Couverture du journal du 26/04/2024 Le nouveau magazine

Escoffier Pêche, un armement hissé haut

C’est une histoire de mer. Une histoire de famille. En 2016, à Saint-Malo, Loïc Escoffier rachète l’armement de son père. Depuis, le patron pêcheur remue ciel et terre pour développer son entreprise, qui fête ses 40 ans cette année, et poursuivre sa passion de la voile. Car Loïc Escoffier est aussi un skippeur, fraîchement vainqueur de la Route du Rhum, en RhumMulti. Rencontre avec un marin au-dessus des flots.

Loïc Escoffier, patron de pêche à Saint-Malo et skippeur, sur un des bateaux de son armement, le Sirocco. ©Studio Carlito

Loïc Escoffier, patron de pêche à Saint-Malo et skippeur, sur un des bateaux de son armement, le Sirocco. ©Studio Carlito

On pourrait se dire qu’il n’a plus le temps. Inaccessible patron de pêche et récent champion de la Route du Rhum, le Graal de la voile. Loïc Escoffier est tout le contraire. Entre deux coups de fil, il nous accueille avec un sourire franc et communicatif. Peu avant 9h ce matin-là, au port de Saint-Malo, le patron est déjà à la manœuvre. Il faut dire qu’il dort peu, comme si la mer n’autorisait à Morphée que quelques instants. Ses trois bateaux sont arrivés à quai après une nuit à pêcher des araignées. C’est la journée la plus chargée. Mais notre présence n’est qu’un paramètre de plus pour ce tourbillon, habitué à l’agitation. Il navigue aisément entre les sollicitations de ses marins et les aléas avec les transporteurs venus chercher la marchandise, 20 tonnes d’araignées vivantes. Derrière son côté décontracté se cache un entrepreneur qui a réussi. Il est le plus important armateur en crustacés de Saint-Malo et gère un effectif de 30 personnes, dont 25 marins.

Escoffier Pêche, « gros parmi les petits »

Les trois fileyeurs d’Escoffier Pêche (le Sirocco, le Claud’Edith et le Franck Annie) charrient d’importants volumes. « En décembre, cela peut monter jusqu’à 70 tonnes dans la semaine. » À l’année ? « Le volume est astronomique pour nous qui restons de la petite pêche, nous faisons de la pêche artisanale avec de gros volumes. Dans la petite pêche, on est gros. » Des araignées qui partent ensuite vers l’Espagne, l’Italie ou le Maroc. La France aussi, essentiellement en Bretagne, mais également Paris. « Nous allons essayer d’aller dans le Sud-Ouest, vers Arcachon. Comme les Coréens et les Chinois apprécient énormément le tourteau, les prix sont stratosphériques. Nous, quand on vend le kilo d’araignées vivantes à 3 euros, on est content. Le tourteau, ça peut monter à 8-9-12 euros. Du coup, de plus en plus de personnes se dirigent vers l’araignée. »
Le panel de clients est large : « Du poissonnier de Dinard à 150 kg par semaine jusqu’au plus gros mareyeur espagnol qui peut prendre 70 tonnes dans la semaine. » Un commerce qui ne connaît pas la crise, « la ressource se porte bien ». Contrairement au bulot. « J’ai 2000 casiers stockés sur le quai. Avec le réchauffement climatique, il n’y en a plus pour l’instant. »

Le dirigeant d'Escoffier Pêche sur le port de Saint-Malo ©Studio Carlito

Le dirigeant d’Escoffier Pêche sur le port de Saint-Malo ©Studio Carlito

La place de la pêche à Saint-Malo ?

« On est le port numéro 1 en crustacés en Europe et regardez la place qu’on a. Alors qu’en face, il y a des quais qui ne servent à rien, seulement à entreposer du phosphate (les entrepôts de la Timac, ndlr). Il y a quelque chose qui cloche. » Depuis 2020, la société Edeis a pris les commandes du port. L’entreprise d’ingénierie doit refaire toute la criée. « Ça va se moderniser, par contre ça se privatise. J’attends de voir. »

Nouveaux locaux et un 4e bateau

Dans la besace du marin, un projet de bateau à propulsion hydrogène pour remplacer le Sirocco qui va avoir 40 ans. Le hic, le transfert des licences sur les zones de pêches des îles de Jersey et Guernesey. « Cela fait deux ans et demi que la France essaye d’avoir le fameux sésame. » En attendant, un quatrième bateau devrait rejoindre la flotte et un nouveau bâtiment verra le jour en juillet. À l’entrée de Saint-Malo, au sein de la nouvelle zone Atalante, entre la clinique de la Côte d’Émeraude et le centre de santé mentale Yves Pelicier. Coût de l’opération : entre 1,2 et 1,5 million d’euros.
Ces locaux regrouperont les bureaux et un atelier de ramendage, la réparation des filets. Mais également un laboratoire de cuisson et d’extraction de la chair d’araignée. Une partie pour le moment sous-traitée en Espagne. « L’objectif est de pouvoir extraire la chair d’araignée à Saint-Malo, car cela prend de plus en plus d’ampleur. Un marin-pêcheur qui extraie sa propre chair d’araignée, cela n’existe pas, et j’en suis fier. On pêche les araignées, on les transporte, on extrait la chair et on les amène dans l’assiette. »

L’avenir c’est la chair

Alizée Escoffier ©Studio Carlito

Loïc Escoffier mise sur la chair. À 70 – 80 euros le kilo, cela vaut le coup. Aux manettes du développement commercial : son épouse, Alizée. Des négociations sont en cours avec de grands traiteurs parisiens. « Nous livrons déjà des restaurateurs malouins, la Corniche, la famille Hector. Il y a aussi de la chair d’araignée qui part à Shanghai ou à Dubai. La chair est surgelée dans les 72h de la pêche. Tous les cuistots le disent : on a l’impression que l’araignée vient d’être décortiquée dans un bol. »

Loïc Escoffier en est sûr : « C’est l’avenir. Les gens ne veulent plus s’embêter à décortiquer. » Des perspectives qui réjouissent l’armateur : « Aujourd’hui nous ne sommes plus seulement des marins-pêcheurs. Il y a du mareyage, de la production de chair d’araignée, de la vente au détail, de la vente en gros, du transport… Ça commence à se structurer. On touche de plus en plus de monde. »

« Aujourd’hui nous ne sommes plus seulement des marins-pêcheurs. Il y a du mareyage, de la production de chair d’araignée, de la vente au détail, de la vente en gros, du transport… »

Le clan Escoffier

©Archives famille Escoffier

©Archives famille Escoffier

Enfant de la mer né en 1981, Loïc Escoffier monte sur un bateau dès le plus jeune âge, en suivant l’exemple de son père, Franck-Yves, marin-pêcheur et triple vainqueur de la Route du Rhum. « Je suis né là-dedans. J’ai porté mes premiers casiers à 11 ans. Je n’ai jamais voulu faire autre chose. » Là où certains y verraient un poids généalogique dont il faut se libérer, Loïc lui ne ressent aucune entrave. « C’est la force de mes parents, ils sont là sans être là. Ils nous conseillent de temps en temps. »
Quand on s’appelle Escoffier, il y a quand même des charges et des devoirs particuliers. « « Franck » veut qu’on puisse marcher sur les quais en regardant les gens droit dans les yeux. Pas de casseroles, pas de vagues. » Son paternel lui a transmis le goût de la performance. « Il y a des gens qui disent que c’est bien de participer. Nous on a la culture de la performance, que ce soit au travail ou à la voile. Si on entreprend quelque chose, c’est pour performer. Je ne dis pas que c’est bien, que c’est pas bien, ça c’est un autre débat. Ce que je dis c’est que c’est ce que notre père nous a inculqué. »

La prochaine Route du Rhum, il a signé

La performance n’est pas qu’un concept. En novembre dernier, il remporte la Route du Rhum dans la catégorie des RhumMulti. « Si je n’avais pas eu l’accident, je n’aurais pas gagné. Ma manière de naviguer a changé. J’ai fait très attention. » L’accident qu’il évoque lui aura valu de rester 7 heures dans les eaux irlandaises après le chavirage de son bateau lors de la Drheam Cup. Une piqûre de rappel, on ne dompte jamais vraiment la mer. « Moi je ne repartais pas sur la route du rhum. C’est Alexis de Lodigroup (son sponsor et ami de 15 ans, ndlr) qui m’a dit « alors tu refais la Route du Rhum? ». À un moment, j’ai dit oui. Ça s’est fait naturellement. » Une décision qui caractérise le marin. « Il est positif et va toujours de l’avant. Il ne baisse jamais les bras », confie Alizée, sa femme.
Prochains rendez-vous : des régates dans les Antilles, la Jacques Vabre en Octobre, « peut-être », la Transat Quebec-Saint Malo l’an prochain, « il y a de grandes chances ». Et bien sûr la Route du Rhum 2026. Avec une deuxième victoire dans le viseur. « Nous avons une chance inouïe. Il n’y a qu’une seule ville qui accueille 138 bateaux, dont des Formule 1 des mers. Toutes les autres villes de la planète tournées vers la mer nous envient. C’était très bien organisé. Il faut tirer le coup de chapeau et dire merci aux bénévoles et à la mairie. »

Bonus

Une musique pour partir en mer ? « Bernard Lavilliers, un marin un peu artiste. Il était parrain de mon premier bateau sur la Route du Rhum en 2006. »
Un livre qui vous a marqué? « Le dernier de Mike Horn où il marche vers sa fille qui l’attend sur un bateau. Il y a peu de personnes qui m’impressionnent. Mike Horn en fait partie. »
Un endroit où boire un coup à Saint-Malo ? « Le piano-bar du Nouveau Monde. Ce sont les meilleurs cocktails de Saint-Malo. J’ai un ami de 20 ans qui joue au piano. Je prends toujours un mojito passion ou un whisky japonais. »
Votre plus grande angoisse ? « Perdre un gars. Plus on multiplie le nombre de bateaux, plus on multiplie le personnel et plus il y a de risques. C’est le métier le plus dangereux au monde. Tous les ans, on perd des copains. »

La recette d’Alizée Escoffier
« Une salade fraicheur. Du chou blanc, des carottes et pommes râpés. Mélangés avec un peu de chair d’araignée. Et une mayonnaise rallongée avec du jus de clémentine. Je rajoute des zestes de citron vert, de la ciboulette. C’est une salade originale qui peut se décliner dans des pains briochés pour faire des petits burgers. »