Couverture du journal du 26/04/2024 Le nouveau magazine

The Moon Venture : la piste aux étoiles

Depuis 2018, Matthieu Jarry embarque dans sa fusée des investisseurs taillés pour mettre sur orbite des startups prometteuses. Les jeunes pousses sont soigneusement sélectionnées par les équipes de The Moon Venture et présentées à de grands dirigeants et entrepreneurs à succès, prêts à apporter capital, expérience, expertises et réseaux. La société rennaise a déjà investi 25 millions d'euros en 4 ans, dont 10 millions en 2022.

Matthieu Jarry a fondé The Moon Venture en 2018.

Matthieu Jarry a fondé The Moon Venture en 2018. ©studiocarlito-7jours

130 investisseurs engagés à « vivre une expérience »

L’épopée de The Moon Venture commence en 2018. Ancien gestionnaire de fortune à Paris, Matthieu Jarry décide de changer de vie, cette année-là. « Pendant 13 ans, j’ai accompagné des clients détenteurs d’importants patrimoines. J’ai pu constater, au fil de mes conversations avec eux, leur envie de donner du temps à titre personnel pour favoriser le succès des entreprises dans lesquelles ils s’engageaient. Problème, il n’y avait pas vraiment de structures pour les accueillir dans cet élan. Alors, j’ai décidé de me jeter à l’eau, car cela faisait sens pour moi. J’ai réuni une vingtaine d’investisseurs dans une communauté « Le Club Des Prophètes ». Cela a marqué le début de l’histoire. L’idée, au-delà du simple apport financier, étant de vivre une expérience, une véritable aventure aux côtés des jeunes entrepreneurs. » Aujourd’hui, 130 « Moon Riders », désireux de s’investir financièrement et humainement auprès des startups, composent la communauté rebaptisée The Moon Venture.

Guerlain, Hennessy, Talensoft, Louboutin…

Les investisseurs présents dans ce club présentent de beaux CV. Pour faire partie de l’équipage, ils ont dû être cooptés. On y croise Laurent Boillot, ancien CEO de Guerlain, aujourd’hui à la tête de  Hennessy (Cognac haut de gamme de la maison LVMH et l’un des trois plus gros sponsors de la NBA), Jean-Stéphane Arcis, fondateur de Talensoft, société rachetée plusieurs centaines de millions d’euros il y quelques mois par CEGID,  Bruno Witvoet qui a dirigé Unilever Afrique & France, ou encore Alexis Mourot, CEO de Louboutin. Des investisseurs rennais aussi, comme Antoine Krier à l’origine d’Ubiflow ou encore Eric Destobbeleir, fondateur de Bemove, récemment racheté par Le Figaro.

Un ticket d’entrée à 20 000 euros

« Nous investissons dans du non-côté, du speed amorçage, précise Matthieu Jarry. Nous sommes surtout présents sur des premières levées qui sont autour de 500 000 / 600 000 euros. Nos investisseurs sont rassemblés dans une holding, ils ont bien sûr le choix de participer ou non aux levées de fonds sur lesquelles on s’engage. Le ticket minimum est de 20 000 euros. » Chez The Moon Venture, les profils d’investisseurs sont assez variés. « Certains vont attendre l’aventure de l’année et investir une somme importante quand d’autres vont préférer multiplier les projets. Le plus important pour nous, c’est de voir se positionner des investisseurs qui connaissent bien le secteur et comprennent ce que l’activité de la startup, pourquoi et comment l’aider. »

 « Nous rencontrons 1000 startups par an sur toute la France »

Dénicheur de talents

Pour investir dans les entreprises qui feront l’économie de demain, il faut d’abord les dénicher, renifler leur potentiel. Exercice souvent périlleux, où beaucoup se cassent les dents. Le casting se doit d’être sérieux, exécuté par de fins limiers. Matthieu Jarry s’est entouré d’une équipe d’experts pour présélectionner les startups présentées aux investisseurs. « J’ai structuré l’activité avec un pôle analyse et sourcing. Les équipes sont chargées de repérer les futures pépites. Nous rencontrons 1000 startups par an sur toute la France. La moitié d’entre elles arrive par le bouche-à-oreille, 30% sont celles que nous sommes allés chercher avec notre bâton de pèlerin, les autres nous ont connus par le biais d’animations ou de salons. »

Mise sur orbite

Un premier rendez-vous est donné aux startups sélectionnées, c’est l’heure du pitch . « Le ‘non’ est formulé très vite le cas échéant pour que les startups ne perdent pas de temps», souligne Matthieu Jarry. Pour celles qui passent la première étape, les équipes poursuivent les investigations avec l’étude du business plan, des références clients. L’enjeu est de comprendre comment est perçu le produit ou la solution de l’entreprise candidate à la levée de fonds. « Nous intervenons en amorçage , c’est-à-dire au début de la vie de la startup, mais aussi en série A, lorsqu’elle a déjà rencontré son marché, propose un produit ou un service qui fonctionne, génère ses premiers revenus, et souhaite passer à la vitesse supérieure. L’objectif est alors de rendre scalable le business et de s’orienter vers une belle rentabilité. On dit généralement qu’au bout de 5 ans, après cette étape, 7 startups sur 10 n’existent plus. Notre métier, c’est de réduire le risque. »

 

Le petit lexique des investisseurs

Venture capital ou capital risque : Le capital risque est une prise de participation par un ou des investisseurs au capital de sociétés non cotées.
Levée de fonds : seed, serie A, serie B….
En processus de levée de fonds, les séries ou tours de table correspondent à une étape de vie de l’entreprise ou au nombre de levées de fonds déjà réalisées. Les entrepreneurs commencent par des lever des fonds en amorçage (seed), puis en série A, série B etc…

95% des dossiers sont écartés

Lorsqu’une startup est retenue, les équipes de The Moon Venture s’entretiennent avec un investisseur du club aguerri au marché attaqué par la jeune pousse « C’est important pour nous d’avoir son avis, sa compréhension du business model développé par la société. On focus également fortement sur le profil des fondateurs. Il faut qu’il y ait un déclic, qu’ils nous donnent envie de vivre l’aventure avec eux .»  À ce stade 95% des dossiers sont écartés. Pour la startup encore en lice vient la présentation à un comité d’experts composé de 3 ou 4 investisseurs potentiels. Si la majorité décide d’investir, la startup peut souffler, elle vient de réussir brillamment tous les tests. Elle est alors présentée à toute la communauté. « Si on investit, on veut être en lead sur le tour de table, car on ne peut fonctionner que si on a un poids important dans la levée de fonds. »

4 millions d’euros pour Axonaut

Parmi les startups propulsées, Axonaut figure parmi les belles réussites du club. Matthieu Jarry est d’ailleurs intarissable sur le sujet, lui qui a tout de suite eu un coup de cœur pour les deux fondateurs. « L’entreprise commercialise un outil de gestion pour les TPE. Lors de leur premier road show, ils se sont entendus dire que cela ne fonctionnerait pas, que la concurrence était trop forte. Et leurs profils d’informaticiens, loin des écoles de commerce, ne plaidaient pas en leur faveur. Alors qu’au contraire ils étaient solides et comprenaient bien leur marché ! Nous avons investi 600 000 euros en amorçage en 2019 et depuis ils affichent une incroyable réussite. Ils sont passés de 500 entreprises clientes à 6000. » En 2022, la société décide d’accélérer avec une seconde levée de fonds de 10 millions d’euros. The Moon Venture, réunit près de 4 millions d’euros. «Nous construisons une véritable histoire commune, et c’est l’essence même de ce que nous souhaitons développer au sein de The Moon Venture, une aventure humaine. »

Un modèle économique basé sur les cotisations et 5% de commission

« Nous avons changé, il y a quelques mois, notre identité », explique Matthieu Jarry. « Le nom Club Des Prophètes était finalement un peu clivant et nous voulions transmettre l’idée que nous étions bien une structure de venture, avec un accompagnement. Le champ lexical de la lune est parfait, car il évoque le voyage, le côté pionnier, l’exploration et la conquête. » Pour rejoindre le club, la structure demande aux investisseurs une cotisation annuelle de 1000 euros et les facture 5% sur les montants investis. « Cela correspond à tout notre travail d’accompagnement. Nous sommes très transparents sur les coûts. » Créé il y a seulement 4 ans, The Moon Venture compte 10 collaborateurs et a déjà investi en amorçage ou en série A, 25 millions d’euros. La société finance environ 7 nouvelles startups par an. Côté investisseurs, Matthieu Jarry ne mise pas sur le nombre « mais sur la qualité ». «  Ce qui a un peu changé en 4 ans, c’est le montant des sommes engagées. Les deux premières années, les investisseurs ne mettaient pas plus de 100 000 euros. Aujourd’hui, certains sont prêts à déployer des capitaux très importants, car ils ont vu comment on travaille, les projets qu’on accompagne. Par exemple pour Axonaut, nous avons réuni plus de 3,5 millions d’euros en à peine 3 semaines ! » Un venture à suivre donc…

 

La boite à questions

Que vouliez-vous faire petit ?

Mon beau-père possédait une exploitation agricole et pendant très longtemps je me suis demandé si ce n’était pas cette vie-là qui me conviendrait. J’ai finalement fait le grand écart en allant dans la finance, mais me reste un lien fort avec la nature, l’environnement, l’agriculture. Je regarde d’ailleurs avec beaucoup d’intérêt les dossiers autour de ces sujets-là.

Un livre

Dans les forêts de Sibérie de Sylvain Tesson. Le héros part s’isoler quelque temps, pour prendre du recul, faire une pause… cela a raisonné en moi. Je travaillais à l’époque pour un grand groupe financier et je ne me sentais plus à ma place, j’étais en quête de sens. Au final j’ai compris que j’aimais ce que je faisais, mais que je n’étais pas dans le bon environnement.

Un film

Margin Call de JC Chandor. Un analyste s’aperçoit que sa banque est en « faillite » avec les positions qu’elle a prises. Il va devoir revendre ses investissements à ses camarades de jeu sans dire pourquoi. C’est un des rares films que j’ai pu voir sur la finance, ou les personnages se rapprochent de la réalité. Pas de caricature, mais un monde qui fait de l’argent, sans se soucier des répercussions. J’ai pu assister à mon petit niveau à ces révélations qui font que des acteurs prestigieux se sont retrouvés avec des placements toxiques (Subprimes, Madoff) par simple recherche du gain financier.

Une personne inspirante

Jean-Louis Trintignant : passionné de poésie, j’ai eu la chance de le voir sur scène. J’aime beaucoup son rapport à la vie, à l’amour, à la littérature. Il a terminé sa vie au milieu de ses vignes, dans un petit village, avec ses livres et les personnes qu’il aime.