Couverture du journal du 26/04/2024 Le nouveau magazine

Vite, du slow !

Non, le slow n’est pas synonyme de lenteur ! Mais plutôt de bon sens. Faire mieux avec moins, pour le bien de tous, en conscience. C’est ce que trois auteurs passionnés par le sujet déclinent dans leur ouvrage « Osez le Slow en entreprise » publié aux éditions Dunod.

Delphine Poirier et Heidi Vincent

Delphine Poirier et Heidi Vincent ©Studio Carlito

L’interview se déroule à Saint-Sulpice-la-Forêt près de Rennes avec Heidi Vincent et Delphine Poirier. Leur complice Keyne Dupont, actuellement dans la Nièvre, n’a pu faire le déplacement. Une discussion à bâtons rompus s’installe très vite avec les jeunes femmes alors que nous prenons place dans l’unique commerce de la commune, Le Guibra. Une mise au point d’abord : « Le terme de slow n’est pas intuitif puisqu’il signifie littéralement « lent » », concède Heidi Vincent « mais il ne s’agit pas de faire l’éloge de la lenteur ! Le slow c’est faire les choses dans l’ordre, avec réflexion, bon sens, sans précipitation et en tenant compte de toutes les parties prenantes. C’est participer au déploiement de modèles durables contribuant au bien commun ». Alors pourquoi diantre ce terme.

De la slow food à la slow entreprise

Le terme slow est apparu en Italie au milieu des années 80, dans l’univers de la gastronomie. C’est en réaction à l’implantation de MacDo dans la ville aux 7 collines qu’un groupe de gourmets mené par Carlo Petrini fonde le mouvement contestataire « slow food » en opposition au « fast-food ». « Bien sûr, il ne s’agit pas de manger plus lentement ! Prendre 3 heures pour ingurgiter de la malbouffe ne changera rien » s’amuse Delphine Poirier. « Le manifeste « slow food » s’appuie sur 3 piliers : le bon, qui est possible par des méthodes de production qui n’altèrent pas le caractère naturel des produits, le propre avec le respect de l’écosystème et de la biodiversité, et le juste en référence aux conditions de travail respectueuses, mais aussi à des valeurs connexes telles que la solidarité et le respect. » Une philosophie qui s’étend rapidement à d’autres secteurs. Aujourd’hui on parle de « Slow life », « slow travel », « slow cosmétic », « slow fashion », « slow education »… et bien sûr de « slow entreprise ».

Le slow ne doit pas être pris comme une mode ou de l’opportunisme

Une énième mode marketing ?

À l’image de monsieur Jourdain, de nombreuses entreprises ont depuis longtemps adopté une démarche slow sans le savoir : « Le slow en entreprise n’a pas été théorisé. Pour l’ouvrage, nous sommes allés à la rencontre d’un grand nombre de dirigeants qui à notre sens étaient déjà dans cette démarche. Ils ne parlent pas de slow, mais utilisent des mots comme qualité, respect, bon sens, humilité. » Pour Olivier Clanchin, patron de la société bretonne Triballat Noyal, interrogé dans l’ouvrage, « Le slow ne doit pas être pris comme une mode ou de l’opportunisme (…) il est primordial qu’il y ait une logique d’alliance entre le capital, la gouvernance, le métier et son écosystème. » Finalement, le slow invite à revisiter son modèle d’entreprise, prendre de la hauteur, se poser des questions comme « pour qui et avec qui on fait, quel impact pour le territoire, les parties prenantes, l’environnement ». « Le bouquin n’est pas un recueil de bonnes pratiques, il se situe plus dans l’accompagnement pour la transformation vers le mieux. Il apporte des témoignages, souligne l’état d’esprit nécessaire et offre de nombreux outils », précise Delphine Poirier.

L’idée avec le slow c’est de s’interroger sur ce que vous apportez à l’écosystème

Prendre en compte l’écosystème

« Dans le livre, nous avons cherché à outiller la démarche. Il fallait offrir un point de départ et un cadre de réflexion pour aider à structurer la transformation des entreprises », détaille Heidi Vincent. Des outils couvrant 4 domaines : le management de projet, le design de produits ou de services, le marketing et le contenu. « Il y a toute une partie sur le design thinking. Keyne Dupont, qui est spécialiste du sujet, s’est interrogé avec moi sur la manière de réunir toutes les parties prenantes autour d’un projet : utilisateurs, territoire, partenaires, employés, fournisseurs, la planète au sens large. Aujourd’hui, on design un produit ou un service uniquement pour le client. L’idée avec le slow c’est de s’interroger aussi sur ce que vous apportez à l’écosystème, en termes de développement durable, économique, de bien-être des salariés, de formation… »

© Studio Carlito

Moins mais mieux, le virage du slow

Pour investir la notion de qualité, d’utilité, de durabilité, Delphine Poirier, experte en rédaction de contenu, offre des clés de réflexion pour lutter contre l’infobésité qui « pollue la planète et les esprits ». « Je rencontre encore trop souvent des entreprises qui veulent répondre aux injonctions du moment : publier beaucoup, souvent, sur tel ou tel mot-clé… moi j’insiste pour que chaque production soit utile, fouillée, qu’elle apporte une vraie valeur aux lecteurs. Pour cela, il faut se poser les bonnes questions et ne pas avoir peur de faire moins… mais mieux. » Une méthode de travail adoptée par Julia Faure, fondatrice de la marque de vêtement Loom, qui témoigne dans l’ouvrage sur le temps passé sur chaque article. Des articles uniquement publiés quand il y a de la matière et un intérêt à le faire « Écrire nous force à creuser des sujets, et par là même à affiner notre marque, nos engagements, notre stratégie en général (…) pour nous un bon article suppose forcément plusieurs heures de travail, plusieurs regards et la capacité à s’écouter les uns les autres. »

Ce sont les entreprises qui peuvent changer le monde

Cela commence dès le business model

« S’inscrire dans une démarche slow se fait dès le business model » insiste Heidi Vincent. « Alors oui prendre le temps de la réflexion, inscrire son action dans du long terme ne fera pas forcément gagner plus d’argent dans les 6 mois. Mais dans 5 ans, l’entreprise sera encore là. On parle de R.O.N.I. (le risque de ne pas investir ndlr) et c’est bien le sujet. Une entreprise peut connaître une forte croissance et puis patatras, à un moment la loi impose des changements : limite des émissions de CO2 , devoir de recycler les produits… il y a ceux qui décident d’attendre ces injonctions de l’État et d’autres qui anticipent en investissant tout de suite dans des pratiques vertueuses. Pour reprendre l’exemple de Triballat, leader dans le bio, il lui a fallu du temps pour trouver les meilleurs fournisseurs, construire des relations qui fonctionnent… le temps est nécessaire pour construire des entreprises durables. »

La responsabilité sociétale des entreprises

Pour Heidi Vincent, l’entreprise a un rôle bien plus vaste que la simple rentabilité. « C’est un super modèle, elles peuvent changer le monde, elles ont la méthode pour le faire. Le mot RSE est ultra tendance, mais en fait l’entreprise a toujours eu une responsabilité sociétale. Après, est-ce qu’elle assume cette responsabilité, ou pas, c’est une autre question ! La religion est en
décroissance, les syndicats aussi, il y a un rejet de l’État. L’entreprise, c’est l’avenir et évidemment qu’elle est responsable, elle doit l’assumer et être valorisée pour cela. Aujourd’hui on parle d’entreprises à mission, mais en fait toutes les entreprises sont « à mission » qu’elles le veuillent ou non. Fournir un salaire, donner du sens, permettre de s’épanouir et d’avoir des interactions sociales, de se sentir utile, de créer quelque chose. Oui, c’est une sacrée mission à l’échelle humaine! »

Les auteurs

Heidi Vincent vit à Rennes. Elle accompagne les entreprises dans la définition de leur stratégie et la synchronisation opérationnelle. Elle s’appuie sur 15 ans d’expérience au sein de grands groupes comme de PME en Europe, en Chine et aux États-Unis.

Delphine Poirier vit à Rennes. Elle est consultante et rédactrice de contenu/copywriter. Elle conseille et accompagne les entreprises dans la conception et la rédaction de leurs contenus.

Keyne Dupont est ingénieur designer « caméléon » en innovation produit, numérique, service, espace et business. Il accompagne de grandes entreprises (industrie, finance, transport, santé…) dans leurs stratégies de transformation, d’innovation et leurs nouveaux modèles de collaboration.