Dans quel univers avez-vous baigné ?
Benoît Quéro : Un hasard de la vie a fait que j’ai commencé dans une période de cumul de petits boulots : la compagnie de théâtre Le Point du Jour à Rennes m’a demandé de construire un décor. Suite à cela, ils m’ont confié l’ensemble de la technique pour une tournée au Québec. J’ai également parcouru la Belgique et la France avec d’autres troupes, découvrant un univers incroyable et l’impact de la lumière sur un décor… C’était magique !
La passion de la lumière s’est aussi l’histoire d’une rencontre ?
Avant de monter Spectaculaires, je réunissais des collègues de différentes structures artistiques pour discuter du métier, ils me donnaient leurs recettes en buvant des coups.. c’était consubstantiel ! (rires). J’ai aussi eu la chance de fréquenter Henri Alekan [ndlr : considéré comme le plus grand directeur de la photographie dans le cinéma du XXème siècle]. Un jour, il nous a proposé de passer une journée au musée des beaux arts à Nantes pour observer la lumière dans les tableaux. Sur le moment, cela a été barbant mais quelque temps après ça s’est diffusé comme étant l’essentiel. Faire de la lumière, c’est d’abord une école du regard.
Quelle est la genèse des Allumeurs d’Images ?
L’entreprise Spectaculaires a été fondée en 1987. J’avais déjà la double idée d’être concepteur-créateur de spectacles et d’événements mais d’être aussi dans la technique, afin d’avoir des propositions singulières. Nous souhaitions proposer des projets presque clef en main dont nous pouvions gérer l’ensemble du process. Très rapidement, deux personnes se sont jointes à moi, et avec presque une embauche chaque année, aujourd’hui l’entreprise réunit 33 permanents, et sollicite près de 180 intermittents.
Les années 80 étaient également une époque propice, les collectivités souhaitent sublimer le patrimoine français !
Effectivement ! Les collectivités se sont rendues compte qu’avoir du patrimoine et s’en préoccuper était politiquement intéressant. Le patrimoine est devenu un vecteur de développement et d’attractivité. Nous avons surfé sur la vague, transposé les techniques qui se trouvaient au sein des théâtres pour les mettre au service de la valorisation du patrimoine, tout en posant un regard nouveau sur ces monuments.
Marche à l’étoile, même si elle est trop haute
À quel moment vous êtes-vous dit que ce concept allait marcher ?
Il ne faut pas avoir de doutes ! Au début, on entreprend avec beaucoup de lacunes. Mais on apprend tous les jours. J’avance avec une phrase qui m’accompagne depuis longtemps, qui a été écrite par Alexandra David-Néel [chanteuse d’Opéra, journaliste, écrivaine, exploratrice du XXème siècle, ndlr] : « Marche à l’étoile, même si elle est trop haute ».
Depuis 1987, et après 35 ans, le succès est toujours au rendez-vous !
Nous avons empilé les années, les projets, les découvertes, pour nous réinventer continuellement. Spectaculaires doit s’adapter à l’époque, aux attentes, aux envies… Il faut s’accorder au monde qui nous entoure. Nous sommes en veille constante sur les influences du monde. Et en 2018, nous repositionnons le projet général en rachetant la part de l’actionnaire principal et remettre l’ensemble de la gouvernance en Bretagne, à Rennes.
Un nouveau souffle conduit également par Ulrich Brunet, le directeur général de Spectaculaires
Nous nous sommes rencontrés lors d’un projet au Vietnam, il était encore agent d’artistes. Fin 2019, il prend la direction générale de Spectaculaires. Ensemble, nous continuons à être ambitieux malgré l’apparition du Covid. Réinventer toujours, tout en se demandant ce que nous apportions à la société, et la crise sanitaire nous a confortés dans l’idée que le monde avait besoin de rêver, d’être ré-enchanter. Nous avons réorganisé toute l’entreprise, infléchi notre politique d’investissement matériel, avec une tonalité éco-performante réunissant les fournisseurs nationaux. Avec Ulrich, nous avons une belle complicité pour redessiner les contours de demain, l’objectif est de continuer dans l’ADN de Spectaculaires, avoir encore de très belles et grandes histoires à raconter.
Comment sont créées ces histoires ?
L’idée est de corréler la musique et l’image, et d’une manière plus générale l’approche artistique. Avant de faire un projet, il faut s’imprégner de l’histoire, puis aiguiser son regard avec l’idée de faire une mise en lumière. Spectaculaires s’est nourri de l’apport de salariés venant de l’écriture, du théâtre, de la littérature… Chacun vient d’un art particulier pour construire, ensemble, un regard différent et nouveau avec une profondeur artistique. Nous ne nous interdisons aucune connerie, même les plus grosses ! (rires). Nous devons parler dans le langage le plus universel possible. Il faut que nous travaillions de manière indépendante et libre pour en faire un produit artistique.
La musique a aussi une place importante dans vos spectacles ?
L’image sonore peut être faite de musique mais aussi de bruits concrets. Nous n’avons pas toujours les moyens, ni le temps, de faire des compositions originales. Nous souhaiterions développer plus de projets immersifs comme le projet que nous portons actuellement sur les grottes Chauvet en Ardèche avec un spectacle immersif à 360°, autour de ce qui est considéré comme la première œuvre d’art de l’humanité.
La technologie passant, y a-t-il eu une évolution dans la manière de travailler ?
Notre métier est jeune, mais les techniques se sont beaucoup développées : nous avons d’abord travaillé avec des montages diaporamas. Ensuite, nous avons utilisé des boîtes à lumière devant lesquelles nous mettions de grandes images. Un peu après les années 2000 ce fut l’ère de la vidéo, aujourd’hui transformée en vidéo Led laser notamment. Il faut s’adapter ! Cette technologie permet évidemment d’avoir un travail de plus en plus qualitatif, en revanche les coûts ont été multipliés par deux à cause du transport, du prix de matériel et de la logistique.
Vous vous exportez également à l’international puisque vous y consacrez 30% de votre travail.
Nous n’avons pas décidé de nous exporter, mais nous étions ouverts à tout. L’idée de courir le monde nous intéresse, tout comme l’envie de se confronter à d’autres publics. C’est un métier de rencontres, de lieux, de personnes, d’équipes et d’idées. C’est une école d’étonnement incroyable. Mais nous sommes très heureux, ici ! En Bretagne avec un terreau riche en terme artistique, de compétences, mais aussi de marchés.
Mot du directeur général
Après 35 ans d’aventures multiples, de paris fous, de relocalisation de la gouvernance en Bretagne et de crise sanitaire particulièrement impactante pour le secteur …c’est le temps du nouvel élan. Si Ulrich Brunet, directeur général, souhaite continuer à marier technicité et créativité, « l’envie est de poursuivre à alimenter la machine à rêves, tout en y mélangeant les cultures, les rencontres, pour nourrir notre vivier d’idées et lancer de nouvelles créations ! »
Moment inoubliable
Les 250 ans de l’Académie de France à Rome dans la Villa de Médicis « Nous sommes allés célébrer les 250 ans de l’Académie de France à Rome dans la Villa Médicis se rappelle Benoît Quéro. Une cérémonie qui était suivie d’un bal romain. Cela a été un moment assez exceptionnel ! Nous pouvions voir la Basilique Saint-Pierre de Rome depuis les jardins. C’est dans des moments comme celui-là que nous nous sentons privilégiés, C’est un métier où nous vivons de l’extrême. Nous avons une flopée de souvenirs, d’impressions, d’émotions. Dans le monde que nous traversons aujourd’hui, j’ai vraiment le sentiment que ce métier est utile et qu’il va l’être encore pendant longtemps ! »