Couverture du journal du 03/05/2024 Le nouveau magazine

À la cour d’appel de Rennes, garder du sens et du coeur à l’ouvrage

L’audience solennelle porte bien son nom. Le silence est d’or dans la Grand Chambre du Parlement de Bretagne. Les huiles bretonnes sont venues écouter une parole rare, celle du premier président et du procureur général de la cour d’appel de Rennes. Mais le decorum ne peut faire oublier l’âpre réalité des juridictions, malgré des renforts attendus.

Frédéric Benet-Chambellan, procureur général, et Jean-Baptiste Parlos, premier président de la cour d'appel de Rennes ©SB_7J

Frédéric Benet-Chambellan, procureur général, et Jean-Baptiste Parlos, premier président de la cour d'appel de Rennes ©SB_7J

Le discours du premier président Jean-Baptiste Parlos est percutant, non par ce qu’il a de compliqué, mais par ce qu’il a de simple.
La liberté d’expression des magistrats, attribut de leur indépendance, vient d’être consacrée par un avis du Conseil supérieur de la magistrature : « Il est loisible aux magistrats d’alerter leurs concitoyens sur les problèmes que rencontre l’institution judiciaire ». Jean-Baptiste Parlos en fait la démonstration. Après avoir rappelé la hausse budgétaire sans précédent, portant l’enveloppe du ministère de la Justice à 10,1 milliards, il modère les enthousiasmes irréfléchis. « Nous devons aussi à l’objectivité de dire qu’il existe un grand décalage entre la reconnaissance ainsi gravée dans la loi de la charge de travail des juridictions et ce qu’elles vivent pour le moment. » Des vents contraires auxquels la justice s’est (malheureusement) habituée.

58 magistrats en renfort pour le ressort

Entre les lignes, il faut lire un sujet d’attention particulier du chef de cour, celui du bien-être au travail. Une attention probablement héritée de sa propre expérience de procès d’envergure, dans une institution qui malmène les Hommes. À la cour d’appel, il faudra bien tenir en attendant les renforts promis* : 58 postes de magistrats (11 postes pour résorber les vacances, 14 postes au ministère public et 33 magistrats du siège), 61 postes de greffier et 56 postes d’attachés de justice. Pour l’instant, « sur les quinze postes de magistrats du siège de renfort, 9 sont actuellement vacants. » Et de saluer le « très grand professionnalisme d’un nombre élevé d’acteurs » grâce auxquels la juridiction a tenu et tient encore, « et ce malgré la fatigue ». Le premier président exhorte à « ne pas céder au découragement, pas maintenant. » Une invitation à la résilience en écho à son discours d’installation l’an passé, convoquant Soulages : « Même dans l’outrenoir, il y a de la lumière ».

La lumière, ce haut magistrat préoccupé par la gestion et l’organisation de ses effectifs actuels et à venir, sait qu’elle vient avant tout du sens donné à la mission. « L’expression « état de droit », s’écrit maintenant avec une majuscule au mot « état » ; ce qui est une erreur. Car l’état de droit, (…), est une raison d’être avant d’être une raison d’État. »

L’état de de droit est une raison d’être avant d’être une raison d’Etat.

Priorités de la politique pénale

Quand vient le tour du procureur général, Frédéric Benet-Chambellan, l’heure est au bilan de la politique pénale. Le magistrat relève trois indicateurs majeurs : une diminution du nombre de décisions rendues en appel correctionnel et dans les affaires nouvelles ; une augmentation de l’activité de la chambre de l’instruction ; une stabilité pour les affaires criminelles toutes comprises (voir tableau).

Les axes forts de 2023 peuvent se synthétiser en quatre luttes, contre : les violences conjugales, les violences sexuelles et sexistes, les trafics de stupéfiants, les atteintes pénales à l’environnement. Des priorités reconduites en 2024 et complétée par trois autres luttes contre : les infractions commises dans les établissements scolaires, les violences dans le sport et la prolifération des armes.

Dans son intervention, Frédéric Benet-Chambellan égratigne les critiques infondées sur l’œuvre de justice : « Les magistrats jugent insupportable et très dangereuse la capacité de ce pays, frappante si on se compare avec toutes les autres grandes démocraties occidentales, à fantasmer sur le gouvernement des juges, à vilipender toute action ou décision. » Et citant Péguy : « Le triomphe des démagogies est passager mais les ruines sont éternelles. » Le procureur général voit dans l’achèvement de la réforme constitutionnelle du statut des magistrats du parquet, la réponse pour lever le voile de la suspicion « qui n’a pas lieu d’être, et assurer la pérennité d’une exigence de démocratie mature ». L’indépendance totale des parquets, gage de l’émancipation du pouvoir politique, demeure une ritournelle vieille de vingt ans.

Les prises de paroles de la dyarchie mettent au jour l’intendance et l’administration d’une justice qui demande à reprendre son souffle, « une justice qui est la nôtre, celle de tout citoyen, avant d’être celle des magistrats et agents des juridictions ».

 

Sylvaine Reis, a été nommée présidente de chambre à la cour d’appel de Rennes pour exercer les fonctions de présidente du tribunal judiciaire de Brest ©SB_7J

Sylvaine Reis, a été nommée présidente de chambre à la cour d’appel de Rennes pour exercer les fonctions de présidente du tribunal judiciaire de Brest ©SB_7J

 

 

*la répartition entre les différentes juridictions du ressort n’a pas encore été annoncée