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Patrick Arnal, Memento Temporï : ce faussaire qui fait rayonner l’art

Patrick Arnal, fondateur de Memento Temporï, passe son temps entouré de chefs-d’œuvre. Dans son atelier de Bazouges-la-Pérouse, l’artisan façonne des reproductions en terre cuite de pièces archéologiques pour le compte de prestigieux musées tels que le Louvre ou le British Museum, mais également pour des collectionneurs et des artistes contemporains. Rencontre avec un artisan hors du commun, qui se frotte à ce que l’art fait de plus beau et à ce que la gestion d’une entreprise d’artisanat a de complexe.

Patrick Arnal ©Studio Carlito

La mine renfrognée, elle accueille le visiteur. La légendaire gargouille de la Stryge, ornementation de Notre-Dame de Paris, a été reproduite par Patrick Arnal et son équipe par centaines. Ces chimères en modèles réduits rejoindront la boutique de la cathédrale à sa réouverture.

©Studio Carlito

Le catalogue de Memento Temporï comprend 650 références d’œuvres archéologiques de toutes les civilisations. La crise sanitaire a durement frappé l’atelier qui retrouve peu à peu son rythme de croisière. Entre 7000 et 8000 pièces sont vendues chaque année, pour un chiffre d’affaires avoisinant les 300 000 euros en 2023. Le double de celui de 2022. En l’occurrence, une grosse commande de la Réunion des musées nationaux (RMN-GP) est venue gonfler le carnet de commandes. Les prix de vente finaux vont de 15 à 2 200 euros. 

Les boutiques de musées : 90% de l’activité

©Studio Carlito

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90% de l’activité est réalisé avec les opérateurs et exploitants de musées pour les boutiques. En tête de file, la Réunion des musées nationaux (RMNGP), les Ateliers du Louvre, le Centre des monuments historiques… Des clients qui valent à Memento TemporÏ des contrats qui font rêver : la reproduction de la statue représentant la Sybille Agrippa du monastère royal de Brou ou des figurines d’hippopotame datant de l’Égypte ancienne, visibles au Louvre. D’autres collaborations sont en préparation, « avec le musée Cernuschi et le musée Guimet à Paris, et des contacts ont été pris avec le musée des beaux-arts de Rennes », livre Patrick Arnal.
À la marge, quelques commandes de collectionneurs particuliers, d’artistes contemporains et d’entreprises de céramique, un potier à Anduze ou bien Virebent, un atelier de porcelaine dans le Lot.

Artisans d’art sans frontière

Le savoir-faire de Patrick Arnal séduit aussi les musées internationaux. En Europe : le British Museum à Londres, le musée égyptologique de Turin, le Neues Museum de Berlin ou encore le musée national des Antiquités, près d’Amsterdam, à Leiden, qui a mis au défi les artisans bretilliens de façonner la sculpture égyptienne de Maya et Merit, la plus grande qu’ils n’aient jamais réalisée. Outre-Atlantique, le musée Paul Getty à Los Angeles et le musée des arts asiatiques de San Francisco achètent des reproductions de pièces de leur collection.
Les contacts se nouent au salon Museum Connections à Paris, consacré aux secteurs de la culture et du patrimoine, ou par de la prospection directe. 

20 ans de Memento Temporï

©Studio Carlito

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Pour répondre à la demande, l’entreprise compte six personnes. Il faut remonter vingt ans en arrière pour revenir à la genèse du projet. Patrick Arnal, baigné de sa passion pour l’histoire et l’Égypte, se met à la sculpture et croise la route d’une artiste qui a, entre autres, travaillé avec le Metropolitan Museum of Art de New York. Partant à la retraite, « elle m’a transmis son savoir-faire et confié ses moules et son matériel. » En parallèle, Patrick Arnal rencontre Denis Hanifi, devenu son associé. L’affaire démarre en 2005, dans un atelier de 100 m2 à Bazouges-la Pérouse. La crise de 2008 coupe les ailes au projet, qui reprend des couleurs en 2011 grâce à une commande du musée Maillol et du British Museum. Fin 2019, Memento Temporï s’installe dans un nouvel atelier, plus grand et construit à partir de plans adaptés à l’activité. 

Un savoir-faire millénaire

L’artisan fabrique des moules en plâtre pour dupliquer les reproductions. Et même le savoir-faire est antique. « La méthode de fabrication des moules date de l’époque romaine, explique Patrick Arnal. Auparavant, le plâtre était seulement utilisé comme enduit. Aujourd’hui, pas un seul matériau moderne n’offre la même résistance et finesse que le plâtre. Avec un moule, il est possible de faire 50 à 100 reproductions. » Les techniques de fabrication sont un véritable creuset d’histoire et de science. La maîtrise des matériaux, des proportions, de la cuisson, de la pose des émaux ressemble davantage à de la physique-chimie qu’à de l’art.
Patrick Arnal jongle également avec des procédés modernes puisqu’il s’est doté d’une imprimante 3D haute résolution pour fabriquer des maîtres-modèles et certains moules. Un investissement de 70 000 euros,  aidé par la Région et le fonds Industrie du futur. 

©Studio Carlito

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La difficulté d’être artisan d’art

Patrick Arnal l’affirme, l’artisanat d’art peut être structurant sur le plan économique local. « Nous recevons peu de soutien et manquons parfois de reconnaissance. Pourtant, nous sommes source d’emplois, de développement et de richesse. Sans parler du rayonnement de l’artisanat d’art français à l’étranger. » 

 

Bonus 

Le film qui vous a fait aimer l’histoire ? « La Terre des Pharaons, un péplum réalisé par Howard Hawks. »

Votre œuvre d’art favorite ? « Le fragment de visage en jaspe jaune, exposé au Metropolitan de New York. La finesse de la bouche ourlée est exceptionnelle. Je dirais aussi la statue d’Akhénaton au Louvre. Dans les collections Memento Temporï, la Femme bavarde Amlash, qui fait penser aux femmes méditerranéennes, est absolument fabuleuse. » 

Votre musée préféré? « Le musée du Caire pour son histoire, son côté suranné du XIXe siècle, il est dans son jus. » 

L’époque à laquelle vous auriez aimé vivre ? « L’époque romaine, qui marque l’apparition de la société. On peut d’ailleurs faire des parallèles entre la société romaine et la nôtre. Le poids de la politique, qui disparaît avec la fin de l’empire. C’est la première civilisation où il est question de faire des réformes. Sur le plan des mœurs, il y a d’abord un vent très libéral puis la situation se durcit sous Auguste. »

Le personnage historique que vous auriez voulu rencontrer ? « Aménophis III. On connaît beaucoup Akhénaton pour la révolution monothéiste, alors que le mouvement avait déjà commencé sous son père, Aménophis III. Il a été un grand chef d’État, appuyé d’une administration puissante. Il a diminué le poids des temples qui possédaient de nombreuses terres. Son règne, plutôt empreint de paix et prospérité, marque l’apothéose de l’art égyptien. C’est à cette période que les premiers supports publicitaires apparaissent : les scarabées. Gravés de dates et faits marquants du règne, des milliers de scarabées vont circuler à travers le pays. »