’avère efficace. Ainsi, dans l’arrêt cité, les juges ont constaté que les photos des annonces litigieuses portaient le « logo LBC ». L’autre solution peut être de créer de fausses données en lien avec le producteur ou disséminer des coquilles.

La décision de la cour d’appel de Paris apporte un dernier enseignement sur ce point.

Elle rappelle un point de droit essentiel, et déjà tranché, dans le cadre de la protection, et surtout de la valorisation des bases de données. Les données doivent être légales. Ainsi, une base de données contenant des données à caractère personnel doit être conforme à la loi informatique et libertés du 6 janvier 1978. À défaut, les opérations relatives à la base de données (cession, licence, etc) ne seront pas valables. Ainsi, la valorisation de la base de données s’appuie également sur la conformité au RGPD.

Ce qu’il faut retenir :

• Se constituer des preuves des investissements sur plusieurs années (avec les budgets analytiques) ;
• Prouver et dater sa base de données via un dépôt chez un huissier. Ce dépôt peut être complété par des pièges dans la base de données, permettant au producteur de rapporter la preuve de l’at- teinte aux droits sur sa base de données. •Mettre en conformité l’activité de sa société avec le RGPD pour valoriser son actif.

 

1 Cour d’appel de Paris, Pôle 5 – Ch. 1, 2 février 2021, Entreparticuliers.com / LBC France.
2 Art L.112-3 du Code de la propriété intellectuelle
3 Art L.341-1 du CPI
4 Cour de cassation, Chambre commerciale, 25 juin 2013, pourvoi ° 12-17.037

Expertise de Maître Aurélie Bourgault, avocate au barreau de Rennes.