Couverture du journal du 26/04/2024 Le nouveau magazine

[Grand Format]. Nouveau capitaine à la barre de la Maison Tirot

Basée à Romagné, près de Fougères, la Maison Tirot (77 ans d’existence) est le dernier atelier en France à fabriquer des bateaux-jouets en bois. Elle était invitée à l’Élysée début juillet, à l’occasion du salon Fabriqué en France. Près de 15 000 navires sortent chaque année de l’atelier bretillien, et l’objectif est de doubler la production d’ici 3 ans, sous l’impulsion du repreneur et nouveau dirigeant, Augustin Hubert.

Augustin Hubert ©Studio Carlito

Augustin Hubert ©Studio Carlito

La Maison Tirot augmente la voilure

« Tout est fait à la main chez nous. » Augustin Hubert donne le ton. Créée en 1946, la Maison Tirot, entreprise familiale de construction de bateaux en bois, a vu passer 3 générations, avant qu’Augustin Hubert ne reprenne le flambeau il y a deux ans. « Je ne suis pas un Tirot, mais je fais perdurer le concept, en apportant quelques évolutions. »
La première étape était de rationaliser. « Quand je suis arrivé, nous fabriquions 21 modèles de bateaux différents. J’ai réduit à 6 modèles. Nous produisons 12 à 15 000 bateaux par an, et nous souhaitons doubler notre production en 3 ans. »  Notamment en modernisant le processus.

©Studio Carlito

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Il transfère aussi le site de production de la maison familiale Tirot à un entrepôt distant de quelques kilomètres, « pour que les 5 salariés n’aient pas à déménager ». Un atelier divisé en trois : l’espace « poussiéreux » où le bois est travaillé, l’espace peinture, et la mezzanine pour les finitions. Il crée aussi le site internet et un compte Instagram… et le chiffre d’affaires s’en ressent. Il augmente, pour atteindre les 200 000 euros en 2022. « C’est assez magique. Nous avons des clients sans faire de communication ou de promotion. » Un marché de niche, composé à ce jour principalement de passionnés. La Maison Tirot compte 250 revendeurs en France et à l’étranger (Suisse, Belgique, Portugal, Grèce, États-Unis…).

©Studio Carlito

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Comme beaucoup d’entrepreneurs, Augustin Hubert est multicasquettes et, au besoin autodidacte. Il vire de bord il y a deux ans, quittant Paris et son écosystème digital pour renouer avec ses origines bretonnes et entrer dans le monde de l’artisanat. « J’ai tout aimé dans cette reprise d’entreprise : le travail du bois et l’univers de la voile, qui sont deux passions, avec cette dimension écologique, et les jouets car j’ai des enfants en bas âge. »

Fabriqué en France

Deux gammes de bateaux sont fabriquées chez Maison Tirot : le petit jouet de bain et les voiliers destinés aux bassins. trente opérations différentes sont nécessaires pour un petit bateau de bain et presque 80 pour les grands modèles. Le Saint-Germain est le produit le plus complexe, avec pas moins de 22 nœuds pour l’installation de la voile. Il fut présenté au salon du Fabriqué en France, début juillet, à l’invitation de l’Élysée. « Nous ne pensions pas être choisis. Cela rend hommage à notre volonté de garder une conception française, et même principalement bretonne. Faire perdurer ces jouets vintage, et les remettre au goût du jour. » Maison Tirot est la dernière entreprise en France à fabriquer des bateaux-jouets en bois. « Au salon, on nous a dit que 3 Français sur 4 se disent prêts à préférer le made in France. Pourtant, aujourd’hui tout le monde achète encore du made in China. »

©Studio Carlito

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Du hêtre des forêts bretonnes

Le bois provient des forêts de Rennes et de Fougères, « du hêtre, qui a l’avantage de ne pas faire d’échardes, pratique pour des jouets destinés aux enfants ». Un bois dense, ce qui est un inconvénient pour un bateau qui doit flotter, et une ressource qui pourrait manquer à l’avenir. Il faut aussi composer avec les nœuds du bois qui peuvent empêcher la flottaison, et qu’Augustin est forcé de retravailler, « près d’1/3 de nos bateaux passe par la case reprise. Nous allons devoir apprendre à travailler de nouvelles essences de bois, plus légères pour arriver à faire des bateaux plus gros, peut-être plus fins. »
Quant aux voiles, elles sont cousues par un ESAT voisin à Saint-Sauveur-des-Landes. Les tourillons viennent d’une menuiserie en Loire-Atlantique, et les pieds de mâts en laitons de Picardie.

12 000 à 15 000 bateaux sont fabriqués par an

Faire évoluer la production

L’atelier comptait à son arrivée un lot d’inconvénients : des difficultés à être très productifs vu la technicité des produits et des ruptures de stock permanentes. « Il faut commander le bois plus d’un an à l’avance, cela laisse peu de latitudes aux commandes supplémentaires de nos clients. » Augustin Hubert n’attend qu’une chose, appuyer sur le bouton du commercial. « C’est parfois frustrant de voir que l’on a de supers échos sur nos produits, mais que nous sommes tenus par la gestion de la production en cours. »

©Studio Carlito

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Quant à la productivité, de nouveaux outils intègrent au fur et à mesure l’atelier. Jusqu’à récemment, l’équipe utilisait encore les machines d’origine, parfois vieilles de plus 50 ans : « Des tours à sabot, assez dangereux, où l’outil ne tourne pas très vite et enlève beaucoup de matière. » Idem pour la machine à poncer, créée de toute pièce par Francis Tirot. Pour pallier ces difficultés, l’entrepreneur a récemment fait l’acquisition d’une CNC (Computer Numerical Control) 7 axes, pour un budget de 200 000 euros. Un renouveau nécessaire et une avancée considérable pour cet atelier. « Elle me permet de travailler avec d’autres types de bois. J’ai pu réaliser des bateaux beaucoup plus légers et réfléchir à d’autres modèles. » Cette fabrication numérique garantit la sécurité des équipes et permet une précision au dixième de millimètre près. Avec un objectif : fabriquer de nouveaux produits en plus grande quantité, tout en gardant le savoir-faire et éviter le gâchis de matière. « Je l’ai reçu il y a un mois et je suis encore dans la phase de test. Je découvre de nouveaux métiers : modélisation 3D, programmation de centre d’usinage… ». Tout cela en respectant les normes en vigueur dans le milieu du jouet (NF EN 71-3). « Nous faisons analyser nos bateaux dans des laboratoires dès que nous créons un nouveau produit. »

250 revendeurs, dont 20 à l’étranger

77 ans de pratiques vertueuses

Écolo dans l’âme, Augustin Hubert met tout en œuvre pour limiter le gaspillage. « Mine de rien, si en une année on sort 15 sacs poubelles de l’atelier, c’est un grand maximum. Nos déchets principaux sont les copeaux de bois, brûlés pour partie dans un poêle l’hiver pour se chauffer, le reste est donné à un éleveur pour du paillage. »

©Studio Carlito

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Une pratique vertueuse qui perdure depuis 77 ans. « À l’époque, la matière était rare, donc on en prenait soin. Nous continuons à faire cela aujourd’hui. » Chacun des produits est d’ailleurs soumis à l’écotaxe, « c’est frustrant pour moi de la payer, car mes produits sont rarement recyclés : soit ils sont retrouvés dans un vide-grenier 15 ans plus tard, soit ils sont réparés et remis sur le marché. »

Demain : un magasin d’usine, des collabs

Une partie de l’entrepôt dans lequel Augustin Hubert a investi est destinée à devenir un magasin d’usine. « Nous avons pas mal de demandes de visites de l’atelier, cela permettra d’échanger et avoir un retour direct sur nos produits. Toutes les semaines, je réponds à des personnes qui ont retrouvé d’anciens voiliers et qui veulent changer les voiles ou les remettre à neuf. » Les packagings sont aussi récents chez Maison Tirot, développés avec une entreprise locale de Saint-Brieuc. « L’idée c’est aussi de faire des collaborations pour nos packagings. Récemment nous avons fait une collaboration avec une jeune maison d’édition nommée Marguerette qui a créé un livre dont le héros est un petit bonhomme qui joue avec notre bateau. Je compte remettre en place ce genre de partenariats très vite. »
Pour accompagner ces ambitions, l’équipe a repensé les bateaux (voiles, coutures, nœuds, couleurs…). Des « détails » qui font toute la différence et qui justifient l’augmentation du prix. « J’aime bien me définir comme étant un fabricant de jouets en bois « premium ». Il y a un côté « transmission » dans nos produits que j’apprécie particulièrement. »

L'équipe de Maison Tirot ©Studio Carlito

L’équipe de Maison Tirot ©Studio Carlito

BONUS
Qu’écoutez-vous en ce moment ?
Plutôt des podcasts, et particulièrement ceux qui portent sur des sujets scientifiques, on apprend beaucoup !
Quel est votre endroit favori en Bretagne, où vous aimez vous ressourcer ?
Chez mes parents, à Saint-Cast-le-Guildo.
Une personne qui vous inspire ?
Le navigateur et écrivain Bernard Moitessier, quelqu’un qui est allé au bout de ses rêves et qui en fait rêver beaucoup au passage.
Une anecdote ?
Petit, je jouais déjà avec un bateau Tirot dans mon bain. Aujourd’hui, ce sont mes enfants qui jouent avec, la boucle est bouclée.

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