Couverture du journal du 26/04/2024 Le nouveau magazine

Laurence Taillandier : « Nous espérons que tout le monde puisse profiter de l’euphorie de Noël.»

Au lendemain de deux années de crise sanitaire et en plein choc de l’inflation, les boutiques de Rennes vivent une période charnière. La magie de Noël fera-t-elle effet ? Un temps fort du calendrier qui s’avère encore plus important que d’ordinaire. Laurence Taillandier, présidente du Carré Rennais, l’influente association qui fédère près de 350 commerçants du centre-ville, décortique l’enjeu du mois de décembre et nous livre aussi la feuille de route de sa présidence du « Carré », son inquiétude concernant la mutation des transports dans la ville et ses souvenirs de commerçante.

Laurence Taillandier, présidente du Carré Rennais, l’influente association qui fédère près de 350 commerçants du centre-ville de Rennes.

Laurence Taillandier, présidente du Carré Rennais, l’influente association qui fédère près de 350 commerçants du centre-ville. ©Studio Carlito

Elle court, elle court, la papesse du commerce du centre-ville. Et il faut une certaine dose d’énergie à qui veut la suivre. Ceux qui la connaissent bien l’assurent, « Laurence, elle parle vrai ». La verve de cette commerçante, issue d’une lignée d’opticiens centenaire, n’a d’égale que son élégance fantaisiste. Une fantaisie que l’on retrouve dans son magasin du 7, rue La Fayette, autant dans l’assortiment des produits que dans le merchandising, à commencer par ses vitrines parées de boules de Noël.

Noël, la grand-messe des commerçants

« Noël est une période de rêve pour tout le monde. C’est une trêve de bonheur, de joie, sans oublier ceux qui sont seuls. Pour les commerçants, c’est le moment où le centre-ville fait rêver grâce aux animations et aux décorations. » Du rêve, certes, mais de l’argent aussi. Pour certains, comme les magasins de jouets ou les chocolatiers, la période pèse jusqu’à 50% du chiffre d’affaires annuel. La moyenne oscille entre 30 et 40%. « L’enjeu de Noël est fort. Tout le monde profite de l’effet de ricochet, car il y a un flux important. Les gens font leurs cadeaux et en profitent pour aller au restaurant et faire d’autres achats. » Impossible pour les commerçants de ne pas être sur le pont. « Tout le monde est mobilisé, dans sa boutique, dimanche inclus. Il faut travailler pour exister après la période covid. » Après la crise sanitaire, l’ombre de l’inflation plane. « Nous espérons que tout le monde puisse profiter de l’euphorie de Noël. Le premier trimestre sera marqué par une redescente sans doute. Les Français vont faire les comptes. » En attendant, l’heure est à l’optimisme. « À Noël, le Carré Rennais enregistre une forte dynamique d’adhésion », se félicite la présidente de l’association de commerçants. « Nous offrons une guirlande végétale pour décorer les vitrines. Ceux qui ne sont pas adhérents demandent par le bouche-à-oreille comment elle s’obtient. » L’adhésion annuelle au Carré Rennais s’élève à 250 euros en moyenne et varie en fonction du nombre de salariés. « C’est vite rentabilisé », assure la présidente.

Présidence du Carré Rennais : proximité, créativité, notoriété

Avant d’en être la co-présidente, aux côtés de Christian Lucas de La Boutique de l’Artisan (rue d’Estrées), Laurence Taillandier se rappelle avoir été consultée par Françoise L’Hotellier, alors représentante de la CCI de Rennes. « Elle voulait créer une association qui relie les commerçants. J’ai trouvé que c’était une excellente idée. Mais je ne me suis pas impliquée au début. » Le Carré est né en janvier 1997, avec pour objectif de partager les inquiétudes et faire converger les intérêts. À présent, deux axes prioritaires. Créer des événements pour augmenter le flux, « le trafic, c’est le nerf de la guerre. » Et entretenir des relations les plus étroites possibles avec les institutions. « Nous sommes en lien constant avec les services de la métropole qui nous demandent notre avis sur tous les sujets. Nos réflexions communes ont pour but de mettre en place des outils afin d’assurer le bon fonctionnement du centre. » Cette proximité avec les pouvoirs publics, Laurence Taillandier y accorde un soin particulier de manière à « défendre la vie économique », son cheval de bataille. Pour mener ces projets, appartenir à une dynastie locale, ça pèse. « La notoriété de mon nom est gage de sérieux », concède-t-elle.

Laurence Taillandier, présidente du Carré Rennais, est à la tête de deux magasins d'optique à Rennes et à Melesse. © Studio Carlito

Laurence Taillandier, présidente du Carré Rennais, est à la tête de deux magasins d’optique à Rennes et à Melesse. © Studio Carlito

L’inquiétude de la mutation des transports

Sa préoccupation du moment : les changements dans la cartographie des transports. Dernière modification en date en raison de l’ouverture de la ligne b du métro, le tracé des lignes de bus dans le centre historique. L’axe entre la rue d’Antrain et la rue de Rohan se trouve décongestionné du passage de 600 bus quotidiens. « Le gâteau n’est pas plus gros donc les gens dépenseront autrement. » Comprendre : cette restructuration profitera à certains commerçants au détriment de ceux qui ne sont plus sur les tracés. S’ajoute l’épineuse question de la démolition du parking Vilaine. « 60% du chiffre d’affaires du centre-ville est fait par des acheteurs qui vivent extra-rocade donc s’il n’y a pas de parking relais, comment les gens vont-ils se garer? De plus, ce n’est pas le moment de faire un chantier qui va durer 2 à 4 ans pour enlever une dalle alors que la Vilaine n’a pas de berges. Cela va entraîner des conséquences difficiles à vivre pour la proximité. Qui plus est je ne vois pas la qualité esthétique », déplore Laurence Taillandier. Après avoir entendu les craintes des commerçants et de certains riverains, la municipalité a reporté de deux ans la suppression du parking de 246 places. « Ce sont quasiment des places minutes. Il y a un turnover huit fois par jour. Les gens s’en servent pour des rendez-vous ponctuels qui font vivre le centre. Ce parking fait un lien indispensable entre le Nord et le Sud de la ville. » Le parking souterrain à l’Hôtel-Dieu qui doit ouvrir début 2023 pour compenser ? « Ce ne sera pas la même population », tranche-t-elle.

Mémoires du centre-ville

Le théâtre de son premier souvenir du commerce est le centre-ville de Rennes, évidemment. « Petite fille, rue d’Orléans, il y avait une épicerie qui faisait primeur. Je leur lançais des « bravo » par la fenêtre. Il y avait une vie de village. Une dizaine de boulangeries existaient en centre-ville. Rennes était une ville de 70 000 habitants, une ville de proximité. Un temps la ville a compté beaucoup d’enseignes de chaînes et a perdu l’hyperpersonnalisation des années 1970. » Un choix politique contesté avoue-t-elle à demi-mot: « Edmond Hervé (maire de Rennes de 1977 à 2008, ndlr) a beaucoup réfléchi sur l’implantation des grandes surfaces avec les galeries marchandes. Le centre-ville était en mutation et c’était un moment difficile à passer, comme il y en a toujours ». Et d’ajouter : « Aujourd’hui, les épiceries et les commerçants indépendants, qui incarnent la création, reviennent. Je retrouve le Rennes de mon enfance. » Un regain du commerce indépendant accompagné par une évolution dans les relations entre commerçants. « J’avais connu une grande proximité entre commerçants. Nous prenions un café ensemble. Ce lien s’est perdu. Actuellement, nous retrouvons une complicité. »

Première braderie de Rennes, à la fin des années 1960. Ici, dans la rue d'Orléans. ©Archives personnelles de Laurence Taillandier.

Première braderie de Rennes, à la fin des années 1960. Ici, dans la rue d’Orléans. ©Archives personnelles de Laurence Taillandier.

La passion du commerce en héritage

La vente coule dans ses veines. « Enfant, déjà, j’aimais jouer à la marchande. Je tenais une épicerie imaginaire. » Une passion héritée de ses grands-parents. François et Marie-Louise inaugurent leur première boutique d’optique rue Victor-Hugo en 1922. Au début des années 1930, ils déménagent au 7, rue La Fayette. « Je suis dans leur maison. Je revois encore mon grand-père lire le journal dans cette pièce. Les apprentis étaient logés à l’étage », se souvient-elle attablée à son bureau. Aujourd’hui, après plus de trente ans dans son magasin, elle n’envisage pas encore de laisser la main. « Je n’ai pas fait le tour. Il y a encore des défis qui me stimulent. L’année prochaine, je lance un nouveau site internet ». Inlassable Laurence Taillandier ? Assurément. Il n’y a qu’à voir son engouement quand il s’agit de son métier. « Ce que j’aime c’est la rencontre, c’est un jeu de séduction. Il faut persuader. La relation est néanmoins sincère. L’objectif est de faire plaisir à l’autre. Il est d’abord question d’empathie. » Elle est comme ça Laurence Taillandier. Celle qui s’est un temps imaginée députée européenne ou conseillère municipale, pour « appuyer sur des décisions », a le goût des autres. Et des challenges, qu’elle mène avec exigence. Un mot qui revient quand il s’agit de la qualifier. Ses prochaines années, elle entend les consacrer à valoriser le commerce rennais. « Le monde du commerce n’avait pas de lettres de noblesse jusqu’à présent. Pourtant c’est une tranche de la vie économique. Il anime une ville. »

Le magasin de la rue La Fayette ©Archives personnelles de Laurence Taillandier.

Le magasin de la rue La Fayette à Rennes ©Archives personnelles de Laurence Taillandier.

Plaisir d’offrir, joie de recevoir (l’ordre du mérite)

Par un décret du 23 novembre, sur proposition du ministère de l’Économie, des Finances et de la souveraineté industrielle et numérique, le président de la République a nommé l’opticienne au grade de chevalier de l’ordre national du Mérite. Une reconnaissance pour ses 33 années de services et l’animation d’ateliers lors des Assises du commerce qui s’étaient tenues à Bercy en 2021. « Un honneur » pour cette figure rennaise qui précise ne pas aimer « tirer la couverture à [elle]. » Que diraient ses grands-parents de son parcours récompensé par cette décoration ? « Tu te débrouilles pas mal ».

Bonus : le questionnaire de Noël

Votre meilleur souvenir de Noël ? «  La neige à Erquy, dans notre maison de famille. Nous étions 30 bloqués à l’intérieur. »
Où célèbrerez-vous Noël ? « Dans cette fameuse maison de famille à Erquy. Nous serons une vingtaine. »
Une idée cadeau ? « Le chèque cadeau du Carré Rennais (rires). Il est valable dans plus de 140 commerces de proximité dont la liste est disponible sur le site internet de l’association. »
Un livre à offrir ? « Itinéraire d’un humaniste éclairé, d’Amin Maalouf. Je l’ai beaucoup offert, car c’est un livre rempli d’humanité, d’ouverture multiculturelle et multireligieuse. »